Sonates - Boismortier

Sonates - Boismortier ©
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Boismortier, le diplomate

Si Hubert Le Blanc avait entrepris dans son traité imprimé à Amsterdam vers 1740 et intitulé Défense de la basse de viole contre les entreprises du violon et les prétentions du violoncelle de prendre fait et cause pour son instrument, Jérôme Chaboseau et Julien Roussel entreprennent de réconcilier viole et violoncelle.

C’est avec gourmandise qu’on déguste cet enregistrement, animé d’une rusticité de bon aloi faisant écho aux rondins de bois sur lesquels s’appuient les deux instruments photographiés en couverture.

Après avoir servi avec bonheur Telemann, en se penchant sur ses fantaisies pour viole seule (lire notre compte-rendu), Jérôme Chaboseau a convié son compère Julien Roussel à signer un traité de paix. Les termes de celui-ci figurent dans l’opus XIV de Joseph Bodin de Boismortier. La gravure de Boivin indique en frontispice que ces six sonates, parues en 1726, sont destinées à « deux bassons, deux violoncelles ou deux violes ». Aussi nos deux musiciens ont-ils choisi une alternative à deux instruments strictement égaux pour marier les deux timbres des deux « superbes ennemis » d’autrefois.

Ces sonates entremêlent habilement style français et style italien et par le croisement des deux parties brouillent les pistes pour savoir qui joue quoi, tant se dégage une égalité entre les deux partenaires, qui s’équilibrent tout à fait.

Comparativement au CD Telemann précédent, le son a gagné en rondeur, ces duos se montrant particulièrement chaleureux dans leurs couleurs. En outre, les reprises permettent davantage d’abandon, ce qui nous vaut quelques beaux « doubles » avec des ornementations fort bien venues, permettant à chacun de briller mais surtout de nous faire part de l’amusement et du plaisir que nos deux musiciens ont dû éprouver en enregistrant de telles pages.

Parmi les plus beaux moments, la première sonate réserve un Lentement splendide, par son dialogue intérieur jusqu’à sa cadence en suspension. La deuxième s’ouvre par une Allemande empreinte de sérénité. Le Lentement, un peu plus loin, chuchote quelque confidence d’importance en neuf mesures. Mais relevons surtout la troisième sonate en ré mineur, sombre et grave, sommet de cet enregistrement, de mon point de vue. Après une Allemande majestueuse, à l’ancienne, une Allemande « légère » badine avec entrain. Le Lentement qui suit offre une belle plainte : chromatisme, soupirs, traits délicats en triples croches. Une gigue volubile vient terminer cette belle sonate. Celle en ré majeur offre une « invention à deux voix » magistrale dans son légèrement qui déploie un contrepoint élégant. La gigue finale évoquerait la chasse avec ses motifs en fanfare et ses effets d’écho. La cinquième sonate en la mineur joue des effets de questions-réponses entre les deux instruments, scindant les motifs de manière parfois très rapprochée avant de s’élancer dans de belles tirades de doubles croches. Le Gracieusement de cette même sonate pourrait évoquer quelque aria de Jean-Baptiste Barrière (1707-1747), même si la substance est moindre sur le plan émotionnel. La dernière sonate fait la part belle à la virtuosité, sa courante abondant en traits véloces. C’est en revanche à Sainte-Colombe qu’on pourrait songer avec la sarabande grave et recueillie qui suit. Pleurs et gémissements savent toucher l’auditeur, au travers de ces sauts de quarte, qui retombent inexorablement. Mais la joie reprend vite ses droits dans l’ultime gigue.

Arrivé à la fin de cette conférence de paix, il vous prendra certainement l’envie que j’ai eue : relancer l’écoute, tant la sympathie qui se dégage ici vous met d’humeur joviale.

NDLR : CD disponible auprès de l’Ensemble Tactus, à l’adresse suivante : ensemble.tactus@gmail.com.



Publié le 12 août 2018 par Stefan Wandriesse