Pièces de luth - Weiss

Pièces de luth - Weiss ©Diego Salamanca, Wall Drawing de Sol LeWitt, Donjon de Vez (détail)
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Subtilités et poésie du luth baroque

Parfois, par nos différentes curiosités et redécouvertes baroques, on connaît des musiciens sans le savoir. Cette nouveauté offerte par le label indépendant Seulétoile est l’occasion de mieux connaître deux artistes travaillant souvent dans l’ombre et qui méritent toutefois d’être mis à l’honneur. Le premier est le compositeur Silvius Leopold Weiss (1687-1750), l’un des luthistes les plus reconnus de son temps et même de ceux suivant, malgré la notoriété décroissante dont souffre le luth à partir de la moitié du XVIIIe siècle. En son temps, le talent de Weiss était si grand que le compositeur Johann Friedrich Reichardt (1752-1814) rapporte que, lors d’une rencontre avec son contemporain Jean-Sébastien Bach (1685-1750), les deux grands musiciens s’amusèrent à rivaliser, le premier au luth et le second au clavier. De nos jours, l’intérêt pour l’instrument à cordes pincées revenant progressivement chez les amateurs des plus subtiles sonorités baroques, la musique de Weiss est souvent la première qui retentit, tant son importante œuvre synthétise à elle seule l’âge d’or du luth.

Notre deuxième musicien est le luthiste Diego Salamanca, que l’on entend lorsque l’on assiste aux concerts de certains des plus beaux ensembles de musique baroques d’aujourd’hui, comme l’Ensemble Pygmalion, l’Ensemble Correspondances ou le Banquet Céleste. C’est tout naturellement que le musicien colombien a choisi de mettre à l’honneur Weiss pour son tout premier enregistrement en solo. Tout comme des photos de l’œuvre minimaliste et colorée Wall Drawing de Sol LeWitt qui illustrent le livret – photographies que le musicien a prises lui-même au lieu même de l’enregistrement, le hall du Donjon de Vez, dans l’Oise –, de la musique de Weiss et de l’interprétation du luthiste émanent des subtilités tout à fait caressantes.

Dès les premières pincées de l’Ouverture en si bémol majeur, ce sont les sonorités douces et riches de l’instrument qui charment l’oreille de l’auditeur : les chanterelles (deux cordes aiguës) sont claires sans jamais être acides, les chœurs médiums sont chaleureuses et les chœurs graves résonnent avec un certain moelleux. Ces petites caractéristiques de chaque registre offrent, particulièrement dans les passages en fugato, le plaisir de distinguer chaque partie, même si l’on aurait sans doute apprécié entendre encore davantage la puissance des cordes graves, si chères à Weiss. C’est d’ailleurs pour gagner en puissance et en profondeur que le compositeur avait participé à l’ajout de deux chœurs dans le graves aux onze déjà présentes.

La Sonate en sol mineur fait entendre un travail très soigné du discours et de la résonance. Certains mouvements, telle l’Allemande, peuvent paraître proches du contemplatif. La grande poésie qui rythme la sonate est doucement interrompue par une agile Courante, dont là encore on aurait aimé entendre davantage le chant des cordes graves, particulièrement lors des marches harmoniques dans lesquelles les arpèges des parties aiguës ne sont qu’ornementales. On aurait également pu attendre une Bourrée plus joueuse, voire audacieuse, mais il faut attendre le Presto final pour que la sensation de danse soit pleinement patente. Grâce au Prélude de la Sonate en sol majeur, la douce présence de la mélodie à la basse, à l’accompagnement arpégé de l’aigu bien équilibré, est un chant tout à fait touchant. La Fugue qui suit jouit des mêmes qualités, rendant les différentes parties très distinctes avec en outre une direction claire, précise et même délicate.

On peut donc remercier Diego Salamanca de nous partager les richesses des pièces de luth de Silvius Leopold Weiss, trop facilement et injustement oubliées, avec la grande finesse de son interprétation, grâce également aux sonorités subtiles qu’offrent le luth. Si cet instrument ne possède sans doute pas la puissance expressive, voire extravagante, de ses cousins à cordes frottées, cet enregistrement démontre qu’il ne manque pas d’une expressivité sensible et très poétique, pour celui qui sait prendre le temps d’écouter.



Publié le 07 déc. 2020 par Emmanuel Deroeux