Actéon - Charpentier

Actéon - Charpentier ©Bertrand Pichène
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La vengeance de Junon

Le troisième et dernier week-end de ce 41ème Festival d’Ambronay s’était ouvert avec le baroque français et Marc-Antoine Charpentier (lire notre compte-rendu). C’est encore une œuvre de Charpentier qui clôt la série de concerts dans l’Abbatiale. Le format réduit d’Actéon, tragédie lyrique « de poche », composée pour des représentations privées devant les habitués de l’Hôtel de Guise à une période où Lully détenait le monopole des représentations publiques d’opéra à Paris et en France, semble faire écho au format du Festival, réduit pour cause d’épidémie sanitaire… Cette production nous est d’ailleurs présentée comme une « production Covid », montée avec les contraintes de la période, et pas encore tout à fait rodée... Effet de modestie, sans doute, car le concert s’avère tout à fait convaincant, et nous n’avons pas décelé le moindre signe d’impréparation, bien au contraire.

Comme en un court prologue, le comédien Benjamin Lazar narre avec talent et conviction devant les spectateurs le mythe d’Actéon, rapporté dans Les Métamorphoses d’Ovide. Nous connaissons tous l’histoire du jeune chasseur, qui surprend par hasard Diane et ses suivantes lors de leur bain, déclenchant l’ire de la déesse qui le change en cerf, le condamnant ainsi à périr dévoré par ses chiens. Le comédien nous livre la clé de cette intrigue dramatique : Actéon est le petit-fils de Cadmus, frère d’Europe, que Jupiter avait enlevée. La vengeance de Diane, tout comme le hasard qui précipite Actéon vers le lieu du bain de la déesse, étaient en réalité guidés par Junon, l’épouse jalouse du roi des dieux. Dans un spectaculaire ajout de Charpentier au récit originel d’Ovide, celle-ci dévoile sa machination vengeresse au final de l’œuvre.

Cette entrée en matière déclamée en manière de prologue nous rappelle aussi qu’Actéon a été composée à une période où l’opéra français restait encore très proche du théâtre – même si l’orchestration de Charpentier est volontairement plus dense et plus présente que celle de Lully, qui prônait l’obtention des effets par les moyens musicaux les plus réduits possibles. Sous la conduite de Geoffroy Jourdain, les instrumentistes des Cris de Paris sonnent avec relief et conviction. Outre qu’il paraît tout à fait en phase avec les conditions de la création (dans une représentation privée, rappelons-le), leur nombre (huit au total) s’avère tout à fait suffisant pour rendre justice à la partition, tout en ménageant une forte présence du clavecin et surtout du théorbe, que des formations plus importantes rendent à notre goût trop souvent inaudibles. Soulignons aussi la clarté incisive des flûtes d’Evolene Kiener et Julien Martin, et les violons expressifs de Marieke Bouche et Joseph Cottet. Les qualités de l’orchestre se perçoivent ainsi dans les passages purement instrumentaux (l’ouverture, la longue plainte qui accompagne la transformation d’Actéon en cerf) mais aussi à travers une coordination très précise avec les chanteurs (en particulier dans les attaques des nombreux chœurs que comporte l’œuvre).

Côté solistes, Constantin Goubet campe un Actéon à la fois lumineux et sensible, qui devient poignant devant sa monstrueuse transformation. Sa diction est claire et précise ; son timbre navigue avec aisance parmi les hauteurs du registre de haute-contre. Il est étayé d’une solide expressivité, à la fois vocale et physique, qui donne tour à tour corps à son invocation, à sa rêverie bucolique, à son plaidoyer envers Diane puis à son indicible effroi lorsqu’il contemple sa mue dans l’eau du ruisseau. Sa forte présence scénique, à travers ses expressions de visage et ses déplacements, confère beaucoup d’humanité à cette production.

Face à l’innocent chasseur, Adèle Carlier a la charge redoutable d’incarner une Diane froide et inflexible. La jeune soprano s’en acquitte avec beaucoup de conviction, se montrant froide et cassante face au remords et à la supplication d’Actéon. Retenons aussi la noblesse de son appel à ses suivantes (Nymphes, retirons-nous), qui précède leur installation dans un coin reculé de la forêt, et aussi, de manière plus générale, la qualité de sa diction, atout indispensable dans ce répertoire.

C’est un rôle court, mais encore plus cruel, celui de Junon, qu’endosse Marielou Jacquard. S’avançant face au chœur stupéfait, la jeune mezzo révèle in fine la détermination vengeresse qui l’a conduite à provoquer ce drame. Là encore, la diction est soignée, même si l’élocution pourrait gagner en fluidité.

Les chœurs s’appuient sur trois chanteurs, renforcés des solistes (en fonction de leurs interventions) : retenons-en un bon équilibre des voix dans les différentes formations, et là encore une diction ferme et précise.

Cette production semblant désormais bien rodée, nous en attendons avec impatience la version audiovisuelle qui devrait résulter de ces différentes « étapes » de concert. Les nombreux applaudissements du public dans l’abbatiale semblaient eux aussi l’appeler de leurs vœux.



Publié le 14 oct. 2020 par Bruno Maury