Gloria, Magnificat - Vivaldi

Gloria, Magnificat - Vivaldi ©Alpha Classics
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Vénération et jubilation : les deux faces des Splendeurs Vénitiennes

Nous avons choisi de croiser cette interprétation avec celle donnée par le chœur et l’orchestre du Concert Spirituel, le 26 novembre 2016, en la Chapelle Royale du château de Versailles sous le titre : « Splendeurs Vénitiennes ». Les effectifs instrumentaux et vocaux ont été renforcés pour l’occasion.
Nous suivrons l’ordre du programme proposé à Versailles. Celui-ci ajoute aux pièces gravées sur le CD deux autres compositions : la messe Ad majorem Dei Gloriam d’André Campra (1660-1744) et le Psaume 113- In exitu Israel (RV604) d’Antonio Vivaldi.

Si le goût du contraste figure parmi les caractéristiques de l’art baroque européen, le concert donné à Versailles le 26 novembre dernier en constitue une illustration emblématique. Son programme mettait en regard une messe imprégnée de dévotion et des pièces liturgiques en forme de feu d’artifice sonore ; des psaumes récités en musique et des hymnes aux dimensions théâtrales ; une synthèse musicale à la française et une imagination italienne débridée. Et tout cela sous la direction d’un maître à l’insatiable curiosité : Hervé Niquet.

Le programme s’ouvre curieusement sur l’interprétation de la Missa Quatuor Vocibus Ad majorem Dei gloriam composée par André Campra (première publication en 1699 à Paris). Curieusement, car il ne nous paraissait pas évident qu’une messe écrite pour les quatre pupitres vocaux habituels puisse être taillée à la mesure d’un chœur à voix égales. En outre, sa tonalité globalement grave et recueillie ne brillait pas vraiment des Splendeurs vénitiennes avec lesquelles Hervé Niquet et son Ensemble promettaient de nous émerveiller. Et pourtant, cette messe a judicieusement préparé le public au bouillonnement vivaldien à venir.

La version publiée du vivant de Campra n’était déjà que le point d’aboutissement de révisions ou de réécritures successives d’une probable production de fin d’étude musicale. En effet, dans le très intéressant article qu’il consacre à cette œuvre, Jean-Paul C. Montagnier (in Itinéraires d’André Campra publié en 2012 sous la direction de Catherine Cessac), pense « très vraisemblable que le musicien l’écrivit alors qu’il était senior puer à la maîtrise de la cathédrale Saint-Sauveur d’Aix-en-Provence », sous la direction de Guillaume Poitevin (1646-1716). Observons maintenant que cette messe développe la devise de la Compagnie de Jésus. Elle aurait donc pu être adaptée à l’intention des Jésuites pour lesquels Campra composait, au même moment, la musique de drames latins représentés au collège Louis-le-Grand, à Paris. Hervé Niquet a apporté, avec finesse, quelques aménagements à cette messe, devenue un modèle du genre pour les compositeurs de musique sacrée du XVIIIème siècle. Parmi ceux que nous avons perçus, notons le renoncement au Credo (pour cause de durée globale du concert ?), l’adaptation de la distribution vocale à un chœur exclusivement féminin, l’interprétation des parties solistes par des chœurs à voix égales, enfin le remplacement des voix par les cordes pour l’interprétation du Christe Eleison.

D’une façon générale, cette messe est empreinte de sobriété et de majesté. Le Kyrie est énoncé sur le mode du recueillement. Les ornementations sont discrètes et le tempo modéré exprime l’humilité du pécheur plongé dans sa préparation pénitentielle. Si l’espérance colore le premier Kyrie, la tonalité du second, dédié à l’Esprit Saint, est empreinte de gravité. Dans le Gloria, l’homophonie caractérise l’écriture musicale des versets introductifs. Ils s’écoulent sans répétitions ni changements de rythme. Par effet de contraste, d’autres mouvements donnent lieu à des développements plus singuliers. Dans le gratias agimus tibi (nous sommes pleins de reconnaissance), Campra exploite la technique de la polychoralité : deux petits chœurs se partagent l’énumération des titres sacrés désignant la divinité. Jusque-là, le rythme ternaire, celui des danses, ponctuait les phrases mélodiques. Avec la supplication du pécheur (qui tollis peccata mundi - toi qui enlève les péchés du monde), le rythme reprend une allure plus académique pour l’époque. Le chant exprime en musique l’émotion et la douleur habitant les mots, les cordes renforçant le caractère austère de ce passage par de légères dissonances. Le compositeur s’inscrit ici dans le prolongement de la tradition madrigalesque : la musique doit être au service du texte. Enfin, le quoniam tu solus Sanctus (car toi seul est saint) se lance dans un crescendo de plus en plus libéré pour s’élever vers un Amen éblouissant emporté par les soprani. Le Sanctus se déploie sur un tempo alerte et une tonalité colorée qui se résout par un premier Hosanna enjoué. Le Benedictus commande une rupture de rythme car le moment est dédié au recueillement et à l’adoration respectueuse. Une reprise d’un Hosanna virevoltant conclut l’acclamation dans l’allégresse. En revanche, l’Agnus Dei est empreint d’un rigorisme caractéristique de cette fin du XVIIème siècle dans la France de Madame de Maintenon. Le péché et la peur qu’il inspire, y tient une place centrale et sa traduction en musique rappelle le qui tollis affligé du Gloria.

