Orgelpunkt - Ludwig

Orgelpunkt - Ludwig ©Matthias Scharf
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Carte de visite pour l’opus 1 « upgradé » de l’église Sainte Elisabeth de Hambourg

Riche de quelque trois cents orgues, la ville de Hambourg en abrite un qui à sa manière est unique au monde, selon le livret. Sa singulière double-console s’explique par l’histoire de cet instrument, le tout premier assemblé par le facteur Beckerath et qui justifie l’appellation « opus 1 ». Initialement doté d’onze jeux en 1951, porté à dix-huit en 1956, sur deux plans manuels (Hauptwerk et Brustwerk). L’état mécanique justifiait une sérieuse restauration, qui intervint en 2020. On en profita pour l’amplifier, en étendant les capacités de registration à cinquante-quatre jeux. Rien d’extraordinaire en cela, sauf que l’on conserva la console d’origine et ses tirants, et qu’on la jouxta en vis-à-vis avec la nouvelle qui elle peut actionner la totalité des jeux ! Bref, un pupitre hybride tel un masque de Janus, pour des ressources gigognes. Les quatre claviers font parler deux plans supplémentaires : Fernwerk (plan lointain, pour effet d’écho) et Schwellwerk en boîte expressive, propices à l’interprétation des époques romantique et symphonique (jeux ondulants, Hautbois, Trompette harmonique…). La palette des deux claviers primitifs fut aussi complétée (Principaux, Flûtes, Quintadena, Nasat…), et élargie du grave (16’) à l’aigu (Spitzflöte 2’), de même que l’ambitus du pédalier (32’ en fonds et anches, et Nachthorn 2’ à l’autre extrémité du spectre). La traction est électrique.

Le programme illustre quelques notoires pages baroques, puisées au répertoire organistique, mais aussi à la musique sacrée, opératique et chambriste, par l’entremise de transcriptions assurées par Jens-Christian Ludwig. L’occasion de retrouver quelques célèbres mélodies comme la cursive Arrivée de la Reine de Saba, Ombra mai fu, le sirupeux Jésus, que ma joie demeure (traduction inexacte mais coutumière du Jesu, bleibet meine Freude), le choral du veilleur, le bucolique Schafe können sicher werden, le tendre Ave Maria de Gounod (brodé d’après un Prélude du Wohltempiertes Klavier)… Autre axe : plusieurs œuvres sont liées à la cité portuaire nord-allemande. On pense bien sûr à Telemann et à Carl Philipp Emanuel Bach qui y officièrent comme Directeur de la Musique, mais aussi à Haendel qui y séjourna. L’anthologie ne se borne pas à la sphère germanique, et commence d’ailleurs en fanfare avec le rutilant Prélude du Te Deum bien connu des téléspectateurs de l’Eurovision, accompagné de timbales ; cependant l’entrée de l’orgue tombe un peu à plat, faute d’étoffe et de brio.

Les anches se voudraient aussi à l’honneur dans les deux pièces de Jeremiah Clarke, mais celles du lieu manquent d’éclat face aux anches à forte pression de la facture anglaise. Du moins ces trumpet tunes s’affirment-ils un moment fort du récital. A contrario, lessivé sur de pâles Rohrflöte, Dulcian, Clarabella et Nachthorn, le Wachet auf, ruft uns die Stimme se présente étrangement affadi. La Toccata et Fugue en ré mineur qui referme l’album, jouée avec fluidité sur des mélanges onctueux, risque de laisser sur sa faim les amateurs de spectacle : ce flamboyant diptyque mérite-t-il d’être ainsi assagi voire éteint ? On en doute dès l’exergue qui ressemble à un fauve dont on aurait limé les canines. Cette réserve pourrait s’appliquer à l’ensemble du disque, qui paraît rechigner à l’apparat et au plein investissement des ambiances. Les efforts d’expressivité ne s’incarnent pas sous les atours les plus flatteurs : le mouvement d’Orgelkonzert (dérivé d’un opus du jeune Prince de Saxe-Weimar) tiré vers une galante nonchalance, le Ombra mai fu chanté sur un ton plébéien (cette verdeur convient mieux au pastoralisme de l’agreste BWV 208), le concerto pour alto joué par un soliste à la sonorité ingrate et à l’aisance limitée. En revanche, la sonate Wq 133 s’avère agréablement ventilée par la flûte de Jörg Thierfelder. Globalement, ce SACD s’écoute sans déplaisir, mais ne comble pas totalement, et laisse un goût d’inachevé, à l’instar du triptyque BWV 564 dont on ne nous propose que la Toccata alors que la durée du SACD permettait de loger l’Adagio et la Fugue complémentaires.

La spacieuse captation constitue un atout, le choix des œuvres est accessible à un large public, on suçote tous ces bonbons confiés aux bons soins d’artistes attachants. Toutefois l’on se demande finalement si une anthologie soliste servie avec le charisme requis n’aurait pas mieux valorisé ces tuyaux, dont le portrait séduit sans laisser sur l’auditeur l’empreinte espérée. La collection Orgelpunkt du label MDG, réputé auprès des organophiles (la patrimoniale série Orgellandschaft !), compte à ce jour quatre parutions, par ailleurs consacrées au Sauer de Die Glocke à Brême (deux volumes dont un avec quatuor de trombones) et au Rieger de St. Martin de Kassel. Le numéro 1 en bas de la pochette du présent album présage-t-il d’une seconde donne à St. Elisabeth ? Le cas échéant : opportunité pour rebattre les cartes et corriger le tir vers un projet plus abouti et ambitieux.



Publié le 09 mai 2022 par Christophe Steyne