Sonates pour violon & pianoforte (vol. 3) - Mozart

Sonates pour violon & pianoforte (vol. 3) - Mozart ©
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Une version d'exception

Isabelle Faust, violoniste allemande lauréate du concours Paganini à Gênes et Alexander Melnikov, pianiste russe disciple de Sviatoslav Richter, poursuivent l’enregistrement de l’intégrale des sonates pour violon et pianoforte de Mozart en y ajoutant un troisième volume. Quatre sonates sont au programme, écrites par un Mozart jeune mais au sommet de son art, et surtout un Mozart qui connaissait et pratiquait les deux instruments ! Cependant, l’originalité de cette intégrale en cours tient essentiellement à un choix esthétique sonore induisant une écoute totalement différente puisque les deux musiciens ont choisi d’interpréter ces pièces sur instruments d’époque : un violon signé Stradivarius monté en cordes boyaux et un pianoforte copie d’un instrument original d’Anton Walter de 1795 fabriqué par le facteur allemand Christoph Kern. La présentation des deux instruments est donc un préalable indispensable, ceux-ci contribuant à l’originalité de cet enregistrement…

Deux instruments d’exception


Violon Stradivarius Sleeping Beauty - 1704

Tout d’abord, l’histoire de ce magnifique violon fabriqué par Stradivarius en 1704, répertorié sous le nom de « Sleeping Beauty » (la beauté endormie, et par extension « La Belle au bois dormant ») est des plus singulières qui soit, elle a même réellement tout d’un conte de fées ! Acheté par le baron allemand Franz Wolfgang von Boeselager zu Nehlen durant un voyage en Italie en 1724, le violon tombe dans l’oubli, abandonné dans les combles du château familial jusqu'à la fin du XIXème siècle ou il est fortuitement redécouvert par ses descendants. Joué durant quelques années par la baronne Wilma von Boeselager au tout début du XXème siècle jusqu’à ce que la guerre de 1914 éclate, il se retrouve alors placé dans un coffre-fort de banque dans lequel il sommeillera encore quatre-vingts ans ans avant d’être redécouvert à nouveau, et acheté par la Landeskreditbank Baden Württemberg pour être mis à la disposition d’Isabelle Faust en 1995. Ce violon n’a donc été vraisemblablement joué, depuis sa fabrication il y a plus de trois siècles, que par deux personnes seulement : la baronne Von Boeselager et...Isabelle Faust qui l’a donc tiré d’un long sommeil ! De ce fait, ce violon est parvenu au XXIème siècle dans un état exceptionnel, il est même l’un des rares violon de Stradivarius à avoir conservé son manche d'origine du XVIIIème siècle !


Pianoforte d’Anton Walter - Vienne

Enfin, qu’est ce que le pianoforte par rapport au piano ou au clavecin ? Le pianoforte est en fait l’ancêtre du piano, les cordes ne sont plus pincées comme sur le clavecin, mais frappées par de petites masses actionnées par le clavier, ce qui permet de pouvoir nuancer le jeu du pianissimo ou fortissimo en fonction de la force avec laquelle la touche est actionnée, chose impossible au clavecin. L’instrument, inventé par Bartolomeo Cristofori, de dimensions comparables à celles d'un clavecin, offre une vaste palette sonore riche en harmoniques. Divers perfectionnements apportés notamment par les facteurs allemands ont favorisé peu à peu son évolution vers le piano actuel qui bénéficie d’un cadre plus rigide permettant des tensions de cordes beaucoup plus élevées, donc une plus grande puissance sonore. Le pianoforte est donc totalement adapté à la musique de la seconde partie du XVIIIème siècle et on sait que Mozart appréciait tout particulièrement les instruments de Walter notamment pour en avoir acquis un vers 1782.

Style galant

Mozart peut il être considéré encore comme un compositeur de la période baroque ? A proprement parler, non, hormis à travers quelques unes de ses œuvres de prime jeunesse. Il demeure cependant sans conteste LE compositeur emblématique de la période dite classique qui marque la fin du style musical purement baroque et son évolution vers le style dit galant. Quant au style propre à Mozart il est unique et immédiatement reconnaissables entre tous ! Les quatre sonates proposées à l’écoute s’affranchissent du « modèle » baroque où le clavier domine et le violon accompagne en inversant les rôles par moments, et au final en conférant aux deux instruments un rôle de même d’importance. En fait, ces sonates sont ni plus ni moins que des duos dans lesquels chaque instrument est placé sur un même pied d’égalité.

