Rencontre avec Leonardo Garcia Alarcὀn


BaroquiadeS : Bonjour Leonardo. Et merci de nous avoir accordé cet entretien, à quelques jours de la première représentation d'Eliogabalo dans la salle du palais Garnier.
Leonardo Garcia Alarcὀn : Cette production va en effet marquer l'entrée de Cavalli au répertoire de l'Opéra de Paris. C'est une joie et un grand honneur pour moi de la diriger, mais c'est aussi une énorme responsabilité ! Car Cavalli n'est pas tout à fait un compositeur comme les autres : il a créé l'opéra moderne. C'est lui qui a inventé l'aria da capo, dans la Didone, et a commencé à donner de l'indépendance aux airs - ces arias brillants qui plus tard triompheront au détriment du style qui le caractérise, et qui est fondé sur une jonction étroite entre arioso et récitatif. Cavalli est aussi le premier qui ait mis en valeur la virtuosité des chanteurs, comme dans l'Ercole amante composé en 1662 pour le mariage de Louis XIV, et qui est l'une des compositions les plus monumentales de tout le répertoire lyrique !
BaroquiadeS : Vous connaissez décidément bien ce compositeur. Déjà il y a trois ans vous nous aviez déjà fait découvrir Elena, qui avait connu un beau succès auprès du public...
Leonardo Garcia Alarcὀn : Certes mais le Cavalli d'Eliogabalo n'est plus celui d'Elena ou de La Calisto : il compose de manière plus crue, plus directe. De retour à Venise après son passage à Paris, qui lui laissera un souvenir amer, il reste très influencé par Monteverdi. C'est vrai au plan musical, car il reste fidèle au recitar cantando. Mais c'est vrai également concernant l'action, que Cavalli place en parallèle de L'Incoronazione di Poppea. Malheureusement nous n'en savons guère plus sur ce dernier point, puisque le livret est resté anonyme, même s'il est parfois attribué à Busenello... Par rapport aux compositions antérieures, Eliogabalo marque une plus grande prise en compte des états d'âme dans le dramma giocoso. Pour le personnage de Flavia Gemimira Cavalli invente le rôle de soprano dramatique, qui sera incarné dans cette production par Nadine Sierra, une soprano d'exception...
BaroquiadeS : Et le rôle-titre ?
Leonardo Garcia Alarcὀn : Dans l'opéra Eliogabalo est traité comme un enfant, un enfant capricieux et versatile qui a conquis le pouvoir. Au plan musical cela se traduit par d'étonnantes asymétries rythmiques. Franco Fagioli est formidable dans ce rôle complexe, car il possède à la fois de grands moyens vocaux, et de véritables qualités d'acteur pour composer ce caractère complexe et décalé. Face à lui le ténor Paul Groves représente l'homme qu'Eliogabalo ne peut être. Son rôle se situe entre amour et pouvoir.
BaroquiadeS : Et les autres protagonistes ?
Leonardo Garcia Alarcὀn : Pour le rôle d'Aricia Eritea Etin Rombo a dû travailler sur la fragilité. Au début de l'opéra elle est violée par Eliogabalo ; suite à cet acte barbare et bien qu'elle aime Giuliano, elle demande à être mariée à l'empereur... Elle doit savoir pleurer. Son amoureux est incarné par Valer Sabadus, autre contre-ténor mais avec un timbre très différent de celui de Fagioli. Il compose un homme dans l'attente, déchiré entre ses sentiments et sa fidélité à l'empereur, qu'il hésite à trahir. Il sera poussé à l'action par les deux femmes. Mariana Flores chante Atilia Macrina, une jeune fille amoureuse d'Alessandro Cesare. Elle essaie de le séduire de différentes manières, avec une grande naïveté.
BaroquiadeS : Il y a encore des comparses du drame, qui jouent néanmoins des rôles importants dans l'action...
Leonardo Garcia Alarcὀn : Oui c'est la richesse de l'univers de Cavalli ! Le rôle de la nourrice Lenia est confié à Emiliano Gonzalez Toro, qui est un ténor au pouvoir théâtral extraordinaire ! Le ténor Matthew Newlin incarne lui l'esclave Zotico, qui était dans la réalité l'amant d'Eliogabalo. Lenia et Zotico ont un rôle essentiel dans la progression de l'action, comme souvent les domestiques chez Cavalli. Enfin la basse Scott Conner, dans les rôles de Nerbulone et Tiferne, ajoute une touche d'humour à ce drame.
BaroquiadeS : Un drame décidément haut en couleurs...
Leonardo Garcia Alarcὀn : Jusqu'à Eliogabalo on n'avait pas abordé de sujets aussi scabreux à l'opéra : le meurtre froid et gratuit, la bi-sexualité assumée, l’abolition des dieux romains au profit des divinités orientales, l'entrée des femmes au Sénat,... C'est peut-être pour cela que l’œuvre n'a jamais été représentée du vivant du compositeur. Pourtant on peut observer que certains sujets sont très actuels ! Plusieurs choses m'ont frappé dans cette œuvre. La principale est que Cavalli n'est plus dans la recherche des lignes musicales, comme dans ses premières œuvres. Il adopte une expression musicale plus riche, voire maniérée ; il recherche aussi désormais des sujets dramatiques, qui le rapprochent à la fois du Monterverdi de L'Incoronazione mais aussi du Haendel d'Agrippina. Pour moi ces trois pièces entretiennent un dialogue étroit.
BaroquiadeS : Créer Eliogabalo à Paris c'est aussi une forme de reconnaissance pour Cavalli, qui a influencé l'opéra français.
Leonardo Garcia Alarcὀn : C'est vrai. Cavalli a été appelé à Paris pour les noces de Louis XIV parce qu'il était alors l'un des compositeurs les plus en vue de son époque. Il a pu y disposer des effectifs considérables des musiciens du roi de France, alors que les orchestres étaient nécessairement réduits dans les théâtres vénitiens. Son drame personnel c'est d'arriver à Paris au moment où la France fait le choix de l'opéra en langue française, qui va se développer à l'instigation d'un autre italien, Lully. Cette aventure parisienne, même si elle s'est soldée par un échec, a influencé la composition d'Eliogabalo. On peut noter que Cavalli contribuera également à créer l'opéra en langue anglaise, puisque son Erismena traduite a été donné en Angleterre en 1673 ; nous en avons conservé la partition, qui a certainement influencé Dido & Aeneas et Vénus & Adonis. C'est donc formidable de pouvoir faire rentrer Cavalli au répertoire de l'Académie de Musique avant l'anniversaire des 350 ans de sa création !
BaroquiadeS : Merci beaucoup Leonardo. Cet Eliogabalo ravira certainement le public parisien - et les amateurs venus du monde entier pour assister à cet événement. Nous ne manquerons pas d'en rendre compte sur BaroquiadeS dans les prochains jours.

Publié le 22 sept. 2016 par Bruno Maury