Cantatas for Soprano - Obeo Concerto

Cantatas for Soprano - Obeo Concerto ©Mirco Magliocca
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Encore une fois, et ce sans effet de redondance, Johannes Pramsohler a le don absolu de « dénicher » de rares et inestimables pépites de la musique baroque comme le compositeur italien Giovanni Alberto Ristori (1692-1753). Malgré sa renommée à l’époque, son nom est fort peu connu de nos jours à part auprès de quelques initiés…

Pour remédier à cela, Johannes Pramsohler lui consacre son nouvel enregistrement intitulé Cantatas for Soprano & Obeo Concert. Il s’entoure de la soprano argentine María Savastano et de son Ensemble Diderot qu’il a fondé en 2008, diamants vocal et instrumental à l’exceptionnelle pureté ! Aucune inclusion, (aucun crapaud) ne viendra ternir la brillance.
La minutie apportée à la présentation du coffret place l’enregistrement sous d’excellents augures qui seront confirmés à l’écoute du disque.

G. A. Ristori peut figurer parmi les nombreux hommages rendus à la musique composée à Dresde, notamment celle écrite lors des règnes du prince électeur Frédéric-Auguste II de Saxe, dit « le Fort », (1670-1733) et de son fils Auguste III (1696-1763).
Associer son nom à d’autres compositeurs, célèbres à cette période, ne relève d’aucune hérésie. Il peut « siéger » fièrement aux côtés de Johann Adolph Hasse (1699-1783), Jan Dismas Zelenka (1679-1745), Johann Georg Pisendel (1687-1755), ...

Pendant quarante ans près de la cour saxo-polonaise, il occupa différentes fonctions : membre de la « Dresdner Hofkapelle », titulaire des orgues de l’église catholique de la cour, claveciniste à l’opéra et au palais royal, maître de musique de la famille souveraine et compositeur officiel de la « musique italienne » à Varsovie.
La production d’œuvres s’étend de manière assez éclectique. Il composa des « intermezzi » – intermède : pièce musicale, instrumentale ou vocale, agrémentée parfois de danse ou de pantomime, insérée dans une œuvre dramatique lyrique ou chorégraphique –, sérénades, musique sacrée, cantates, concertos, opéras. Aucune de ses œuvres ne sera publiée de son vivant.
Lors de son arrivée en Saxe en 1735, sa réputation l’a devancé grâce au triomphe d’Orlando, opéra créé à Venise vers 1713-1714. La période dresdoise de composition commence en 1718 avec l’opéra Cleonice, puis Calandro en 1726 et Un pazzo ne fà cento, ovvero Don Chisciotte en 1727.
Au décès d’Auguste II le 1er février 1733, le poste d’organiste de chambre lui sera attribué entraînant une perte pécuniaire conséquente. Il n’en demeurera pas moins productif puisqu’entre 1735 et 1738, il composera des duos sacrés Divoti Affetti alla Passione di Nostro Signore et le Stabat Mater (écriture musicale la plus ancienne connue à ce jour faite par un compositeur de la cour de Dresde).
Ristori meurt le 07 février 1753 et tombe dans l’oubli, sort banal réservé à bon nombre de compositeurs du XVIIIème siècle.

Trois cantates pour soprane accompagnées d’instruments et un concerto pour hautbois composent ce CD, objet de la présente chronique.
Les deux premières cantates datées de 1748 – Lavinia a Turno et Didone abbandonata – se réfèrent à l’Enéide de Virgile relatant les épreuves du troyen Enée depuis la prise de Troyes jusqu’à son installation dans le Latium, région d’Italie centrale occidentale.
Lavinia a Turno est une tragédie dans laquelle le roi Latinus souhaite marier sa fille Lavinia à Enée, promise à Turnus. Quant à la seconde, il s’agit du récit tragique sur le suicide de Didon délaissée par son amant Enée.
La troisième cantate Nice a Tirsi (circa 1749), de par le thème développé, demeure la plus joyeuse. Elle narre le duo amoureux formé par Nice et Tirsis.

Le schéma de composition des trois cantates répond au modèle napolitain à quatre mouvements : récitatif, aria (da capo, air avec reprise de forme A-B-A), récitatif et aria (da capo). Une petite exception est faite pour Didone abbandonata où une brève marche introduit la pièce. Ristori confère aux récitatifs dits « accompagnato » – « accompagnés » une portée hautement dramatique par les attaques franches, les notes tenues ou liées, les croches rapides ou les triples croches (staccatissimo, notes très brèves) des cordes. Les envolées sont majestueuses tout en conservant un naturel musical. Pour contrebalancer les récitatifs accentués, les airs révèlent une dynamique aux tempos variés : « largo » - « tempo large, lent », « andante » - « allant, modéré », « allegro » - « vif, gai, assez vite »,…, et, sont dotés d’une palette de nuances s’étendant du « piano » - « doucement », « un poco forte » - « un peu fort », « fortissimo » - « extrêmement fort ». Ces attentions attribuent un caractère vivant à la musique, en plein mouvement.

