Johann Adolf Hasse - Complete Solo Cantatas

Johann Adolf Hasse - Complete Solo Cantatas ©David Baker - Hasse en 1740, peint par Balthasar denner
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Le label anglais Toccata Classics offre la possibilité de découvrir une autre facette d’un des maîtres de l’opera seria italien au XVIIIème siècle : Johann Adolf Hasse (1699-1783).
Après s’être brillamment illustré dans l’œuvre lyrique puisqu’il a créé pas moins de 56 opéras, le Cher Saxon s’est distingué dans la musique sacrée en composant de nombreuses œuvres religieuses : antiennes mariales, litanies, messes, motets, oratorios, psaumes, mais également des cantates, objet de ce présent enregistrement.
Une petite anecdote à ce sujet… : Après son apostasie de la religion luthérienne au début des années 1720, Hasse s’est converti au catholicisme.

Les œuvres gravées sur ce premier volume répondent au genre de cantates de chambre composées pour voix soliste accompagnée de la basse continue, appelée continuo.
Les cantates et les opéras sont étroitement liés et s’argumentent entre récitatifs et arias. Mais la principale différence entre ces deux styles, est la primauté laissée à la voix seule dans les cantates.
Est-ce dû à sa magnifique voix ou bien à celle de son épouse, la célèbre mezzo-soprano Faustina Bordoni, que le Cher Saxon attribue une place prépondérante à la voix ?
Dans ses cantates, il place la voix au cœur de l’attention. Le contrepoint s’exprime le plus « discrètement » possible au profit de la ligne mélodique. Il met la musique au service de la sémantique. Les syllabes accentuées ou non des paroles se calquent sur les temps forts ou faibles de la musique. Il n’est pas rare de relever dans les cantates une multitude d’ornements mélodiques telles l’appogiature et la syncope, etc. La recherche du sens rythmique est une des principales préoccupations du compositeur. Les mots doivent répondre à la musique, et inversement.
Tout ce travail révèle entre autre la virtuosité des chanteurs à exécuter les vocalises d’un répertoire richement orné. Les trilles, les arpèges, les notes piquées s’enchaînent à vitesse folle nous emportant dans un véloce tourbillon nourri par la colorature.
Cependant, toute cette ivresse de notes n’altère ni la douceur, ni la délicatesse qui se dégagent du propos amoureux. L’expression des sentiments ne connaît aucune limite même lorsque l’amour se montre cruel !

A la lecture du livret, les trois cantates - Credi, o caro, alla speranza ; Ah, per pietade almeno et Lascia i fior, l’erbette, e’l rio - interprétées par la soprane Jana Dvořáková sont construites sous un schéma fort intéressant : air, récitatif, air. Le récitatif ne sert que de pont reliant le premier aria lent (largo) au second, au tempo plus rapide (allegro). Il permet au compositeur et à l’interprète de formuler le plus expressivement possible le caractère dramatique des cantates. Un des plus beaux exemples est l’amour porté par une bergère au pâtre Tirsi dans la cantate Credi, o caro, alla speranza. L’aria patetica d’ouverture signe la maîtrise mélodique du maestro renforcée par la fraîcheur vocale de la soprane. Le violoncelle de Rozálie Kousalíková insuffle la cadence. L’ostinato est fondé sur le jeu du violoncelle, qui répète obstinément une formule rythmique et harmonique soutenant le chant. Les ornements vocaux de la soprane épousent parfaitement la ligne du continuo. L’émission du souffle est retenue apportant un changement d’affect, effet bien séduisant. Jana Dvořáková émeut par sa lente plainte face à l’inconstance de son amant, le berger.
Dans le plus pur style baroque italien, la seconde cantate Ah, per pietade almeno se montre tout aussi exquise. La soprane se lance à corps perdu dans les effets coloratures avec virtuosité. Le timbre est léger. Les sauts sont aussi aériens, gracieux que la biche galopante. Même blessée par une cruelle flèche, elle demeure resplendissante.
La dernière cantate Lascia i fior, l’erbette, e’l rio, interprétée par la soprane, a été composée dans la première période napolitaine du Cher Saxon. Les pleurs prennent une consistance expressive. Malgré la tristesse, l’image colorée des fleurs et des prairies rehaussent d’une certaine joie le chant.
Jana Dvořáková sert le texte avec une diction irréprochable grâce à sa respiration souple, ce qui favorise la perception du geste à accomplir.

Quant aux trois autres cantates Parto, mia Filli, è vero ; Oh Dio ! Partir conviene et Tanto dunque è si reo, confiées au chant de la mezzo-soprano Veronika Mráčková Fučíková, elles répondent à un autre schéma agencé sous la forme récitatif – air – récitatif – air.
Le premier récitatif de la cantate Parto, mia Filli, è vero évoque de nouveau le départ, la séparation des amants. L’aria Se vola al labbro il cor incarne le chagrin provoqué par le prochain éloignement. Le tempo lent renforce la mélancolie. la mezzo-soprano développe un léger vibrato, auquel certaines oreilles resteront insensibles voire fuyantes. Cette ondulation incessante risque même de porter préjudice à la déclamation du texte. Cependant, la voix de Veronika Mráčková Fučíková confère une couleur sombre aux temps forts, marquant ainsi une vitalité nécessaire à ce genre d’œuvres !
Toujours sur le thème de la séparation, la cantate O dio ! Partir conviene révèle le sens dramatique de la mezzo. Le chromatisme est saisissant. L’andante Oh Dio ! Dirti vorrei joue avec finesse avec les dissonances, relancées avec les fréquentes exclamations. Cet air sied mieux à sa tessiture. Les deux airs se complètent à merveille même avec leur différence tonale : mi-bémol pour le premier, et mi majeur au style enjoué du second.
La dernière cantate Tanto dunque è si reo se livre à dresser le tableau des blessures de l’amour. La passion destructrice est personnifiée avec ardeur.

Ondřej Macek, au clavecin, s’est montré constant dans son accompagnement. Il a su tirer partie de son instrument sans dominer le violoncelle, les voix. Le discours se montre discret, il imite même parfois celui des solistes. Son jeu au clavier est délicieux. Il réalise un continuo soigné. Les harmonies indiquées ou sous-entendues sont fines grâce à son délicat « toucher ».
Qui définit le mieux le terme continuo que Jean-Jacques Rousseau dans son Dictionnaire de Musique, publié en 1767 ? « Basse-continue, ainsi appelée parce qu’elle dure pendant toute la pièce ; son principal usage, outre celui de régler l’harmonie, est de soutenir les voix et conserver le ton. »

Cet enregistrement, révélateur de l’autre facette de Johann Adolf Hasse, mérite de loin une attention toute particulière. Il apporte une nouvelle vision à l’œuvre monumentale du Cher Saxon. Ce premier volume prometteur ouvre la voie à d’autres, qui seront attendus avec hâte…



Publié le 30 nov. 2016 par Jean-Stéphane SOURD DURAND