Pièces pour luth - Bach

Pièces pour luth - Bach ©
Afficher les détails
Le luth de Jadran Duncumb, pour mieux goûter Bach

Le luth est devenu, depuis le renouveau de la musique baroque au cours des dernières décennies, l’un des instruments presque aussi fréquents et familiers que le clavecin. L’émergence de nouveaux talents chez les jeunes générations accélère ce phénomène, et suscite le goût pour cette sonorité à la fois puissante et intimiste.

Le luthiste d’origine anglaise et croate Jadran Duncum est l’un des représentants de cette jeune génération d’interprètes. Le prix du Festival Eeemerging au sein du Festival d’Ambronay, qu’il a obtenu en 2015 en tant que membre du duo Repicco (voir leur site) avec la violoniste Kinga Ujszászi, a contribué à renforcer davantage sa présence dans le paysage baroque actuel. Sa discographie (la plupart de ses disques sont gravés chez Audax Records, dont celui objet de notre article) est marquée par l’originalité de ses programmes : Antonio Maria Montanari (lire le compte-rendu dans ces colonnes ), Jean-Baptiste de Bousset, Assasini, assissinati (Repicco), Weiss… Ses deux derniers disques portent dans le sillage de J.S. Bach, avec les œuvres de ses amis et contemporains Weiss et Hasse. Dans le présent disque, il se concentre sur les pièces de luth du Cantor de Leipzig, en réunissant quatre des sept œuvres écrites pour l’instrument.

Bach ne connaissait pas le fonctionnement du luth autant que l’orgue, le violon ou le clavecin, mais il était entouré de nombreux luthistes à Leipzig ; cet instrument lui était familier. Or, notre musicien évoque, dans le livret du disque, des dilemmes des luthistes face à ses partitions, à cause de « difficultés techniques disproportionnées compte tenu du caractère de pièce ». Puis, après une brève réflexion sur la question de l’Urtext du milieu du XXe siècle, il prend le parti de concevoir une partition baroque comme un texte dramatique qui laisse à l’interprète et à son instrument une place centrale. Ainsi, il base son interprétation sur trois tablatures manuscrites du XVIIIe siècle abritées par la bibliothèque musicale de la ville de Leipzig, en adaptant à chaque œuvre une méthode spécifique. Il prend soin d’expliquer ses démarches sur le blog du site du label  (en anglais).

Ces intentions et considérations vis-à-vis de la littérature musicale se reflètent dans son interprétation. À la première écoute, la fluidité des propos ne laisse pas imaginer qu’il y ait des difficultés périlleuses. La richesse du timbre, la sonorité chaleureuse, la virtuosité discrète ainsi que les ornements qui rendent les notes encore plus vivifiantes, sont si cohérents entre ces éléments qu’on apprécie les œuvres telles quelles, en oubliant les instruments pour lesquels elles ont été initialement écrites. Ainsi, dans la Sarabande de la Suite en sol mineur BWV 955, bien que les notes relativement longues (obtenues par le maintien de l’archet sur le violoncelle, pour lequel elle a été originellement composée) disparaissent inévitablement sur le luth, son expressivité confère à la pièce un autre visage tout à fait convaincant. Dans la Partita en ut mineur BWV 997 (pour clavier), le relief polyphonique est remarquablement rendu, changeant nettement de couleur entre plusieurs voix qui se jouent en même temps. Quant aux fugues (Fugue en sol mineur BWV 1000 et fuga de la Suite BWV 997), il fait profiter du caractère des cordes pincées dans le déroulement de tension, y compris la manière de jouer des accords. L’intimité de résonance dans la caisse, que transmet la prise de son avec les bruits de ses doigts qui touchent les cordes, nous invite à se glisser dans sa pensée pour mieux goûter la musique de Bach.



Publié le 15 mars 2021 par Victoria Okada