Melancholy Grace - Rondeau

Melancholy Grace - Rondeau ©
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Diverses facettes de la mélancolie par Jean Rondeau

Dans son dernier disque Melancholy Grace, publié en mai dernier, le claveciniste Jean Rondeau rassemble, sous le thème de la mélancolie, des œuvres d’une douzaine de compositeurs, anglais, italiens, flamands et allemands.

Au départ, il y a Flow, my tears de John Dowland, composé initialement pour luth en 1596, popularisé au milieu du XXe siècle par Alfred Deller et autres pionniers de la musique ancienne. Cet air se répand rapidement dans toute l’Europe et en 1604 fut publié un recueil réunissant ses variants, Lachrimae, or Seaven Teares. Dans le livret qu’il signe lui-même, Jean Rondeau fait largement référence à la pièce de Dowland comme point de départ mais chose étrange, il ne le présente pas dans l’enregistrement !

En l’absence de LA référence, c’est à chacun(e) d’imaginer un voyage autour du « tube » d’il y a 400 ans. Quant au claveciniste, il a commencé son voyage en abordant ces musiques du XVIIe siècle après avoir été toujours imprégné dans l’univers musical du XVIIIe. Et c’est un instrument qui lui a imposé ce voyage : un virginal ou un arpicordo original, réalisé vers 1575 à Florence par un facteur inconnu (attribué à Francesco Poggi). Afin de mieux exprimer la sensibilité qu’il accorde à chaque pièce, il fait également appel à l’un de ses instruments préférés, un clavecin que Philippe Humeau a construit en 2007 d’après un instrument anonyme italien du début du XVIIIe siècle.

Ce qui frappe dans cet enregistrement, c’est d’abord la variété de la sonorité entre ces deux instruments mais aussi entre les pièces jouées sur un même instrument. Sur le Humeau, la nature du son change complètement par le jeu de registration et d’accord. Le plus flagrant en est probablement entre la Passacaille del Seignore Louigi et Toccata quarta per l’elevatione. Pour chaque passage d’un instrument à l’autre, Rondeau fait entendre un extrait de Ballo alla Polacha de Giovanni Picchi, dont les accords brisés rappellent irrésistiblement le luth, voire la guitare (et par là, on se rend compte tout d’un coup que le clavecin est bel et bien un instrument à cordes pincées !), comme pour passer à l’entracte d’un opéra, puis pour revenir à l’acte suivant. Pendant cet « entracte », on joue un intermezzo, en l’occurrence des pièces sur le virginal. La musique vigoureuse de Picchi sonne également comme un bref prélude au deuxième autre acte.

Dans l’ensemble du programme, chaque interprétation est marquée par la liberté que prend le musicien, notamment la fluctuation du temps (ou rubato dans le terme moderne) par des valeurs très variées d’une même note. C’est comme s’il cherchait la suite de ce qu’il vient de jouer, comme si, donc, la musique venait d’être créée par improvisation. Dans cette oscillation du temps, il met l’accent sur certaines notes dissonantes pour insister sur leurs étrangetés. Un autre point qui frappe, c’est la richesse des ornements, simples ou exubérants selon les pièces. Il varie ainsi les propos, d’une pièce à une autre, empêchant de tomber dans une monotonie inévitable compte tenu du caractère de ces musiques : la mélancolie. Si dans la Fantasia cromatica de Sweelinck, Jean Rondeau nous fait redécouvrir de nouveau la singularité de la musique de ce compositeur, les musiques anglaises (Melancholy Pavan et Melancholy Gaillard de John Bull, ainsi que Pavana de Gibbons) jouées sur le virginal, sont d’une beauté recueillie et… mélancolique !

Voici un très beau disque, plein de surprises, et Jean Rondeau va jusqu’au bout de ses surprises. Alors, ne retirez pas hâtivement le disque après la dernière piste…



Publié le 03 août 2021 par Victoria Okada