Les trois cantates sont magnifiquement voire sublimement interprétées vocalement par la soprano María Savastano. Les récitatifs sont déclamés avec justesse tels le prenant Deh ! Senti, O Turno amato ! Sentimi, per pietaAh ! Ecoute, ô Turnus adoré ! Ecoute-moi, par pitié (piste 01), premier récitatif extrait de Lavinia a Turno ou bien encore le fallacieux Dunque il perfido Enea si dispone a partir ?Donc le perfide Enée se dispose à partir ? (p. 06) de Didone abbandonata.
L’énoncé vocal, ainsi développé et maîtrisé par la soprane, se calque sur la formule mélodique et/ou rythmique du madrigal : pièce poético-musicale, polyphonique ou monodique, pour voix, avec ou sans accompagnement.
L’excellente technique vocale, dont fait preuve la soprano, renforce avec puissance l’expression et ce dans une juste quête interprétative. L’accentuation ne souffre d’aucune exagération. L’aria Qual cruda pena amara, che rio tormento è questo. Non hò più speme, e resto vittima del dolorQuelle peine amère et cruelle, quell féroce tourment est-ce là. Je n’ai plus d’espoir, et je reste victime de ma douleur (p. 04), Lavinia a Turno adopte un mimétisme lointain d’une « cabaletta » (dans l’opéra italien, deuxième partie virtuose d’un air soliste, suivant en général une interruption de la première partie de l’air avec ici un « da capo » final sur M’affreta il Padre all’araLe Père me pousse vers l’autel).
La voix prend une couleur dite « lusingando », avec une expression caressante suivant l’impulsion des instruments sur le plus envoûtant des arias de ce disque. Quante volte in dolci accenti mi giurasti amor constanteCombien de fois par de doux accents, tu m’as juré un amour constant (p. 07) chante Didon abandonnée. Les trilles et les aigus sont aériens.
La dernière cantate Nice a Tirsi emploie un ton lumineux, majestueux relevé par le chant affettuoso de la soprano dans l’aria Non v’è duolo uguale al moiIl n’est point de douleur égale à la mienne (p. 11). Ecoutons la poésie qui se dégage du chant. Le saut d’octave du la au la aigu s’exécute sans accroche, ni passage agressif envers l’ouïe. La reprise reformule avec beaucoup de finesse l’écriture musicale. L’ornementation est divine tout comme María Savastano.

A cette fabuleuse voix au large spectre, il convient de saluer tous les musiciens de l’Ensemble Diderot pour leur sublimissime interprétation des trois cantates.
Ils soutiendront avec aisance le chant développant les harmonies par touches d’accord à deux voix (Lavinia a Turno), technique développée dans l’orchestration de la musique composée à Dresde à partir de 1730. Les hautbois de Jon Olaberria et de Priska Comploi joueront un rôle de renfort pour les cordes (violons I : Holly Harman, Izieh Henry, violons II : Roldán Bernabé, Maya Enokida, Veronika Egger, Céline Martel, altos : Katharina Egger, Samuel Hengebaert, violoncelles : Gulrim Choï, Thibaut Reznicek et violone : Ludovic Coutineau) particulièrement dans Didone abbandonata dans les ritournelles (phrase instrumentale qui précède et termine un air ou en sépare les strophes) ou sur les rapides coups d’archet tout près du chevalet, selon la technique dite « sul ponticello », lors du récitatif Che l’ombra mia tradita tuberlata sapràCar mon ombre trahie saura troubler ta quiétude (p. 08). Le son est comme poudré. Leur virtuosité est indéniable.
Le Concerto en mi bémol majeur pour hautbois et orchestre (p. 14 à 17), pièce purement instrumentale, consacre le talent et la qualité de l’ensemble. Saisissons le délicat phrasé du hautbois tenu par Jon Olaberria soutenu par le continuo notamment interprété au clavecin par Philippe Grisvard, fidèle parmi les fidèles de Johannes Pramsohler.
Que le rythme des mouvements « Andante, Allegro, Grave, Allegro » soit binaire ou ternaire, les articulations demeurent fines dans la maîtrise des attaques, dans les silences d’articulations invitant au premier plan l’expression. Elles sont en rapport direct et étroit avec la technique de jeu lié (« legato »), détaché (« staccato »), etc.

La quête, la ruée vers l’or emportent tous les suffrages…
Johannes Pramsohler nous prouve que le filon de la mine « Baroque » est quasi inépuisable.
Les 68 minutes du disque ont semé l’envie de partir à l’écoute de ce joyau, d’être en veine de choyer au plus profond de nous la précieuse pépite. Nous ne manquerons pas de l’arborer aux yeux du monde.



Publié le 16 juin 2017 par Jean-Stéphane SOURD DURAND