La messe achevée, Hervé Niquet nous téléporte en Italie, plus précisément dans une Venise grouillante. La singularité de la musique dont il va nous régaler s’explique en partie par ce contexte particulier. Comment le caractériser en peu de mots ? Charles de Brosses (1709-1777), dans sa lettre du 29 août 1739 à M. de Blancey, décrit l’ambiance générale : « On peut compter ici environ six mois, où qui que ce soit ne va autrement qu’en masque, prêtres ou autres, même le nonce et le gardien des capucins… C’est l’habit d’ordonnance » (Le président de Brosses en Italie : lettre familières écrites d’Italie – Tome 1). La fête pénètre même jusqu’au cœur des églises. Voici comment le secrétaire de l’ambassade de France à Venise, Alexandre-Toussaint de Limojon de Saint-Didier (1630-1689) décrit l’atmosphère qui y régnait déjà dans la deuxième moitié du XVIIème siècle : « les églises sont toujours magnifiquement parées ; la musique y est très excellente… Comme les dames y causent d’un côté et les gentilshommes de l’autre, et que la foule est ordinairement fort grande, ces assemblées n’ont rien moins que l’apparence de dévotion, puisque pendant l’office on entretient les religieuses à la grille du chœur et qu’elles y régalent leurs amis » (La ville et la République de Venise au XVIIème siècle).

Mais l’esprit de fête et la liberté des mœurs qu’elle entraîne produit des effets collatéraux, notamment celui de remplir les quatre hospices recueillant des enfants abandonnés, et plus particulièrement des « filles bâtardes ou orphelines, et… celles que leurs parents ne sont pas en état d’élever. Elles sont élevées aux dépens de l’Etat, et on les exerce uniquement à exceller dans la musique » (Charles de Brosses). Dans l’un de ces hospices, l’Ospedale della Pietà, Antonio Lucio Vivaldi exerce les fonctions de maestro di violino et de directeur de l’orchestre depuis 1703. La fonction principale, celle de maestro di coro devenant vacante en 1713, Vivaldi assure l’intérim jusqu’à la nomination d’un chef de chœur titulaire, en 1719. C’est lors de ce remplacement temporaire qu’il composera le fameux Gloria, le Magnificat ainsi que le Psaume Laetatus sum. S’il se consacre ensuite à des compositions de commande, il continuera d’alimenter ponctuellement le répertoire de la Pietà.

Entrons d’abord dans l’univers musical des Vêpres à la mode vénitienne. A Versailles, Hervé Niquet propose trois Psaumes mis en musique par Antonio Vivaldi. Cette trilogie révèle, à nos yeux, trois stades de l’évolution de l’écriture musicale du compositeur. A ce titre, l’absence de l’In exitu Israel sur le CD nous parait regrettable.

Le Psaume 121 Laetatus sum est placé sous le signe de la réjouissance. Dans le livret accompagnant le CD enregistré par Vittorio Negri et l’English Chamber Orchestra (Philips Classics-1976), Michael Talbot considère cette pièce comme « l’un des plus beaux exemples de composition … piccolo e pieno » : « piccolo » parce que l’œuvre est faite d’un seul et long mouvement ; « pieno » parce qu’elle est écrite pour un chœur sans solistes ». Le Concert Spirituel en donne une interprétation éblouissante. Dès les premières notes, les violons nous emportent littéralement. Les voix déroulent ensuite le texte à l’unisson, dans un style homophone. Les onze versets sont répartis en trois strophes auxquelles Vivaldi a ajouté un Gloria Patris final glorifiant la divinité trinitaire. Chaque strophe est relancée par une ritournelle énergique sous l’impulsion des violons. L’écriture est d’une grande simplicité et l’interprétation d’une extraordinaire efficacité.

