Tim Mead - Purcell

Tim Mead - Purcell ©Sarah Carp : Arc-en-ciel, 2003
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L’Ode pour le roi Henry

À l’image de cet arc-en-ciel qui orne la pochette de cet enregistrement, voilà un florilège consacré à Henry Purcell (1659-1695), coloré à l’envi et qui fera assurément date. Pour la circonstance, j’ai ressorti tout un ensemble de récitals où Alfred Deller, Gérard Lesne, Jill Feldman, Andrew Lawrence-King se côtoient, sans oublier Andreas Scholl, luxueusement entouré par l’Accademia Bizantina ou encore Dorothee Mields avec une Lautten Compagney Berlin très en forme. Comme on peut le constater au vu de cet inventaire non exhaustif, la musique de l’Orpheus Britannicus se prête bien à ce genre de sélection, et ce, au gré d’options contrastées, des plus intimistes aux plus opératiques. Aussi ne sera-t-on guère étonné de retrouver ici en bonne place bien des « tubes », quasi incontournables tels que  O Solitude, Fairest Isle, What power art thou ou encore One charming night. On pourrait se demander à quoi bon nous resservir ce que l’on connaît déjà. Mais on aurait foncièrement tort, car François Lazarevitch et les siens pulvérisent en tour de main tout ce qui avait été produit antérieurement dans ce genre, non seulement par l’intelligence du programme mais encore par l’excellence de la réalisation.

Un savant équilibre est trouvé mêlant songs et dances mais également entre musique savante et musique populaire, où odes de circonstance et musiques de scène se taillent la part du lion. La Fantazia upon a ground (piste 14) déploie toute la science de son extraordinaire contrepoint, magnifié ici par les sonorités délicieuses des flûtes à bec. Tout cela pétille et met en évidence toutes les extravagances harmoniques du grand Henry (quelle fin !).

À l’opposé, le Scotch tune (piste 12) qui fait suite à Twas within a furlong of Edinboro’town’ nous plonge dans l’atmosphère d’une taverne avec une truculence communicative.

Le Curtain tune, extrait de Timon of Athen, que l’on trouve aussi parmi les Lessons de clavecin de Purcell sous l’intitulé « chaconne », est étourdissant. Sa formule de basse, très originale, donne lieu à un véritable tourbillon qui gagne, peu à peu les dessus qui, propulsés par ce continuo démoniaque, mettent le feu à la scène.

Les Musiciens de Saint-Julien nous enchantent par toutes les combinaisons possibles pour n’associer que quelques instruments dans certaines pages ou donner l’illusion d’un véritable orchestre dans d’autres. Le contraste est ainsi saisissant entre la grave Pavan en sol mineur (piste 4), proche de l’univers du consort et des magnifiques fantaisies pour violes et la March (piste 16) triomphale à souhait, qui donne l’impression que des trompettes ont été conviées. C’est d’ailleurs une même splendeur qui vient couronner cet enregistrement avec la chaconne de Fairy Queen (plage 20), véritablement féerique et festive à souhait.

L’autre artisan de ce succès, c’est assurément Tim Mead, un talentueux contre-ténor (il a participé avec brio il y a quelques semaines à la Rodelinda de Lille, chroniquée dans ces pages), au timbre chaleureux et à l’aisance vocale confondante ! Comment résister à l’élan incroyable de son Strike the viol, touch the lute, extrait de l’Ode pour l’anniversaire de la Reine Mary ? Les vocalises se déploient avec une puissance impressionnante, les instruments emboîtant le pas au chanteur et rivalisant de virtuosité. J’ai dû me faire violence pour poursuivre, tant j’étais électrisé par cet air, que je n’ai jamais si bien entendu chanté.

Je me suis donc laissé gagner par la poésie qui règne aussi dans One charming night, où la douce atmosphère nocturne nous vaut une admirable musique onirique. Et O Solitude renouvelle le miracle de Deller, quoique par des moyens très différents. Une impression de nudité s’en dégage, avec un continuo, qui, comme une ombre déroule son inexorable ground, hypnotisant l’auditeur, retenu en haleine jusqu’à la cadence finale, lui offrant enfin le repos dans un murmure ineffable. Quelle intelligence du texte ! Quant à cette basse obstinée, elle n’est jamais répétée telle quelle. Non ! Nos musiciens savent avec un raffinement suprême associer telle couleur, telle inflexion à chaque mot du poème de Katherine Philips.

A-t-on jamais entendu Cold song (What power art thou) plus envoûtant? Il est impossible d’en ressortir indemne, tant l’accompagnement nous plonge dans un décor glacé et macabre, d’où la voix s’élève douloureusement, avec une intensité croissante jusqu’au Let me freeze again to death, qui s’enfonce à jamais dans l’abîme. Une vision effrayante mais tellement fascinante, qu’elle vous assaille pour vous pousser à toujours réécouter cette page magistrale.

Voilà un Purcell extraordinairement vivant qui nous donne l’impression que ces pages viennent à l’instant de sortir de sa plume féconde. Ce n’est pas faire injure à leurs illustres devanciers, de dire que les Musiciens de Saint-Julien les surclassent nettement, tant ils ont compris l’essence même de cette musique géniale.



Publié le 02 nov. 2018 par Stefan Wandriesse