Fago (volume 2) - Strano

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Fago : intérêt confirmé d’une résurrection

Nous avions aimé le volume 1 de ce travail musical et musicographique consacré à l’œuvre de Francesco Nicola Fago (lire notre compte-rendu) et ce deuxième volume est tout aussi intéressant et confirme que Fago mérite cette redécouverte car, à l’écoute, il ne saurait être tenu pour un compositeur mineur ou secondaire, dans cette période et ces lieux dans lesquels abondent pourtant les compositeurs.

Rappelons que la cantate « de chambre » est un style très en vogue à l'époque et connaît ses plus grands compositeurs à Venise (Cesti, Vivaldi...) et surtout à Naples (avec Porpora, Sarro, Vinci, Mancini, Scarlatti...). Elle permet de donner des concerts « à domicile » en représentant un mélodrame miniature (un mini opéra) avec des effectifs réduits de musiciens et un chanteur en vue, parfois deux (et bien sûr singulièrement des castrats). La forme est celle d'une succession de récitatifs et d'airs. Mettant en avant la virtuosité des interprètes, elle joue un rôle important dans la vie sociale aristocratique dont elle anime les salons. Historiquement, la cantate est née du madrigal ; elle est généralement conçue pour voix seule et continuo, et souvent enrichie de quelques instruments qui développent la mélodie.

Des cinquante-et-une cantates attribuées à Fago, ce nouvel enregistrement de Toccata Classics en présente six, qui alternent avec cinq Toccatas pour violoncelle de Scipriani, lui même violoncelliste virtuose. Ces six cantates auraient été écrites pour le célèbre castrat Nicolino, beau-frère de Fago. Enfin, Riccardo Angelo Strano a composé lui même les intéressantes et complexes variations et ornementation de chaque Da Capo.

Tous les enregistrements de Fago présentés ici sont des premières et cet album est également le deuxième enregistrement solo du jeune contre-ténor Riccardo Angelo Strano (il est né à Catane en 1988), identiquement consacré aux cantates de Fago.

Deux années séparent les enregistrements des volumes 1 et 2 et cet écart permet de mesurer les évolutions de la voix et de l’art de Riccardo Angelo Strano. A l’écoute, et d’une façon générale, l’aigu semble avoir gagné en coloration et en velouté, les graves sont plus naturels et le medium a conservé et amélioré sa couleur ambrée, sa précision et ses qualités illustratives. La diction est ciselée, le registre très homogène et le style a toujours cette grande élégance qui nous avait frappé. Les capacités d’ornementation sont intactes et restent totalement dépourvues d’affectation, donnant à l’ensemble de ce travail un grand naturel.

Le Che vuoi , moi cor, Che vuoi ? qui ouvre l’enregistrement fait état d’un haut du registre qui a gagné en couleurs et en velouté. Le medium est très beau et quelques graves sont vraiment très réussis. Mais on retrouve aussi certains aigus un peu durs, faute à une écriture qui sollicite trop le haut de la tessiture. Le Doppo mille martiri est l’un des sommets de cet enregistrement. L’interprétation est très belle même si on retrouve certaines duretés dans l’aigu et même si l’écriture bouscule un peu l’homogénéité des registres du contre ténor dans la première partie de la cantate. La seconde partie est superbe. Le medium est vraiment très beau. L’accompagnement au violoncelle est superbe.

Ingegni curiosi se déploie sur un rythme enlevé qui convient bien aux moyens de Strano, lequel entame cette cantate avec un récitatif superbement conduit. Non credo che vi sia maggior tormento renoue avec cette triste mélancolie qui traverse presque tout l’album et qui sied particulièrement à la voix et à l’interprétation de Riccardo A. Strano malgré une écriture là encore un peu haute, qui durcit certains aigus.

Le récitatif de E ben chiara ragione est plus convenu mais très vite s’impose une ineffable mélancolie, splendidement rendue par un Strano dont le chant se fait comme chuchotement par moments. C’est très beau.

Destati omai dal sonno est la plus mélodramatique des cantates présentes sur cet enregistrement avec un 1er récitatif impressionnant de maîtrise. L’écriture sollicite beaucoup l’ensemble de la tessiture et notamment le bas medium. Riccardo A. Strano y montre une homogénéité remarquable des registres et une grande aisance dans les passages. L’interprétation virtuose est très fluide et le timbre est vraiment bien mis en valeur par une partition soignée et expressive.

Les cinq courtes toccatas de Scipriani ne s’imposaient pas dans ce programme qui eût gagné à rester centré sur Fago. Mais le travail de Sabine Manzo et des autres solistes, au premier rang desquels Claudio Mastrangelo, doit être salué. Si j’ai moins apprécié les toccatas 6 et 1, la n° 10 est très belle , la 9 est plaisamment virtuose et la n°7, un rien primesautière, est des plus agréables. D’une façon générale, l’ Ensemble Barocco della Cappella Musicale Santa Teresa dei Maschi offre un très bel accompagnement, attentif, à Ricardo Angelo Strano dont le timbre se marie parfaitement avec le violoncelle.

Doté de qualités rares de technique et d'interprétation (qui font tout le sel de ce Bel canto), Riccardo Angelo Strano nous donne un bel enregistrement qui met ses qualités en valeur. Ces qualités sont d'autant plus évidentes que l'écriture se déploie dans le medium qui, chez Strano est particulièrement beau avec, sur toute son étendue, une grande richesse de couleurs et une grande aisance dans les colorations.

Au total, ce deuxième opus est une réussite. Un troisième est programmé pour janvier prochain et nous attendrons donc avec plaisir de pouvoir poursuivre notre redécouverte de Fago.



Publié le 03 déc. 2018 par Jean-Luc Izard