Le Psaume 113 In exitu Israel date d’une période plus tardive, probablement des années 1739. A cette époque, raconte Charles de Brosses, Vivaldi « n’est pas aussi estimé qu’il le mérite en ce pays-ci, où tout est mode, où l’on entend ses ouvrages depuis trop longtemps ». Pourtant, pour nos oreilles contemporaines, cette pièce est séduisante. Elle appartient à un groupe de psaumes composés pour la célébration du dimanche de Pâques à la Pietà. Comparée à celle du psaume précédent, son écriture est plus élaborée et sa forme suggère celle d’un opéra minuscule. Le morceau s'ouvre sur une courte symphonie au tempo enlevé et chantant. Après un court récit à l’unisson de la sortie d’Egypte, il charge les voix de simuler un tremblement de terre (A facie Domini mota est terra - Tremble, terre, devant le Maître). Le style figuratif s’illustrera également plus loin quand, pour décrire la multiplication des bienfaits, il accélère le rythme et fait chanter crescendo en notes détachées pour créer un effet de masse (Adjiciat Dominus super nos - Que le Seigneur multiplie les bienfaits). Par ailleurs, Vivaldi emprunte à l’opéra la forme dialoguée. A deux reprises, un petit chœur de soprani et le grand chœur vont se répondre, d’abord sur le mode de la litanie (Os habent et non loquentur - Elles ont une bouche et ne parlent pas) puis sur celui du refrain (Domus Israel Speravit in Domino - Israël, mets ta foi dans le Seigneur). La pièce s’achève sur un Gloria Patris puissant dans lequel le « A » du Amen final s’épanouit dans de riches vocalises. Comme la précédente, cette pièce est saisissante de beauté et l’enthousiasme des interprètes est absolument communicatif.

Datant pourtant de la même période, l’écriture du Psaume 147 Lauda Jerusalem paraît assez différente des précédentes : sa durée est doublée, la symphonie d’ouverture est plus consistante, les phrasés sont truffés d’ornements et la distribution en deux chœurs affirmée. Au point de suggérer que cette pièce pourrait avoir été conservée dans les papiers de Vivaldi, mais sans qu’il en soit l’auteur (Michael Talbot dans le livret déjà cité) ou qu’elle répondrait à une commande pour des cérémonies à San Marco (Roland de CandéVivaldi - 1994). Les onze versets sont distribués en quatre strophes. La première est confiée au chœur qui se livre à un récit engagé sous la forme d’un fugato qui se résout dans une reprise de la strophe chantée à l’unisson. Dans la seconde et la troisième strophe, la succession des voix est identique : introduction par les soprani, développement par les mezzos, conclusion par le chœur. Les vocalises (par exemple sur un velociter - célérité, déchaîné) rivalisent avec des développements chromatiques ascendants et descendants ou des glissements à l’octave supérieure. La forme du double chœur caractérise nettement la dernière strophe avec un Qui annunciat verbum (il envoie sa parole) aux allures célestes. Les voix se répondent dans un bel effet d’écho avant de se rejoindre dans un flamboyant non manifestavit eis (ne leur a pas fait connaître). Une fois encore, le psaume se conclut dans un Gloria Patris vigoureux et étincelant./p>

