Bach & Hersant - Alice Ader

Bach & Hersant - Alice Ader ©
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Virtuosité et délice de l’interprétation de Bach au piano

Bien que le festival Bach-en-Combrailles se fonde essentiellement sur le merveilleux orgue de l’église de Pontaumur, il n’oublie pas que la musique de Jean-Sébastien Bach (1685-1750), si universelle, peut tout aussi bien être interprétée au piano. La programmation d’un récital pour piano est également l’occasion d’intéresser un public différent, peut-être moins sensible à la majesté de l’orgue et aux couleurs uniques et toutes particulières des instruments du Baroque. C’est ainsi qu’est invitée cette après-midi, en l’église de Pontaumur, la pianiste Alice Ader. Sa sensibilité musicale l’encourage depuis toujours à travailler autant la musique du Baroque que celle contemporaine. Elle y trouve même des parallèles qu’elle propose de mettre en évidence lors de récital en interprétant quelques « Ephémères » de Philippe Hersant. Ces pièces brèves, inspirées de haïkus (courts poèmes de trois vers et sans rime) de Bashô et dédiées à Alice Ader, font entendre des souvenirs, avec une certaine simplicité, voire une naïveté. Cette lecture, sans épanchement lyrique ni descriptions grandioses, peut éventuellement ainsi trouver un lien avec la musique de Bach. Ce récital est aussi une ouverture avec la prochaine aventure du festival Bach-en-Combrailles qui vient de dévoiler son projet de commande d’une cantate auprès de Philippe Hersant pour fêter en 2019 ses 20 ans.

Sous les doigts d’Alice Ader, les Éphémères sont de courtes œuvres très évocatrices. Par exemple dans En cet automne, on entend bien les oiseaux sereins voltigeant dans les nuages tandis que la pensée du temps qui passe alourdit le cœur. L’auditeur n’est pas obligé de lire les haïkus pour voyager dans sa propre pensée et s’interroger même parfois à la façon dont il doit s’approprier ces images sonores, parfois mélodiques, souvent modales. La pianiste prend toujours le temps d’écouter son instrument, de faire vivre les silences et de créer de multiples couleurs. C’est après le tempétueux Ouragan que la pianiste invite le compositeur, qui est présent, à la rejoindre sur scène et à partager les applaudissements nourris.

La première œuvre de Bach du programme est la Partita n°1 BWV 825. Le prélude annonce immédiatement le jeu tendre et captivant d’Alice Ader, dont on sent très bien la conscience mélodique de chaque voix, ayant toute leur propre direction, leur indépendance et leur place dans le contrepoint. Certaines danses de la suite sont sautillantes et donnent le sourire, comme la Courante, d’autres sont plus tendre, telle la Sarabande. Celle-ci est peut-être lente, elle reste vivante grâce à un temps long mais régulier. En milieu de concert, la pianiste invite à la découverte d’un compositeur méconnu, éclipsé par sa famille, ses frères et surtout son père, et plus encore par son mauvais caractère : Wilhelm Friedemann Bach (1710-1784). On entend dans sa Sonate n°1 des expressions mélodiques aux harmonies parfois tendues qui annoncent, sans hésitation possible, le préromantisme. Les couleurs de la partie centrale lente sont d’une finesse absolument délicieuse sous les doigts d’Alice Ader. Le troisième final est entraînant, donnant envie à de nombreux spectateurs de vivre la musique en balançant légèrement leur tête. Le récital se termine par la Suite anglaise n°2, au style bien plus français qu’anglais dont elle n’a que le nom. Le prélude est pris dans un tempo très vif, presque haletant, qui entraîne l’auditeur dans de véritables tourbillons mélodiques, au risque toutefois de perturber l’oreille de certains auditeurs qui connaissent bien l’œuvre, ou même qui l’ont travaillée. Après une introspectif et colorée Sarabande, Alice Ader interprète un premier Menuet sautillant et manifeste des superbes subtilités de son toucher, particulièrement lors du da capo : joué sur le bout des doigts, l’effet sautillant et piano est incroyablement délicieux, tout en gardant une monstrueuse précision. Après la dansante et festive Gigue finale, certains spectateurs n’hésitent pas à se lever pour saluer cette interprétation simple mais virtuose.

Alice Ader offre alors en bis une fougueuse et dense Sonate de Scarlatti, impressionnante par la maîtrise technique qu’elle requiert, notamment dans les nombreux croisements de mains. Il n’en fallait pas moins pour que le public émerveillé l’acclame.



Publié le 17 août 2018 par Emmanuel Deroeux