Minoriten Konvent, Manuscript XIV 726

Minoriten Konvent, Manuscript XIV 726 ©
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Un dialogue intimiste et spirituel

Les pièces retenues dans cet enregistrement sont une sélection de onze sonates pour violon et clavier provenant d'un fond d'une centaine de copies d’œuvres, détenues au couvent des Minorites de Vienne sous forme d'un manuscrit. Ces sonates ont été écrites pour la plupart dans le dernier quart du dix septième siècle par des compositeurs résidant en Autriche (dans ses frontières actuelles) ou dans les pays limitrophes faisant partie de l'Empire. La notoriété actuelle de ces compositeurs est très variable, allant du célèbre Heinrich Ignaz Franz Biber en poste à Kromériz, à des auteurs moins connus comme l'artiste praguois Jan Ignac Frantisek Vojta, le florentin Giovanni Buonaventura Viviani ou encore le viennois Nikolaus Faber quand il ne s'agit pas tout simplement d'anonymes. En tous cas ce manuscrit témoigne de l'enthousiasme des musiciens de l'époque pour la technique violonistique et de l'émulation qui en a résulté.

L'unité stylistique des onze sonates pour violon et clavier, n'exclut pas une grande diversité. La diversité est dans la coupe, ces sonates peuvent adopter une formule en trois ou quatre mouvements débutant par un adagio, anticipant la future sonata da chiesa, mais également la formule de la suite de danses. Ce caractère dansant est attesté aussi par les nombreuses chaconnes souvent très développées qui s'inspirent de modèles italiens (Francesco Cavalli, Antonio Bertali). La diversité est aussi dans le caractère ; ce dernier, le plus souvent grave et même sombre, prédispose ces œuvres à une exécution dans une église (méditation à l'Offertoire ou bien lors de la Communion), mais quelques sonates se distinguent par un caractère festif et même triomphal.

Très variées sont également les structures des différents morceaux qui composent ces sonates. On trouve de libres improvisations du violon, illustration d'un Stylus Phantasticus que l'on retrouve également dans maintes œuvres contemporaines d'Allemagne du Nord. Ces improvisations contrastent avec des morceaux rigoureusement architecturés où règnent le contrepoint, voire la fugue...

La technique du violon est évidemment un centre d'intérêt majeur dans cet enregistrement puisque plusieurs compositeurs font usage ici de la scordatura qui consiste à accorder (il vaudrait mieux dire désaccorder) le violon différemment de la manière traditionnelle. Sachant que les quatre cordes (sol, ré, la, mi) du violon classique sont accordées pour former trois quintes successives, ces cordes sont accordées avec des intervalles différents : une quarte, une quinte et une quarte, soit (si, mi, si, mi), dans la sonate n° 2 de Nikolaus Faber, par exemple. Cette scordatura permet de jouer des accords parfaits de mi mineur et mi majeur avec les cordes mi et si à vide, donnant un brillant et un éclat particuliers à ces derniers et créant des résonances inusitées. Cette pratique entraîne évidemment une grande difficulté de lecture de la partition pour l'instrumentiste. Certaines cordes sont en outre montées d'un ton, voire d'une tierce majeure et subissent donc de fortes tensions que les boyaux nus ne sont pas toujours prêts à supporter. L'utilisation de la scordatura trouvera son apogée dans les sonates du Rosaire de Heinrich Biber où ce procédé atteint un degré de complexité inouï.

La sonate n° 87 en fa mineur (auteur anonyme) débute par un magnifique Lento très sombre, mystérieux et chromatique, se continue par un admirable allegro 2/4 d'une grande beauté mélodique et se termine par un finale ¾, lent et grave utilisant le procédé de l'écho. La sonate n° 4 en ré majeur (auteur anonyme) est festive et même triomphale avec ses fanfares. En trois mouvements, elle évoque par son brillant et sa pompe un concerto pour orgue et pourrait presque être utilisée pour une sortie de messe. Le dernier mouvement est un thème varié jubilatoire.