Avec le Magnificat, nous restons dans l’univers des Vêpres. Sa version initiale (RV 610) a été composée vers 1715 pour chœur simple et orchestre. Elle a ensuite été retravaillée à plusieurs reprises, notamment vers 1720. Hervé Niquet a choisi d’interpréter cette version pour chœur double et deux orchestres (RV 610A). Ce Magnificat se décline en neuf mouvements aux tonalités, rythmes et figures rhétoriques singulières. L’intonation, grave et solennelle, invite au recueillement pour saluer la Vierge, puis à s’agenouiller respectueusement devant un Dominum célébré sur une tonalité angélique. Cette ligne mélodique sera réemployée pour ouvrir le Gloria Patris final. La strophe suivante décrit les sentiments de la Vierge. L’air est joyeux et chanté à l’unisson. Les chœurs des soprani et des mezzos se partagent l’expression de cette jubilation dans cet aria en trois parties. Tout juste un omnes clamé à tour de rôle par chaque chœur pour souligner le caractère universel du message interrompt-il le cours du cantique. Le mouvement le plus long rappelle maintenant les effets de la miséricorde divine. La tonalité apaisée qui l’habite révèle sans doute la foi du compositeur qui, bien que prêtre ne disant pas la messe, n’a pas cessé d’être un catholique fervent. Un Et misericordia inlassablement répété par les deux parties pourrait en constituer un indice. De même, la discrétion des violons et le pincement des théorbes donnent à ce passage une couleur d’humilité. Soudain, c’est par la figuration d’un orage d’été, annonciateur du passage célèbre des Quatre saisons, que Vivaldi entend décrire l’écrasement des puissants (Fecit potentiam) et par un mouvement à l’unisson qu’il déclare la faillite promise aux riches et le bonheur réservé aux pauvres. Une manière plutôt subtile d’adresser un message, par les pauvres orphelines de la Pietà, aux riches donateurs assistant aux offices ! Après ce moment dramatique, un climat d’apaisement s’installe à nouveau. Il résulte soit d’une économie des moyens instrumentaux (l’Esurientes est joliment accompagné par l’orgue et les seuls théorbes), soit d’un tempo et d’une sonorité propices à la méditation (Suscepit Israël, auquel font pourtant défaut les deux hautbois ajoutés par Vivaldi dans la partition). Un court intermède musical emporté par les violons prépare le lancement d’un Sicut locutus est (Comme il l’avait promis) rempli de joie, célébrant la confiance en la délivrance. Cette fugue entraînante cède la place à un Gloria Patris d’une polyphonie majestueuse, mais moins étincelante que celui que nous avaient fait entendre les Psaumes précédents. Il n’en est pas moins poignant et, cela, grâce à l’équilibre trouvé par les interprètes entre le jeu des cordes et celui des deux groupes de voix.

Le fameux Gloria RV 589 a beau relever de la catégorie des « tubes », Hervé Niquet a décidé de nous surprendre. Déjà Geoffroy Jourdain (Les orphelines de Venise – Les Cris de Paris – 2015 – Editions Ambronay) considérait que « ce que nous avons toujours entendu de ce célèbre « Gloria » est incompatible avec ce qui aurait pu être un jour exécuté à l’Ospedale della Pietà ». Hervé Niquet en convient et propose à son tour « la version originelle, celle que Vivaldi avait écrite pour l’Ospedale de Venise ». Initialement composée pour deux chœurs féminins et deux petits orchestres, elle a fait l’objet de versions mixtes ultérieures, « pour se faire de l’argent », précise le chef. Dans ces partitions pour chœurs mixtes interprétées par des chœurs à voix égales, la ligne des ténors est transposée à l’octave et les instruments du continuo soutiennent les basses. Ce dernier point explique notamment l’effectif important des violoncelles et des contrebasses. C’est donc à l’exécution d’un Gloria aux sonorités nouvelles que nos oreilles sont conviées.

La musique de cet hymne liturgique a probablement été créée le 2 juillet 1713 à l’occasion de la fête de la Visitation, au demeurant fête patronale à la Pietà. Cette date coïncide avec le début de l’intérim assuré par Vivaldi en qualité de maestro di coro. Elle devait sans doute se substituer à l’hymne d’une messe déjà existante, dans un souci de renouvellement constant des musiques accompagnant les célébrations courues par le Tout-Venise.

