Sonates pour violon - Tartini

Sonates pour violon - Tartini ©Sybille Walter
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Quand la Nature inspire la Musique

Théoricien et musicien de l’Illuminismo – mouvement italien précurseur des Lumières, Giuseppe Tartini (1692-1770) est connu pour ses ouvrages pédagogiques, instaurant une nouvelle école de l’archet et inspirant fortement d’autres grands pédagogues du violon tel Leopold Mozart. Il a également laissé de nombreuses sonates, dont la célébrissime Sonate en sol mineur dite Trille du Diable. Ce que l’on sait un peu moins, c’est que Tartini s’inspirait de la lecture poétique pour improviser en quête de la Nature, puisant sa force dans la simplicité de son harmonie et de son expressivité.

Le violoniste Matthieu Camilleri propose ici une interprétation de l’œuvre de Tartini qui se veut d’abord authentique, c’est-à-dire dans un style respectueux de l’héritage du pédagogue mais qui reste propre à l’interprète, comme le préconise justement le maître dans une de ses lettres au poète Francesco Algarotti : « il est impossible qu’un autre homme ait tout à fait mon caractère et mon expression. » Pour cette nouvelle lecture, Matthieu Camilleri puise dans les piccole sonate, sonates du manuscrit de Padoue écrites aux alentours de 1750, destinées à être jouées sans basse, bien que celle-ci soit écrite par convention. Certaines sonates étant incomplètes, voire seulement esquissées, le violoniste en propose des reconstructions improvisées.

Le récital ouvre avec un prélude Capriccio, improvisation sur un motif de l’Allegro de la Sonate XV, qui fait de suite entendre des graves profonds, des médiums chantants et des aigus très agréables. En bref, un violon parfaitement équilibré, œuvre moderne (2004) du luthier Eric Lourme d’après Andrea Guarneri. L’improvisation étant « née du geste et de l’urgence », le discours musical est sans cesse force de propositions, avec une direction entraînante sans être jamais précipitée. Le silence habité qui clôt le prélude amène avec évidence la Sonate XXII en la mineur. Les chants de l’instrument seul sont expressifs, porteurs d’un récit qui attire l’auditeur dans un monde extérieur à ce qui l’entoure et à la fois intérieur à lui-même, où le temps n’existe pas. Tartini a certes parfois laissé des suppliques sur ses partitions, à l’intention de l’interprète mais elles ne sont que suggestions, laissant l’oreille voyager en son for intérieur.

La Sonate XII en sol Majeur débute par l’Aria del Tasso Lieto ti prendo  (Heureux, je te prends dans mes bras), air chanté à la voix sur une basse simple du violon. Matthieu Camilleri se prête lui-même au jeu de l’interprétation vocale, qui se veut toujours simple et naturelle dans l’interprétation, oscillant entre sa voix de tête et celle de poitrine (passage inconfortable, surtout pour un chanteur non professionnel). Son instrument le gênant certainement un peu, et n’ayant pas une technique vocale poussée, l’instrumentiste n’arrive pas à soigner ses fins de phrases, qui manquent de justesse et de direction. Néanmoins, l’auditeur entre ainsi dans un univers nouveau, différent du précédent, avec une attention renouvelée par la curiosité. Le mouvement suivant, Altro grave « Tormento di quest’anima » (Tourment de cette âme) fait effectivement entendre un investissement qui semble profond et tourmenté par la respiration forte que l’on peut entendre. Après la dansante Canzone Venetiana, le violoniste improvise un guilleret et presque naïf aria Quanto mai felici siete innocenti pastorelle (Comme vous êtes heureuses innocentes bergères), sur un texte – implicite à l’écoute mais noté dans le livret – extrait du livret d’opéra Ezio (1728) de Métastase.

Après une relecture improvisée de l’Aria del Tasso, Matthieu Camilleri débute la Sonate en sol mineur avec l’unique mouvement ternaire qu’il nous reste à ce jour. Touché par cette pièce orpheline, l’improvisateur reconstruit la sonate en inventant les trois mouvements suivants. Les deux centraux sont construits à partir de motifs de concertos de Tartini qui ont particulièrement inspiré Camilleri, par leur mélodie et les textes – toujours de Métastase – qui les accompagnent : A rivi a fonti a fiumi correte amare lagrime (Coulez, amère larmes, jusqu’aux ruisseaux  - Concerto n° 96) et Rondinella vaga e bella (Hirondelle gracieuse et belle - Concerto n° 48). Le dernier mouvement est une suite de variations sur une basse comme l’aurait certainement imaginée le maître de Padoue. La fin en suspension prépare délicieusement à l’esseulé mais touchant Solitario Bosco Ombroso (Bois solitaires et ombragés), accompagné dans le recueil d’un poème de Paolo Rolli. Pour finir, il est offert une nouvelle reconstruction de la Sonate en mi mineur à partir des esquisses de la dernière page du manuscrit de Padoue. Comme le suggère l’invocation Senti lo fonte, senti lo mare (Ecoute la source, écoute la mer) du mouvement final Allegro Cantabile, l’inspiration musicale de cette invention authentique est fluide et claire, sans aucun obstacle à son tranquille cours. Etranger à tout spectacle et effet superflu et gratuit, Matthieu Camilleri offre une note finale fidèle à son hommage : douce et légère, laissant l’auditeur dans son état d’appréciation du temps présent.



Publié le 28 juin 2018 par Emmanuel Derœux