C’est la sonate en sol majeur K379 qui tient lieu d’introduction au programme de cet enregistrement. Elle fut composée en avril 1781 (et publiée la même année sous l'Opus 2 avec cinq autres sonates dont la K377 qui suit dans cet enregistrement) à la demande du prince-archevêque de Salzbourg Colloredo pour un concert privé destinée à faire jouer Antonio Brunetti, violon solo de l’orchestre de Salzbourg. Mozart composa cette sonate à la hâte (en une heure selon la légende…) sans avoir le temps d’écrire sur papier la partie piano qu’il joua de mémoire lors de sa création. Malgré ces circonstances très particulières dans lesquelles cette sonate fut écrite, elle est loin d’être « bâclée » et figure même parmi les plus belles et les plus originales que Mozart composa pour ces deux instruments. Dès les premières mesures, c’est avant tout le son qui retient l’attention de l’auditeur !

Une sonorité riche en harmoniques

Une brève introduction de quelques mesures par le pianoforte seul laisse entrevoir d’emblée une sonorité claire, transparente, riche en harmoniques… avant l’entrée en scène du violon dont le son absolument magnifique séduit immédiatement. La complicité entre deux musiciens habitués à jouer ensemble se ressent comme une évidence. La sonate débute par un bel Adagio assez élaboré, suivi d’une reprise de son thème, auquel succède un Allegro plein de fougue écrit en mode mineur, pour s’achever sur un thème avec variations qui n’est pas sans rappeler le lied de Franz Schubert, Im Frühling. Schubert joua-t-il cette sonate à laquelle son lied semble faire écho ?

L’avant dernière variation en pizzicato pianissimo-forte-pianissimo est une authentique merveille ! Mais ce dernier mouvement dans lequel piano et violon développent un discours d’égal à égal est à lui tout seul un moment de pur bonheur musical.

La sonate en fa majeur K377 qui suit est extraite du même opus que la précédente et fut composée la même année. On en retiendra en particulier le second mouvement Andante avec son thème suivi de variations, une forme musicale dans laquelle Mozart excellait. Ce deuxième mouvement « bascule » en mode mineur (ré mineur), exceptée la cinquième variation en ré majeur qui créée un habile contraste par le changement d’atmosphère qu’elle produit, une marque du génie de Mozart qui créé ici un subtil dialogue entre les deux instruments. Le Tempo di Minuetto tient lieu de conclusion en renouant avec le mode majeur d’origine.

La sonate K302 est l’une des sonates de l’Opus 1 dites « Palatines »(car dédiées à la princesse Marie Élisabeth, Electrice du Palatinat). Composée en 1778, donc antérieure aux deux premières, elle comprend deux mouvements seulement, écrits dans une même tonalité de mi bémol majeur. Un modèle du style galant, celle-ci se termine sur un Rondeau-Andante Grazioso dans lequel les deux musiciens offrent le meilleur dans ce duo violon/ piano tout en finesses! Le programme s’achève par la sonate en si bémol majeur K454 composée en 1784, donc la plus tardive des quatre présentées ici. Elle fut créée par Regina Strinasacchi, violoniste de renom, mais aussi guitariste, et jouée pour la première fois par Mozart devant l’empereur Joseph II, celui là même qui s’est rendu célèbre auprès des musiciens par sa fameuse citation sur un possible excédent de notes dans L’enlèvement au Sérail. De même que pour la sonate K379, Mozart assura l’accompagnement au piano lors de sa création en jouant sa partie de mémoire car il n’avait (une fois de plus…) pas trouvé le temps de la coucher sur papier !!! Écrite en trois mouvements , Largo-Allegro en si bémol majeur, Andante en mi bémol puis Allegretto en si bémol majeur, elles témoignent d’un compositeur au sommet de son art.

Un sommet de la musique de chambre

Ces sonates de Mozart constituent un sommet de la musique de chambre dans lequel le compositeur explore toutes les possibilités d’expression offertes par le duo violon/ piano, chacun des deux instruments étant tour à tour accompagnant et accompagné. L’équilibre entre les deux instruments paraît totalement naturel, et les deux musiciens interprètent ces pièces avec rigueur et surtout avec une grande élégance. Leur jeu presque aérien se distingue par une grande expressivité, servi par des nuances et des ornementations d’une extrême finesse tout en conservant toujours ce soupçon de fantaisie nécessaire pour interpréter Mozart.

Le timbre clair et la magnifique palette sonore du pianoforte alliée au superbe son d’un violon historique d’exception sont servis par un enregistrement parfait. Isabelle Faust et Alexander Melnikov offrent à l’auditeur une véritable redécouverte de ces œuvres pourtant enregistrées des dizaines de fois ! Seuls Sigiswald Kuijken et Luc Devos ont proposé par le passé une intégrale enregistrée sur sur instruments d’époque, mais sans atteindre la quasi perfection de la présente version, en particulier au niveau du son ! Une véritable révélation pour cette interprétation jouée au diapason baroque de Mozart (422 Hz), très intimiste, sans artifices, débarrassée de toute lourdeur, qui comptera assurément parmi les meilleures versions.



Publié le 06 mai 2021 par Eric Lambert