Concerto pour violon n° 5 & Concerto pour piano n° 9 - Mozart

Concerto pour violon n° 5 & Concerto pour piano n° 9 - Mozart ©
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Alice Piérot et Aline Zylberajch, inspirées en deux célèbres Concertos de Mozart

Pour sa seizième publication, le label breton Son an ero a réuni deux musiciennes qui se fréquentent de longue date. Fruit de cette connivence, les voici en deux concertos parmi les plus célèbres du jeune prodige, âgé d’une vingtaine d’années quand il les écrivit. Le KV 219 qu’Alice Piérot, dans ses confidences du livret, se souvient avoir entendu à l’âge de sept ans dans le petit appartement familial, au travers l’enregistrement de David Oistrakh avec le Berliner Philharmoniker (EMI). Et le KV 271 qu’avaient choisi Robert Levin et Christopher Hogwood en août 1993 pour lancer leur intégrale (inachevée) chez L’Oiseau Lyre. Par ses amples dimensions, sa liberté formelle, ses caractères bien trempés, cet opus écrit pour Victoire Jenamy, que l’on a longtemps abusivement qualifié de « Jeunehomme », est un jalon majeur du Salzbourgeois en route vers la maturité. Aline Zylberajch l’aborde sur un pianoforte Pleyel de 1830, à simple échappement et marteaux garnis de peau. On pourrait craindre que l’orchestre d’une quinzaine de pupitres se miniaturise au format chambriste. Au contraire, il paraît dense et ample, quoique parfois imprécis, ce que tend à accuser une acoustique réverbérée voire un brin caverneuse. La prestation concilie une diction « historiquement informée », sans maigreur, et une dramaturgie pleinement épanouie, sans vaine foucade. Même si le discours se trouve parfois surligné : les bariolages de violons (0’32) dans le premier mouvement, l’accord conclusif dans le second… Sous sa texture marbrée, cet accompagnement se refuse d’être le plus souple et raffiné qu’on ait entendu ; son épais cuir guinde certaines relances de l’Allegro (5’40) dont les appels péremptoires deviennent bourrus. Un frêle pianoforte aurait pu se dévergonder ou se faire gober tout cru. On se félicite ainsi du choix de ce Pleyel dont les couleurs opalines non seulement contrastent par leur douceur, mais surtout savent résister aux mors d’un environnement rigide.

Pour le cortège de l’Andantino, moiré par les cordes en sourdine, l’Orchestre du Jour convoie la rancœur avec la grâce d’un wagon-foudre et trace fermement les accents à contretemps, inculquant de soudaines paréidolies dans cet univers tortueux que d’ordinaire on entend plus vaporeux. Le clavier ne se laisse pas vampiriser par ces drains funestes, ni victimiser par les songes tragiques. L’on admire comment Aline Zylberajch atteint un sentiment digne, enchâssé dans une telle palette de nuances. En revanche, unique et minime regret envers son jeu aussi expert que bien mené, les élans cynégétiques qui lancent le final sembleraient bridés ou du moins éteints. Il y manque peut-être ce glacis que procurerait dans le bas-medium un instrument « moderne ». L’orchestre affiche son tempérament, toutefois on connaît des formations symphoniques plus sveltes, ou plus magiciennes dans le Menuet (5’30) qui confond champ et salon. En tout cas, le tourbillonnant refrain s’incarne avec une adéquate véhémence dont les hautbois soulignent la rugosité. Globalement, on ne peut que féliciter la soliste, tant pour l’interprétation que la maîtrise de l’instrument. À seulement considérer la subtilité de l’ornementation, on conviendra que ce langage et la complexité de l’émotion mozartienne ne lui opposent guère de secret. Un compositeur qui la faisait déjà partenaire du chant en 1987, avec Jill Feldman dans un disque chez Stil. Si l’on souhaite un accompagnement qui échappe aux clichés empoudrés, cette interprétation propose une intéressante alternative aux références bien connues : Bilson/ Gardiner (Archiv), Jos Van Immerseel (Channels Classics), Andreas Staier (Teldec) sur instruments d’époque ; et dans l’absolu Ashkenazy/ Kertesz (Decca), Schiff/ Végh (Decca), et le prodigieux live de Rudolf Firkušný avec Georg Szell et le Concertgebouworkest d’Amsterdam, captés au Festival de Salzbourg (6 août 1958).

Concernant les choix laissés ouverts par la partition, les options textuelles ne sont pas mentionnées dans le livret. Indiquons donc, si l’on se réfère à la Bärenreiter-Verlag, que c’est la cadenza B qui a été choisie à la mesure 292 de l’Allegro (9’11-10’28), et la cadenza B pour l’Andantino (7'24-9’17). Pour le Rondeau, la variante B a été retenue au Zweiter Eingang de la mesure 303 (7’43-8’19). Pour le Erster Eingang, la variante A s’élabore en trois parties dont la section médiane se découpe en cinq volets, qui épousent le schéma du théâtre classique tel que le décrit la Pyramide de Gustav Freytag, suggérée par Hsuan Chang Kitano (voir page 251 de Improvisation in Mozart’s keyboard music, thèse pour l’Université d’Indiana, mai 2018). C’est cette ambitieuse variante qui a été privilégiée à la mesure 149 (2’23-3’27).

Pour le RV 219, Alice Piérot pourvoit elle-même à la cadenza de chaque mouvement. Loquacité, élasticité, espièglerie, une recette qui convient à merveille pour l’Allegro où rayonne la copie du Guarneri. Un résultat très vivant. Un surcroît d’effervescence dans les regains, des lignes mieux tendues, un orchestre encore plus aiguisé, et le parcours serait idéal. On apprécie la fausse ingénuité des tournures instillées dans l’Adagio. Les affectations, les mines ludiques qui n’ont pas la conscience tout à fait tranquille y osent un charme trouble, comme un enfant prêt à se damner pour chiper un biscuit, et sont de celles qu’on aime tant chez Mozart. Là l’Orchestre du Jour oublie les routines d’hier et joue le comparse idéal de ces malices à tiroir. Alice Piérot outrepasse la nonchalance repue qui prélude au Rondeau et s’aventure d’emblée dans une chorégraphie qui a des fourmis dans les souliers. L’épisode folklorique (3’18) manque un peu d’autorité et de raideur : là elle serait bienvenue ! Pour viriliser les claquements qui valurent le surnom alla turca, la technique col legno produirait tout son effet avec une équipe plus étoffée. Pour sa part, Alice Piérot se distingue encore par une conduite d’archet moelleuse et inventive qui s’arroge tout l’esprit de ce finale, dont une cadence en pizzicato vient confirmer la finesse. Voilà qui conclut un album dans l’ensemble très réussi, d’une éloquence directe qui, sans inutile sophistication, nous rapproche des artistes et de la musique. Un terroir du producteur au consommateur. En ces temps où l’on aspire à s’émanciper de la distanciation imposée, un tel contact qui vous souffle son vent de fraîcheur, on en savoure le bienfait.



Publié le 03 juin 2021 par Christophe Steyne