Suites royales - Couperin

Suites royales - Couperin ©Emmanuel Jacques
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Tendre mélancolie et gracieuse vocalité de la viole et du clavecin

A la fin de sa vie, le Roi Soleil se montre plus enclin à apprécier la musique de façon plus délicate et intime, plutôt que les ballets et tragédies qui éblouirent la cour lors de sa jeunesse. C’est ainsi que les soirs, enfin libéré du protocole du Grand Coucher, le Roi invitait les musiciens de sa Chambre pour des petits Concerts intimes. François Couperin (1668-1733), un des organistes titulaires de la Chapelle royale et professeur de clavecin de plusieurs membres de la famille royale dont le Dauphin, est invité tous les dimanches à interpréter de ses œuvres devant Louis XIV à l’occasion de ces concerts privés, de 1714 à 1715. Outre les suites instrumentales composées pour l’occasion et publiées en 1722 sous le nom de Concerts Royaux, Couperin « le Grand » a certainement également présenté à ces occasions ses Pièces de Clavecin et ses Pièces de Violes avec la basse chiffrée. Ces dernières furent d’ailleurs longtemps oubliées, souffrant d’abord du déclin de la viole à partir du XVIIIe siècle en faveur du violon et du violoncelle, et aussi parce qu’elles n’étaient signées que par un mystérieux « Mr. F.C. ». Il fallut attendre la redécouverte de l’unique manuscrit à la Bibliothèque nationale de Paris en 1919 pour que l’on ait l’idée de rapprocher ces œuvres et le compositeur et claveciniste, dont on ignorait jusque là son réel intérêt pour cet instrument. Pourtant, la viole est un instrument caractéristique de l’aristocratie française, tout autant presque que le clavecin. En bon représentant et défenseur de la musique française, tout en ayant l’intelligence de s’ouvrir sur le style italien, François Couperin montre indéniablement ici les beautés subtiles de la musique de son pays.

C’est justement cet intérêt pour la viole de gambe, malheureusement encore trop méconnu, de François Couperin que la violiste Claire Gautrot veut défendre, en compagnie du claveciniste Marouan Mankar-Bennis, dans ce nouvel enregistrement produit par L’Encelade. Conscient de l’importance des tonalités dans l’œuvre de Couperin, ils proposent d’associer intelligemment à aux deux premières suites des Pièces de Violes avec la basse chiffrée au Troisième Concert royal et à d’autres œuvres issues des Deuxième et Troisième Livre de Pièces de Clavecin. Ainsi construit autour de la tonalité de La Majeur, ce programme sait charmer l’oreille par ses couleurs aussi mélancoliques que tendres et joyeuses.

Le duo plonge son auditeur dans cette écoute agréablement mélancolique dès le Prélude de la Première Suite de Pièces de Violes, immédiatement frappé par la maîtrise des doubles cordes de la musicienne, permettant d’apprécier les subtilités des différentes voix, l’une pour un chant clair et tendre tandis que l’autre la soutient avec une tendresse plus moelleuse. Les aigus de son instrument sont particulièrement touchants par leur côté tendu sans être jamais métallique, d’où une belle expressivité. Cette dernière est d’ailleurs toujours très patente, notamment grâce à la respiration de Claire Gautrot que la prise de son rend audible juste comme il faut pour que l’on puisse véritablement entendre ses gestes, autant physiques que musicaux. N’est-ce pas justement cela qui nous manque tant lorsque l’on est privé de concert ? On se laisse alors bercer par la naïve Muzette du Troisième Concert Royal, dans laquelle couleurs majeure et mineure semblent se chercher comme dans un jeu de cache-cache. On se laisse ensuite porter par la vocalité tendrement plaintive de la viole dans le Prélude de la très figurative et délicate Deuxième Suite des Pièces de Violes. Après les très belles pages de la Pompe Funèbre de cette même suite, aux délicates doubles cordes qui renvoient non pas à de la tristesse mais plutôt à un doux souvenir, la violiste démontre sa virtuosité avec l’alerte et parfois espiègle Chemise-blanche.

Il est certain que la violiste peut compter sur l’accompagnement de son claveciniste, qui sait prendre la parole pour être lui aussi soliste, dans un dialogue véritable des deux instruments, que l’on savoure notamment dans la Sarabande Grave du Concert Royal. Il est vrai que l’oreille peut être tout d’abord interpellée par l’utilisation du tempérament inégal alors en usage à l’époque : outre le diapason calibré à 392 Hz (soit presque un ton inférieur à notre diapason actuel), certaines notes, telle la sensible, sonne très basse. Pour autant, ce tempérament offre une couleur toute particulière, donnant à la tonalité majeure une teinte moins grandiose et plus nostalgique, voire ainsi peut-être plus gracieuse et élégante. Grâce à ces moments dans lesquels Marouan Mankar-Bennis joue seul, l’auditeur peut être sensible à son art des ornements et des trilles, typiquement français et particulièrement difficiles quant à leur réalisation aussi proche de la subtilité qu’éloignée de l’extravagance italienne, d’où un risque ennuyant de platitude si elle n’est pas maîtrisée. Fort heureusement, tel n’est pas le cas et La Régente ou la Minerve extraite du 15ème Ordre du Troisième Livre de Pièces de Clavecin ne manque ainsi pas de noblesse par ses ornements et sa régularité d’exécution.

Délices de l’élégante poésie de la musique française, telles sont ces suites royales de François Couperin sous les doigts de Claire Gautrot et Marouan Mankar-Bennis. Un bel enregistrement qui nous fera patienter de pouvoir – un jour on l’espère ! – les entendre en concert !



Publié le 01 mai 2021 par Emmanuel Deroeux