Quatuors Parisiens - Telemann

Quatuors Parisiens - Telemann ©Rita Cuggia
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Le plus francophile des compositeurs allemands

Dans son Essai d’une méthode pour apprendre à jouer de la flûte traversière, Johann-Joachim Quantz (1697-1773) écrit : « Un Quatuor ou une sonate à trois instruments concertants sur une basse, est la pierre de touche d’un habile compositeur ; et c’est là où ceux qui ne sont pas encore bien solides dans leur science, peuvent échouer le plus facilement. Les quatuors n’ont jamais été encore beaucoup à la mode, et leur nature ne peut par conséquent être connue à beaucoup de monde. Il est à craindre que cette espèce de musique n’essuie enfin le sort des arts perdus. ».

Jamais à court d’inventivité, le génial Georg Philipp Telemann (1681-1767) se hasarda à expérimenter ce style de composition, en osant mélanger des sonorités et idiomes aussi différents que ceux de la flûte traversière, du violon, de la viole de gambe (ou du violoncelle), soutenus par le clavecin. Publiant lui-même ses compositions, lançant des souscriptions (notamment pour sa fameuse Tafelmusik, où les noms de Haendel, Pisendel, Blavet et Quantz peuvent être relevés), le Director Musices de Hambourg, se fit rapidement une notoriété dépassant largement les frontières allemandes.

Entre 1737 et 1738, le voilà donc pour un séjour prolongé à Paris, lui qui avait appris beaucoup de son métier de compositeur au travers des partitions de Lully et Campra qui lui permirent d’assimiler les arcanes du style français dans sa jeunesse. C’est peut-être Michel Blavet (1700-1768), flûtiste virtuose qui parvint à décider Telemann à venir recueillir des lauriers, notamment au Concert Spirituel avec son grand motet, Deus judicium tuum. Voilà qui nous vaut une douzaine de quatuors, parmi les plus réussis du temps, publiés en deux séries à Paris jouées par Blavet (flûte), Guignon (violon), Forqueray fils (viole de gambe) et Édouard (violoncelle).

C’est avec autant de talent, sans le moindre doute, que les quatre protagonistes de Nevermind prennent la suite de leurs illustres devanciers. Quantz écrivait parmi les principes de composition d’un bon quatuor que « l’on ne doit pas s’apercevoir laquelle des parties a la préférence ». À l’image de cette couverture de l’album qui fusionne les portraits d’Anna Besson, Louis Créac’h, Robin Pharo et Jean Rondeau, l’osmose sonore est totale, malgré les spécificités de timbre de chacun d’entre eux. Complicité, écoute et goût très sûr servent Telemann avec un raffinement extrême, sans se départir pour autant d’un naturel de chaque instant.

Reprenant l’idée d’un mouvement rêveur en guise d’introduction (c’était déjà le cas avec une page de Quentin dans l’album Conversations), c’est en allant puiser dans l’œuvre d’orgue très méconnu que notre quatuor explore une fuguette (plage1), qui s’étire langoureusement, servant de prélude au Quatuor n°4 en si mineur dont le premier mouvement est plein d’allant.

Le caractère français de certaines pages nous vaut des moments de grande poésie. Quelle douceur dans ce coulant de ce même quatuor : on y retrouve la nostalgie de Couperin et de pièces pastorales de Rameau. Le gay du même opus a quelque chose d’une matelote. Peut-être la fréquentation de l’Académie royale de musique par Georg Philipp explique les réminiscences de certaines danses rustiques. Quelle judicieuse idée d’utiliser le traverso piccolo pour le vite qui lui succède ! Anna Besson y pétille, gazouille, rejointe par ses compagnons dans cette fougue revigorante. Le triste évoque les plaintes chères aux compositeurs français, avant que le menuet ne vienne conclure avec une légèreté pleine de grâce ce premier volet.

C’est ensuite une veine italienne, dont s’emparent nos musiciens au cœur de l’album. D’une part, ils nous donnent à entendre une œuvre probablement enregistrée pour la première fois, à savoir le Quatuor en fa majeur, extrait d’un Quatrième livre de quatuors, paru en 1752 à Paris. Il s’agit en fait d’une adaptation d’une sonate pour cordes à 4, fort bien arrangée pour la distribution des séries antérieures. Il est bien difficile de résister au caractère bondissant de l’allegro fugué situé en deuxième place (plage 9) : Telemann semble y faire un double clin d’œil à deux de ses chers amis, et non des moindres, à savoir Haendel et Bach. D’autre part, dans le Concerto en sol majeur (extrait du premier recueil de Quatuors parisiens de 1730), c’est à Vivaldi que l’on pense, notamment dans les mouvements lents aux accords dissonants et staccato (plages 13 et 15), encadrant le presto central. Mais ce serait sans compter le génie de Telemann qui s’amuse aux échanges de motifs entre les musiciens. Dans le deuxième allegro introductif (plage12), Robin Pharo (viole de gambe) reprend avec panache le sujet exploité la première fois par la flûte. Autre page irrésistible : l’allegro conclusif de ce même quatuor, où Louis Créac’h et Anna Besson se suivent dans une course alerte, quand Robin Pharo et Jean Rondeau (quel continuo remarquable - riche sans être envahissant - pour ce dernier !) semblent « trépigner » avec leur basse en notes répétées. Quand on a eu la chance d’assister à leurs concerts, on imagine sans peine leurs yeux pétillants et sourires complices.

Le Quatuor en mi mineur (1738) vient par son geste ample clôturer ce magnifique programme. Le prélude (plage17) adopte la forme de l’ouverture à la française. Nos musiciens savent en varier les éclairages à chaque reprise. Le gay est une gavotte qui ne dit pas son nom, elle est attendrissante, au travers des échanges dialogués entre la flûte et la viole de gambe. L’épisode en majeur où le clavecin se tait est d’une légèreté totale. Le gracieusement (plage 20) est une loure lumineuse, à laquelle succède un distrait plein d’humour où nos protagonistes s’amusent et se jouent des traits virtuoses que Telemann leur a réservés.

Véritable « tube » de nombreux ensembles baroques chambristes (La Rêveuse, Les Ombres notamment l’ont inclus dans leurs programmes consacrés à Telemann), le modéré final déroule sa grave et pensive chaconne, aux teintes automnales. Adieu à ses amis parisiens, adieu au genre quatuor ? Une chose est sûre, Telemann termine ici au Parnasse, tant cette page, dont on ne se lasse jamais, sait nous transporter et nous faire voyager. Merci à Nevermind pour toutes ces émotions partagées avec autant de sincérité et de générosité. Telemann doit leur en être éternellement reconnaissant !



Publié le 05 déc. 2017 par Stefan Wandriesse