Alcina - Haendel

Alcina - Haendel © Sandrine Expilly : Sandrine Piau
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Un classique haendélien

Alcina est créé dans le nouveau théâtre de Covent Garden (inauguré en 1732), juste après l'échec d'Ariodante (janvier 1735). Avec Alcina, Haendel essaie encore de résister à Porpora et à l’Opera of the Nobility, entreprise concurrente qui l’a dépouillé peu avant de la plupart de ses chanteurs stars, notamment Farinelli. Alcina reprend une histoire connue de tous à l'époque (extraite de l'Orlando furioso de l'Arioste) et recourt à toutes les ressources et effets spéciaux de « l'opéra magique ». L’ouvrage connaîtra un beau succès avec 18 représentations au cours de la saison avant de sombrer rapidement dans l’oubli jusqu’à la renaissance haendélienne du milieu du XXe siècle et à l’engouement de Joan Sutherland pour ce beau rôle de reine magicienne.

Depuis lors, Alcina est devenu un véritable tube de l’opéra baroque, les productions se multipliant à l’envi. Cette version de concert donnée au Théâtre des Champs Elysées s’inscrit dans ce foisonnement sans totalement m’avoir convaincu en dépit du gros succès qu’elle a eu auprès du public.

Le rôle titre est dévolu à Elsa Dreisig pour laquelle il s’agit d’une prise de rôle. Si Elsa Dreisig maîtrise sans peine aucune les difficultés de la partition, je suis resté sur ma faim en ce qui concerne l’incarnation du personnage et l’émotion qu’il doit générer. L’émission, puissante, est assez monolithique et la soprano semble se contenter de la joliesse de sa voix et de ralentir les tempi pour exprimer sa douleur amoureuse ou de les accélérer pour nous donner à voir la fureur de la magicienne. La diction est largement perfectible et le recours à de (trop) nombreux effets dont on pourrait se dispenser est un peu anachronique. Seul le da capo de Ah, mio cor atteint à de véritables sommets, ainsi que le superbe Mi restano le lagrime qui conclut l’œuvre. Ombre pallide quoique irréprochable au plan technique est décevant en ce qui concerne l’incarnation de la fureur de la magicienne. Bref, on ne se départit pas du sentiment que cette prise de rôle intervient trop tôt.

En Morgana, Sandrine Piau donne à voir une interprétation très réussie de la sœur de la magicienne, magicienne elle-même. Totalement dédiée à incarner son personnage, elle est une musicienne accomplie qui domine sans peine l’écriture complexe de ce rôle délicat. Le Tornami a vagheggiar est une vraie leçon de chant et son Credete al mio dolore, accompagné par le violoncelle solo, est bouleversant. Si Sandrine Piau a pu sembler un peu prudente en début de soirée, son aptitude à nous communiquer les affects du personnage, rage, sensualité ou tendresse, est absolument remarquable et elle est une interprète idéale de Morgana.

J’ai beaucoup aimé le Ruggiero de Juliette Mey qui déploie un timbre superbe et une aisance technique remarquable dans ce rôle écrit pour Carestini. D’une forte présence scénique, elle domine le rôle dont elle assume tant l’écriture virtuose que les phrasés tendres. Sta nell'ircana est exécuté avec une grande maîtrise et Verdi pratti donne à entendre un medium superbe et très naturel dans l’émission.

Jasmin White est aussi une belle découverte même si la distribution d’un contralto dans ce rôle interroge un peu. Bien entendu, elle assume parfaitement le registre grave mais la voix, par ailleurs superbe, colore un peu trop ce rôle et sied plus au travestissement en guerrier du début de l’œuvre qu’à l’amante déterminée qui suit dans laquelle un timbre plus clair est mieux approprié. Néanmoins la technique est irréprochable et l’engagement remarquable.

Oronte est confié à Stefan Sbonnik qui tire son épingle du jeu en dépit d’un timbre qui n’est pas toujours très séduisant. En Oberto, Bruno de Sá en fait trop, comme souvent, et gâche un peu par ses excès un timbre et une coloration qui n’ont pas besoin de cela.

Enfin, Alex Rosen, déjà remarqué il y a deux ans ici même dans Ariodante (voir notre chronique), est un Melisso impeccable. La technique est solide, au service d’une belle interprétation de cette figure quasi paternelle. Il donne à entendre une très belle voix de basse avec des graves somptueux et un registre aigu rayonnant.

Au clavecin et à la direction, Francesco Corti livre une interprétation particulièrement réussie d’Alcina qui détaille les nuances, colore superbement le travail d’un Il Pomo d’Oro en très grande forme, et qui est très attentif à ses chanteurs. Sa direction est un des atouts majeurs de cette soirée.

Le public a fait un grand succès à cette représentation. Bien que ce fut une belle soirée, je suis un peu plus réservé, l’âme de la magicienne Alcina ayant à mon sens été un peu absente.



Publié le 12 déc. 2024 par Jean-Luc Izard