Musique sacrée en Nouvelle-France - Messes - Motets - Pièces d’Orgue

Musique sacrée en Nouvelle-France - Messes - Motets - Pièces d’Orgue ©
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La musique chaleureuse des Terres froides

On doit à ATMA Classique, label indépendant québécois, la réédition en septembre dernier, d’un enregistrement paru initialement sous le titre Le Chant de la Jérusalem des Terres Froides. A la découverte de différentes pièces d’orgue, chants, messes, petits motets, témoignages de la vie musicale au temps de la colonisation française des Amériques, l’enregistrement est renommé sobrement Musique Sacrée en Nouvelle-France. Dépassez ce sentiment un brin austère que nous propose la pochette de l’album et osez plonger à sa découverte.

Rythmant la vie de ces nouvelles colonies, tant sur le plan spirituel que temporel, la musique, tant profane que religieuse, semble bien de tout évidence avoir eu ce rôle de première importance, organisant les pratiques quotidiennes, rappelant celles des villes de la mère-patrie lointaine, isolée et dans un nouvel environnement souvent rude et difficile, soutenant aussi les diverses communautés religieuses déjà établies dans leur dessein d’évangélisation des populations autochtones.

Souvent réadaptées pour se plier aux dispositions des chanteurs et disponibilités des instruments et musiciens, réinventées, retranscrites, ces pièces des Terres Froides, nous donne véritablement à entendre une étendue tout à fait passionnante de l’activité musicale de ces premiers voyageurs de Nouvelle-France. Et de nombreuses pièces importées que l’on retrouve ici où des œuvres d’anonymes côtoient d’autres noms plus illustres : André Campra, Henry Du Mont, Nicolas Lebègue, Guillaume-Gabriel Nivers, entre autres.

Cet enregistrement nous propose un véritable voyage au cœur de la vie musicale du XVIIème siècle souvent méconnue de ce côté-ci de l’Atlantique ; cette nouvelle terre de conquêtes sur laquelle on apporte aussi dans ses bagages, des formes musicales disparates mais qui forment un bon reflet de ce qui se passe en Europe, à l’image des différentes missions qui s’y installent : les Récollets d’abord, les Jésuites en Acadie, les Sulpiciens, les Ursulines. Et la musique a d’abord été un « vecteur de la Parole » et le chant une partie intégrante du processus d’évangélisation. Preuve en est et dès l’ouverture de cet enregistrement ces 9 premières pistes admirables : Chants religieux de la mission abénakise de St-François-de-Sales, illustration parfaite de cette volonté « d’éduquer, de civiliser et de convertir » les populations où le latin se mêle ici à l’abénakis, langue vernaculaire.

On y trouve aussi d’autres expressions musicales dont la Nouvelle-France donne le meilleur exemple : le plain-chant dit musical, une autre forme de chant liturgique, avec ce Kyrie d’Henri Du Mont qui alterne avec une illustration du jeu d’orgue issue du Livre d’orgue de Montréal. On reconnaîtra ici et là ces influences et ces adaptations avec l’emploi des hymnes devenus courant dans les missions d’Acadie ou de Trois-Rivières, et notamment le chant grégorien avec cette Missa grata sum Harmonia à 5 voix d’Artus Aux-Couteaux parfaitement maîtrisé ici par l’ensemble de Musique Ancienne de Montréal, plein de grâce, ou cette Prose de la Sainte-Famille (attribué à Charles-Amador Martin) et encore cet Introït à Saint-Joseph (de Guillaume-Gabriel Nivers) plain-chant hérité du vieux fond grégorien médiéval.

Sorte de concentré de la musique polyphonique religieuse, le petit motet est souvent la réduction d’œuvres beaucoup plus élaborées. Les Deux petits motets pour soprano (ici Wanda Procyshyn - soprano - véritablement aérienne) et Plusieurs petites ritournelles pour l’orgue ou la viole de Nicolas Lebègue, organiste de l’église Saint-Merry de Paris, en constituent des exemples parfaits, arrangements simplifiés de grand Motet exigeant des effectifs beaucoup plus importants.

Même si les Jésuites avaient déjà le leur, l’orgue commandé en 1663 par l’évêque de Québec marque le point de départ d’une tradition de l’orgue en Nouvelle-France, et Montréal aura elle aussi le sien quelques années plus tard en 1700. Issu du Livre d’Orgue de Montréal, les différents plages de l’enregistrement présentent cette tradition du jeu d’orgue, véritable compilation de la musique d’orgue française du XVII et XVIIIème siècle, monument de 398 pièces anonymes mais dont une quinzaine ont pu être attribué à Nicolas Lebègue. Il donne l’occasion d’écouter ici Réjean Poirier, dominant l’orgue historique de l’église Saint-Didier de Villiers-Le-Bel, magnifique jeu en finesse et précision accouplé au belles sonorités de l’orgue de St-Didier (vraie découverte), dans la présentation de différents jeux. Suprême dans les Plein Jeu, intime et chuchotant dans ce Cromorne en taille par exemple.

On ne peut que remercier et féliciter ATMA Classique pour la réédition de cet enregistrement, une première fois publié en 1995 chez K617. Sous la direction du regretté Christopher Jackson, le travail et l’interprétation de ces différents pièces par le Studio de Musique Ancienne de Montréal, nous donne à écouter une maîtrise parfaite du chant avec une très belle architecture et agencement des voix que restitue à merveille l’enregistrement, inscrit dans cette tradition du partage d’un héritage et de la transmission de l’histoire locale.

Loin d’être anecdotique, cet album Musique Sacrée en Nouvelle-France constitue un excellent point de départ sur des nouveaux chemins à la découverte des musiques des Terres Froides.



Publié le 08 janv. 2018 par Nicolas Debiazi