Silentium - Motets pour Taille

Silentium - Motets pour Taille ©
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Dans la bibliothèque du chantre

Silentium. Voilà d’emblée un mot musical par essence. Nécessité pour écouter, pour prier, pour respirer et pour chanter. Saisis aussitôt par cette injonction, nous entrons dans un projet finement ciselé par l’originalité du contexte imaginé et le soin extrême apporté à sa réalisation.

L’ensemble Sébastien de Brossard, qui s’était distingué, il n’y a pas si longtemps, au travers de magnifiques Motets à trois voix d’hommes et simphonies de Louis-Nicolas Clérambault (lire la chronique correspondante), nous fait entrer ici dans la bibliothèque musicale d’un musicien bien oublié de nos jours : Jean-Baptiste Matho (1663-1746). Ce breton, qui devint chantre à la Chapelle Royale, était connu pour sa remarquable voix de taille, ce registre intermédiaire entre la haute-contre et la basse-taille, si caractéristiques de la musique française, sacrée comme profane. Des extraits de sa Tragédie en musique Arion ont fait l’objet d’une réalisation modeste par l’ensemble Il Teatro Musicale, sous la direction de Frédérique Chauvet, et paru sous le label Arcobaleno en 1999. Fabien Armengaud et son ensemble ont sollicité Jean-François Novelli pour s’unir à ce programme de petits motets de la toute fin du XVIIe et du début du XVIIIe siècles.

Le savant Sébastien de Brossard ouvre donc ce temps de méditation musicale par ce Silentium, dont le texte s’inspire du Cantique des Cantiques, et s’avère plein de tendresse. Bien que ne faisant pas partie du Prodomus musicalis, il en rappelle le style. C’est à Daniel Danielis, le maître de musique de la cathédrale de Vannes à l’époque qu’on en doit la copie. Heureusement, se dit-on ! Il eut été bien regrettable de perdre une telle page.

Deux œuvres de Pierre Bouteiller, maître de chapelle de la cathédrale de Châlons-en-Champagne sont situées en miroir l’une de l’autre dans le programme, toutes deux consacrées au Saint-Sacrement. Le O salutaris Hostia s’ouvre sur un prélude plein de gravité où les violes de Yuka Saïtô et Matthieu Lusson font merveille, enrobant la voix de leur beau velouté. Cette impression se retrouve, encore augmentée, dans le Tantum ergo, d’une facture comparable mais peut-être avec encore davantage de profondeur, avec sa texture dense à quatre parties. Nous ne sommes pas loin des récits de « tierce en taille » des grands organistes du siècle, dont la noblesse est ici palpable. Suspensions, longues tenues : tout concourt ici au recueillement.

André Campra apporte le charme de l’italianisme assumé de sa musique, ce qui nous vaut deux très beaux motets. Le premier Quis ego s’ouvre sur un prélude confié aux violons chauds et délicats de Stéphan Dudermel et François Costa avant que ceux-ci ne déroulent leurs motifs en fanfares pour revenir à leur douceur initiale, dans un magnifique da capo. Le verset suivant Ecce quantum les fait à nouveau chanter avant que la voix ne s’empare de leur matériau. Initialement conçu pour une voix de haute-contre pour sa publication chez Ballard en 1703, ce motet se retrouve également dans une transcription pour taille, et donc transposée, conservée à Uppsala en Suède. On sait gré à Fabien Armengaud d’avoir restitué cette version absolument splendide. Le Nunc dimittis, Cantique de Siméon, fait dialoguer cette fois-ci la voix avec une basse de viole, configuration peu fréquente, qui nous vaut là aussi de bien beaux moments, où au récit inaugural grave, succède un mouvement très allant sur Lumen et revelationem gentium.

Les trois petits motets de Charpentier sont des modèles de concentration, qui en quelques pages seulement parcourent des climats contrastés passant de l’adoration mystique (O pretiosum et admirabile convivium), au culte marial (Salve Regina des Jésuites) et enfin à la louange (Lauda Sion Salvatorem).

Les pages purement instrumentales de Henry Du Mont, allemande et pavane (au clavecin), ainsi qu’une simphonie de Louis Couperin (à l’orgue et à la viole) ménagent une pause indispensable, pour permettre à l’ensemble de respirer. On aurait aimé toutefois que la prise de son rende davantage hommage au théorbe discret mais efficace de Stéphanie Petibon.

Que dire de Jean-François Novelli, si ce n’est qu’il nous enchante littéralement ? Sa voix, splendide, nous révèle d’indéniables qualités, page après page. C’est une véritable prouesse de tenir un intérêt constant dans un répertoire, qui en raison de son économie de moyens, évite tout effet facile. Or, au travers d’une palette expressive riche, d’une diction impeccable et d’un engagement total, il nous met en présence de Matho qu’on imagine, enthousiaste, feuillant ses précieux recueils et voulant aussitôt transmettre la beauté de telle phrase, l’heureux dialogue entre la voix et les instruments, l’art consommé des enchaînements, les délices des « goûts réunis », au service d’une prière toujours sincère.

Louons Fabien Armengaud d’avoir su se montrer aussi convaincant pour mener à bien un tel projet. Soulignons encore l’extrême qualité de la notice de Jean Duron, qui fournit une mine d’informations au sujet des œuvres, rendant sa lecture passionnante.

Véritable joyau conclusif, écoutez le Quando veniam de Suffret, un musicien dont nous ne savons rien, hormis qu’il avait l’étoffe d’un grand compositeur, si l’on se réfère à ce motet. Plein d’expressivité dans son volet introductif, il débouche après un court passage en récitatif sur une véritable berceuse, sur les paroles Deficit anima mea (mon âme à défailli). La basse est jouée pincée sans l’archet, avec le soutien de l’orgue dans un doux balancement, qui vous envoûte et vous transporte directement aux cieux. Puis vient le temps de la jubilation, le mouvement s’accélère, les vocalises s’envolent. Mais c’est sur une fin pleine de douceur et de tendresse que s’achève le O quam dulce est, que les violons viennent caresser, avant que le silence ne vienne prolonger cette extase.



Publié le 07 mars 2018 par Stefan Wandriesse