Rameau chez madame de Pompadour - Jean-Philippe Rameau

Rameau chez madame de Pompadour - Jean-Philippe Rameau ©NoMadMusic
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Rameau dans le boudoir

Dans le cadre de l'année Rameau, Patrick Cohën-Akenine avait choisi de restituer l'atmosphère des représentations des œuvres lyriques du génial Dijonnais données par fragments au cours de concerts privés. La mode en avait été lancée dès 1725 par la reine Marie Leszczynska, imitée vers 1750 par la dauphine Marie-Josèphe de Saxe puis par madame de Pompadour, maîtresse de Louis XV. Rameau lui-même prit part à ces représentations fragmentées (à raison de deux ou trois actes par soirée), animées par un orchestre restreint, et réservées à un public trié sur le volet : lors des Concerts de la Reine il dirigea Hippolyte et Aricie en 1734, et Castor et Pollux en 1738. La production des Folies Françoises et de l'Atelier Lyrique de l'Opéra national de Paris, soutenue par le Centre de Musique Baroque de Versailles (CMBV), a été présentée à Paris et dans diverses villes de province, pour les deux cents cinquante ans de la mort du compositeur. Le présent enregistrement en rend compte, à travers des extraits des Surprises de l'Amour (la première entrée), et d'Hippolyte et Aricie.
On pourrait douter de ce qu'une formation restreinte, comme celles mises en œuvre lors de ces concerts, puisse rendre compte avec suffisamment d'expressivité des principaux passages lyriques, en particulier des plus dramatiques. Patrick Cohën-Akenine et les Folies françoises apportent avec talent la démonstration contraire, et notamment dans les extraits d'Hippolyte et Aricie. Si le tempo nous a semblé exagérement lent dans l'air d'Aricie Temple sacré, la tension dramatique y est nettement palpable. Et les deux sommets orchestraux que sont l'air des Enfers (à l'acte II) et le Frémissement des flots (à l'acte III) sont rendus avec une force et une conviction qui n'ont rien à envier à des formations plus larges. La dynamique orchestrale ne se dément pas, elle expose avec conviction les délicates atmosphères sonores des parties purement instrumentales des Surprises de l'Amour : la fraîche et champêtre ouverture de la première entrée, la précieuse sarabande suivie de la joyeuse gavotte, le vigoureux air des Sylvains rehaussé de l'élégant traverso.
Les chanteurs ne s'avèrent malheureusement pas tout à fait à la hauteur de cette belle performance orchestrale. La cause en tient à notre sens à une absence de familiarité suffisante avec le délicat répertoire ramiste. Les rôles masculins constituent incontestablement des points faibles de cette distribution. Dans le rôle de Linus, Tiago Matos fait montre d'une diction quelque peu sourde, empâtée par un accent gênant, qui nuit à ses efforts d'expressivité (Que les Muses, que les Sylvains). Il est particulièrement décevant dans le grand air de Thésée Puissant maître des flots, avec des ornements qui s'étirent de manière inconsidérée, créant des effets hors de propos dans ce répertoire ; même s'il se rattrappe un peu dans la seconde partie (Hippolyte m'a fait). Pour incarner Hippolyte Joao Pedro-Cabral manque cruellement de la technique indispensable à un haute-contre, dont la voix doit évoluer sans effort apparent dans les aigus. Sa diction est elle aussi un peu sourde, et son élocution laborieuse (Non, dans l'art de régner). Il se livre également à des effets outrés dans les instants les plus dramatiques (Ah faut-il en un jour), qui en brisent toute l'intensité et ne sont pas loin de verser dans le comique. Son expressivité est toutefois indéniable.
Dans le rôle de L'Amour, Andrea Soare affiche un timbre un peu terne, malgré une réelle inspiration et un bon sens des nuances (Par un enchantement). Son incarnation d'Aricie manque un peu d'ampleur vocale (Hippolyte amoureux), elle est toutefois émaillée de jolis accents. On retiendra plutôt ses intonations délicates et émouvantes dans le Dieux ! Pourquoi séparer deux coeurs. Malgré les jolis ornements d'Aricie, les beaux duos avec Hippolyte (Tu règnes sur nos coeurs et Nous allons nous jurer) sont à peine corrects. L'Uranie d'Armelle Khourdoïan est nettement plus convaincante. Son timbre mat, relevé d'une pointe d'acidité qui lui donne une incontestable fraîcheur, nous offre des attaques précises et vigoureuses (Douce volupté d'un coeur tendre et La sagesse est de bien aimer).
Elodie Hache domine sans conteste ce plateau. Elle incarne une Phèdre quasi parfaite, avec de belles attaques (Tremblez redoutez ma vengeance : on eût toutefois apprécié une couleur plus corsée, mieux adaptée à cet instant dramtique), et de beaux éclats cristallins qui ponctuent sa diction impeccable (Cruelle mère des Amours). Elle domine sans peine le duo avec Hippolyte (Ma fureur va tout entreprendre).
Ajoutons aussi que la prise de son, si elle rend fidélement justice aux nuances de l'orchestre, tend à placer les voix sur le même plan que les instruments, voire en arrière-plan, ce qui ne facilite guère leur mise en valeur.
Retenons donc essentiellement la performance des Folies françoises qui tiennent le pari audacieux de cette production, et celle d'Elodie Hache, que l'on a hâte d'entendre à nouveau dans le répertoire baroque français.

Publié le 30 mars 2016 par Bruno MAURY