The Angels - Les Métaboles

The Angels - Les Métaboles ©
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Les Métaboles et Léo Warynski proposent une formidable fusion entre le passé et le futur

En espace de dix ans à peine, l’ensemble vocal Les Métaboles s’est définitivement imposé dans le paysage choral français. C’est la personnalité de Léo Warynski, son chef de chœur et fondateur, qui porte haut l’étendard du chant a cappella dans notre pays par ses travaux exigeants.

Son exigence va pour la qualité musicale et vocale, il en va de soi, mais également dans la construction de programmes. Ouvert à tout le répertoire, mais particulièrement à des œuvres de compositeurs de notre temps, il aborde la musique dite « ancienne » sous le prisme de l’écriture d’aujourd’hui et vice versa. Ainsi, il fait revivre la sonorité passée dans l’esprit qui habitait la pièce au moment de sa création, autrement dit, celui qui a engendré la musique « contemporaine » de son temps. La conception qui traverse son spectacle — car chaque concert des Métaboles est en soi un spectacle, soit par des sons, soit par des dispositions diverses et variées de chanteurs, parfois mouvantes, — est d’offrir au public une véritable expérience musicale au-delà des frontières des genres et des styles. Le choix de répertoires est si convaincant, et leurs enchaînements savamment établis que grâce à eux, qu’il nous fait prendre à jamais conscience de la continuité historique de la musique, jusqu’au point où on a même le sentiment que les découpages par périodes (ancienne, baroque, classique, romantique…) sont définitivement artificiels !

Le programme The Angels montre une fois de plus l’intelligence et l’ingéniosité de sa conception. Il est construit autour de pièces que Jonathan Harvey (1939-2012) a composées sur des paroles sacrées (Psaumes, sacramentaire léonin, paroles du XXe siècles sur l’Annonciation et les Anges). Elles sont exécutées en alternance avec les chants sacrés de William Byrd (1539/40-1623), de Henry Purcell (1659-1695) et de Giovanni Pierluigi da Palestrina (1525-1594). Créé le 7 septembre 2019 au Réfectoire des Moines de l’Abbaye de Royaumont, dans le cadre du Festival de Royaumont, The Angels est initialement conçu pour ce lieu. Mais pour mieux adapter à l’enregistrement, l’ordre des pièces a été modifié.

Les seize membres du chœur sont tous amenés à chanter en tant que solistes. Dès Ave verum corpus de Byrd qui figure au début du programme, nous sommes immédiatement séduits par la pureté des voix. L’expression est à la fois subtile et sûre, et une certaine pudeur dans le tempo lent nous retient le souffle par sa beauté angélique. Dans I Love the Lord, un motet de 1976, cette beauté est intacte et tout en gardant la droiture de l’émission vocale, les chanteurs explore d’autres possibilités expressives, surtout dans les aigus et dans les harmonies.

Souvent, Harvey expose au début de ses compositions une citation ou une inspiration directe à une référence du passé, avant de proposer son propre univers. Par exemple, le Plain-chant pour chœur a cappella (extraits du Livre des Psaumes dans la traduction de la King James Bible et de la Bible Segond), le plain-chant initial est rigoureusement conforme à celui que l’on entend dans une église, mais Harvey multiplie progressivement les voix pour des effets polyphoniques personnels, sur une sorte de bourdon, ou avec des notes harmoniques, ou encore des dissonances fines et délicates. Tout cela crée des sensations d’écho qui résonne dans un vaste espace sacré. Ainsi sa musique, délibérément du XXe siècle, trouve son ancrage dans la tradition, assurant, comme nous l’avons déjà fait remarquer, la continuité linéaire de la musique par rapport aux chefs-d’œuvre que nous connaissons tous. Et lorsque nous écoutons la pièce qui suit, Remember not, Lord, our offences (extrait du Book of Common Prayer de Purcell), nous sommes étonnés, voire stupéfaits, de l’audace harmonique du compositeur du XVIe siècle qui semble s’intégrer parfaitement dans l’œuvre de Harvey.

Une telle confrontation/ intégration artistique entre le passé et le présent est rendue possible grâce à la formidable musicalité des chanteurs, et surtout, à la direction artistique avisée de Léo Warynski. On imagine derrière ce disque un immense bagage qu’il possède dans le répertoire choral, et l’idée originale et innovante de ce qu’il veut apporter au chœur a cappella. Il est indéniable qu’il vit la musique au présent, et son présent est résolument tourné vers le futur, tout en ayant les pieds solidement plantés sur le sol de ses prédécesseurs, qu’ils aient vécu cinquante ans ou cinq siècles auparavant. Il est rare qu’un enregistrement nous fasse prendre conscience d’un tel engagement et partie pris artistiques, et en ce sens, ce disque est un rayonnement même de la musique.



Publié le 22 juin 2021 par Victoria Okada