Manuscrit de madame Théobon - Rousset

Manuscrit de madame Théobon - Rousset ©Nathanaël Mergui
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À la découverte du Manuscrit Théobon, en compagnie de son heureux acquéreur

Vous ne connaissez pas Madame de Théobon et moins encore cet oblong cahier de quelque 190 pages qui fait ici l’objet de ce double album ? Tout commence en 2004 sur ebay où cet ouvrage apparait à la vente. Christophe Rousset l’y repère et nous explique l’avoir acquis auprès d’un libraire spécialisé en livres anciens. Dans un article Four decades after French harpsichord music of the seventeenth century : newly discovered sources (in Perspectives on early keyboard music and revival in the twentieth century, Rachelle Taylor & Hank Knox, Routledge, Taylor & Francis Group, Londres, 2018, page 39), le musicologue Bruce Gustafson écrivait au vu des images furtivement publiées sur le website d’enchères (nous traduisons) : « les photographies semblent celles d’un authentique manuscrit, non cité dans des sources connues. Il semble un typique livre domestique de la fin du XVIIe siècle, qui n’est pas organisé de façon compréhensible, et dominé par des transcriptions ».

Les quatre-vingt pièces sont inventoriées pages 17-22 du livret. Une petite moitié arrangent des airs de Lully, les autres proviennent d’autres compositeurs du Grand Siècle (Chambonnières, D’Anglebert, les luthistes Ennemond et Pierre Gaultier …) et incluent quelques inédits et contributeurs anonymes. L’anthologie est bornée par un extrait d’Acis et Galatée (1686) et fut donc probablement rédigée, par deux copistes, entre cette date et la disparition de sa dédicataire/ propriétaire en 1708. Cette dame d’ancienne noblesse périgourdine, l’histoire (notamment celle des intrigues de cour et des alcôves) retient son nom pour sa liaison avec Louis XIV (1670-1672). « Elle a été jolie, elle est maintenant fort massive et même on croit que Sa Majesté s’en servit il y a trois ans à Chambord » persiflait le Marquis de Saint-Maurice après qu’elle eut été éconduite par la Montespan devenue jalouse de ses filles d’honneur. Elle se lia d’amitié avec la Duchesse d’Orléans dont elle fut la confidente jusque la fin de sa vie, nourrissant de quotidiens échanges épistolaires. « C’était une femme qui avait beaucoup d’esprit et de monde, et qui, à travers de l’humeur et une passion extrême pour le jeu, était fort aimable et très bonne et sûre amie… » se souvenait Saint-Simon. Mais on a beau consulter ses Mémoires, feuilleter la Princesse Palatine ou Madame de Sévigné, on ne trouve trace d’aucune particulière affinité entre Lydie de Théobon et la musique. Sauf à supposer que le manuscrit reflète à son égard « une fonction pédagogique et de collection des meilleurs titres à posséder dans sa bibliothèque », selon Christophe Rousset. Rien qui rivalise avec les fondamentaux manuscrits Bauyn et Parville, mais une agréable compilation de seconde main, encline à divertir un loisir aristocratique.

Le programme invite la totalité des pièces, réordonnées par tonalité, en onze séquences dont sept s’initient par un bref Prélude en premier enregistrement mondial. D’autres pages, d’essence mélodieuse ou propices à la danse, sont familières aux mélomanes férus du Baroque français et du théâtre lullyste, quitte à les entendre sous une ornementation propre au clavecin. Sommeil et Passacaille d’Armide, Folies d’Espagne de D’Anglebert (complétées d’une variation inédite) constituent les étapes les plus développées de ce florilège, quand certaines autres vignettes n’excèdent guère la trentaine de secondes. Les pièces dérivées du luth, les vieux timbres de Noël (Une jeune Pucelle) illustrent la diversité des genres. D’un bavard Vaudeville, d’un vigoureux rigaudon ou d’un rustique Branle des Gueux jusqu’aux nobles chaconnes et aux songes d’Atys, on mesure la diversité des humeurs. Elles sont ici discernées sur un ferme et incisif clavecin Nicolas Dumont de 1704, parfois un peu sec, restauré quatre ans avant ces sessions. Capté dans une proche perspective, Christophe Rousset serre un net phrasé qui ne laisse rien flotter dans le corset, galbe le jarret des rythmes, au risque de quelques raideurs, mais sait au besoin assouplir les chairs, ainsi cette Gigue du Vieux Gaultier qu’on dirait rendue à la pulpe des doigts sur la corde. Globalement : une interprétation épurée, au service d’un séduisant recueil qui ne pouvait s’offrir à la découverte sous meilleures mains.



Publié le 23 mars 2022 par Christophe Steyne