Le Gloria se compose de douze parties (soit un multiple de la Trinité) au lieu des dix-sept du plain-chant grégorien. Il a manifestement constitué pour Vivaldi un terrain d’expérimentation dans lequel il a donné libre cours à sa puissance créatrice. L’ouverture instrumentale est enflammée. Les violons s’agitent dans les aigus lorsque le reste de l’orchestre bat énergiquement la mesure. Les instruments annoncent l’entrée du chœur chargé de célébrer, à l’unisson, la gloire de Dieu. Le public se sent empoigné, emporté par le flot tourbillonnant des double-croches. Par effet de contraste, Vivaldi décrit maintenant la paix que partagent les hommes de bonne volonté. Le tableau apparaît en trois dimensions : la ligne de basse bat le rythme en croches répétées, les violons aériens rêvent au bonheur paisible que les chœurs de soprani et de mezzo décrivent avec délicatesse. Les vocalises soyeuses sur les mots bonae voluntatis renforcent cette atmosphère de rêverie. Ce calme devient allégresse dans un Laudamus te où chaque chœur rivalise de grâce et de vivacité. L’orchestre, au moyen d’une ritournelle sautillante, ponctue les louanges adressées à Dieu. A peine ralenti par un Gratias agimus te destiné à adresser un bref signe de soumission respectueuse, le rythme alerte est relancé par les voix dans un fugato galopant. Les chœurs s’y croisent avant de fondre dans un tuam solennel. Le Domine Deus qui suit constitue un moment de grâce dans lequel la musique douce et lumineuse est rythmée par le grave des théorbes et des violoncelles et tirée par l’aigu des violons. Les voix glissent à l’unisson pour dialoguer aimablement avec les cordes. L’écriture vocale rappelle celle que Louis-Nicolas Clérambault destinait aux Demoiselles de Saint-Cyr. Après l’hommage respectueux rendu à Dieu, celui que Vivaldi destine au Christ contraste par sa vivacité rythmique. Une manière d’illustrer en musique les représentations différentiées, dans la peinture comme dans les autres arts figuratifs, de ces deux personnes de la Trinité. Les trois versets suivants expriment l’humilité du pécheur et l’espérance en la clémence divine. Dans les deux premiers adagios, les mezzos de chacun des deux chœurs lancent, à l’unisson, un appel à la Trinité. En forme de ritournelle, le chœur l’interrompt doucement pour supplier celui qui tollis peccata mundi (toi qui enlève les péchés du monde). Le second adagio s’achève crescendo, comme pour s’assurer que la prière sera bien entendue. Quant au troisième verset, il s’adresse directement au Christ qui sedes ad dexteram Patris (qui est assis à la droite du Père). Là encore, la tonalité et le rythme de l’appel au Fils est plus alerte que celle qui accompagne les humbles requêtes présentées au Père. L’hymne s’achève par un rappel de l’ouverture, exactement comme dans le Magnificat, et se conclut par un Cum Sancto Spiritu fugué et majestueux, fortement inspiré, dit-on, de celui du compositeur véronais Giovanni Maria Ruggieri. Les différents pupitres de chaque chœur se donnent la répartie alors que les instruments les soutiennent et les relancent dans un tutti saisissant.

Le pouvoir expressif de ces dernières phrases musicales confirme la pertinence de la construction du programme donné à Versailles. Commencé dans le recueillement, il monte graduellement en puissance pour s’achever dans une explosion sonore que le Concert Spirituel réitérera en partie dans un « bis » consenti à un public conquis. De toute évidence, l’essai tenté par Hervé Niquet est transformé. Avec le Gloria, il voulait faire oublier le « tube » pour revenir aux sonorités d’origine. Si le spectacle a été totalement convaincant, le CD en constitue un témoignage fidèle. En outre, il présente l’avantage de s’écouter à la demande et nous dirions même, chaque fois que de besoin tant il s’administre comme un remède à la mélancolie ambiante. Mais, comme un seul tableau ne fait pas une exposition, le Gloria ne doit pas cacher des joyaux souvent négligés par les organisateurs de concerts. Ainsi, les Psaumes de Vivaldi sont admirables dans leur construction et dans leurs effets. Leur durée courte et la dynamique qui les emporte donnent à nos oreilles un coup de fouet sonore salutaire.

Guiseppe Tartini (1692-1770) nous paraît avoir été bien injuste, ou fort jaloux, lorsqu’il fit remarquer, à propos de Vivaldi, « qu’un gosier n’est pas un manche de violon » (in Roland de Candé). Certes, celui que l’on surnomma Il Prete rosso (le prêtre roux) était un virtuose du violon et personne, à l’époque, ne l’avait retenu comme titulaire d’une charge de maestro di capella. Pourtant, Hervé Niquet et son Ensemble ont montré, par l’exemple, que les pièces restées dans les cartons du Seminario musicale dell’ospedale della Pietà pouvaient rivaliser avec les compositions des autres maîtres du baroque. Mais la valeur de la partition serait vaine si elle n’était servie par un Ensemble de talent. Et le CD illustre précisément cette merveilleuse rencontre. La réputation du Concert Spirituel n’est plus à faire. Au demeurant, nous l’avons trouvé rayonnant lors du concert donné à Versailles. Mais, ce qui est sans doute le plus remarquable, c’est l’extraordinaire complicité qui lie le chef à ses musiciens. Nous avons pu observer sa manière de manier la baguette. Il dirige par signes ou par images : ici le geste du semeur pour faire glisser les voix et les sons, et là, un hochement de tête pour encourager les chanteurs et les musiciens dans leurs crescendos. Il va jusqu’à tourner le dos à son Ensemble avec l’air de dire, d’un regard malicieux: « Vous voyez, ils n’ont même plus besoin de moi ! ». Ce détachement, apparent, est la signature d’un chef charismatique mais aussi la marque d’un Ensemble de talent. Bravo, Monsieur Niquet. Et, comme nous l’espérons : à bientôt pour d’autres découvertes de petits trésors baroques.



Publié le 05 janv. 2017 par Michel Boesch