La sonate n° 90 en la mineur de Giovanni Buonaventura Viviani débute par une vaste improvisation d'une grande liberté du violon. Ce dernier est accompagné par quelques tenues de l'orgue et le temps semble interrompre son cours. Suit un fugato serré d'une grande intensité. Un andante envoûtant par se grâce mélodique et son caractère dansant laisse la place à une nouvelle improvisation puis à un passage entièrement en doubles cordes. Dans cette sonate, on note la présence de nombreux glissandi et même de quart de tons qui donnent un caractère étrange à cette pièce.

Le caractère étrange, remarqué déjà dans la sonate n° 90, est présent aussi dans la sonate n° 70 en si mineur de Jan Ignac Frantisek Vojta qui fait appel à la scordatura avec, pour les quatre cordes (si, fa dièse, si, mi), un enchaînement d'une quinte, d'une quarte et d'une quarte, très aventureux. Cette sonate est remarquable aussi par sa beauté mélodique, son caractère à la fois grave et dansant et ses étonnants contrastes rythmiques. Elle se termine par une improvisation très virtuose.

La sonate n° 2 en mi majeur de Nikolaus Faber fait également usage comme on l'a vu plus haut de la scordatura. Il s'agit d'une délicieuse suite de danses : Variatio, Ricodone, Bourré, Minuet d'une grande beauté mélodique et d'un éclat superbe.

La sonate n° 11 en mi mineur de Heinrich Biber est, à mon avis, le sommet technique et expressif du recueil. Elle débute par une introduction solennelle et sévère. Suit une vaste chaconne basée sur une basse obstinée de huit mesures au riche potentiel harmonique. La virtuosité violonistique est transcendante avec des triples cordes dissonantes, des traits d'une vitesse ébouriffante. Un fugato diabolique termine la chaconne dans un climat exalté, presque hystérique. Un thème serein suivi de variations termine la sonate innocentemente. Cette sonate annonce très nettement les sonates et partitas pour violon de Jean Sébastien Bach (BWV 1001-6).

C'est une exécution sortant des sentiers battus à laquelle l'auditeur est convié. Le son du violon de Stéphanie Paulet est d'une pureté admirable. A une intonation parfaite et une texture sonore splendide, se conjuguent un phrasé et une articulation harmonieux. Les ornements sont utilisés avec mesure mais l'artiste nous régale avec quelques tremblements, quarts de tons utilisés avec à propos à des fins expressives. Par la technique sans faille et l'intensité du sentiment déployé, cette interprétation, tour à tour intimiste et spirituelle, ou encore éclatante, constitue pour moi un sommet du violon baroque.

L'orgue positif utilisé dans cet enregistrement est celui du chœur de l'église Sainte Madeleine de Strasbourg. C'est un orgue au sol fabriqué par André Silbermann en 1719 dont la facture, les jeux conviennent idéalement au style de cette musique. Elizabeth Geiger avait la redoutable tâche d'assurer une assise rythmique et harmonique aux improvisations. Elle l'a fait avec humilité, rigueur dans des tenues d'une grande fermeté. Plus loin, grâce à une registration originale, elle a pu faire valoir son jeu brillant et nuancé, notamment dans les passages plus concertants de la sonate n° 85.

Avec une prise de son lumineuse, sans réverbération excessive, le plaisir auditif est optimal. On peut aussi mentionner une notice très intéressante rédigée en partie par Stéphanie Paulet et par Quentin Blumenroeder, restaurateur de l'orgue, où l'histoire complexe de cet instrument est contée. Cet enregistrement sera pour l'auditeur une source de bonheur et pour longtemps.

Nota : au cours de la rédaction de ce compte rendu, j'ai réalisé qu'une chronique sur ce CD avait été publiée sur le site Wunderkammern. Au lecteur désireux de compléter ses connaissances, je recommande de consulter cet article passionnant : 'http://wunderkammern.fr/2015/10/22/sacra-conversazione-minoritenkonvent-par-stephanie-paulet-et-elisabeth-geiger/'



Publié le 25 janv. 2018 par Pierre Benvéniste