Alcina - Haendel

Alcina - Haendel ©Rutilio Manetti - Ruggiero alla corte di Alcina
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Jaroussky sans Yoncheva.... mais avec Kalna

Alcina est créée le 18 avril 1735 dans le nouveau théâtre de Covent Garden (inauguré en 1732), juste après l'échec d'Ariodante créé en janvier 1735. Avec Alcina, Haendel essaie encore de résister à Porpora, choisissant une histoire connue de tous à l'époque (extraite de l'Orlando furioso de l'Arioste) et recourant à toutes les ressources et effets spéciaux de l'opéra magique. Et Alcina sera de fait le dernier opéra de Haendel couronné de succès à Londres.
L'intrigue repose sur le thème de la magicienne qui détourne le preux de son devoir, en l'occurrence la redoutable Alcina qui ensorcelle des guerriers qu’elle retient prisonniers dans son île enchantée. Après en avoir fait ses amants, elle les transforme en statues de pierre ou en animaux sauvages dès qu’elle s’est lassée d'eux. Le chevalier Ruggiero tombe dans ses filets et oublie l’amour de sa promise, Bradamante. Celle-ci, déguisée en homme et accompagnée du précepteur de Ruggiero, parvient à arracher ce dernier aux charmes d'Alcina.
Donnée en version de concert, la production versaillaise est ainsi privée des artifices de mise en scène et ne peut convoquer le merveilleux qu'à l'aide d'une musique qui est sublime, peut être une des plus belles écrites par Haendel. A la tête de l'Accademia Bizantina, Ottavio Dantone distille les beautés des mélodies haendeliennes avec beaucoup de science, un instinct très sûr, un beau travail d'équilibre des parties qui fait merveilleusement ressortir les bois. Mais, en dépit d'un très beau continuo, on aurait souhaité un peu plus de verve, un peu plus d'ironie, un peu plus de tourments....
Hasnaa Bennani interprète le jeune Oberto avec douceur, mettant au service de la musique un timbre liquide d'une grande beauté, très homogène, et portant beaucoup d'émotions dans les deux arias qui lui sont dédiées . Le superbe baryton de Christian Senn s'adapte à merveille au rôle de Melisso qu'il incarne avec noblesse. Oronte est interprété par un étonnant Anicio Zorzi Giustiniani qui assombrit son timbre de ténor pour épaissir un personnage malveillant et frivole. Bien projetée, la voix est agile, se déroule aisément sur tout le registre et surmonte sans peine les ornementations virtuoses qui émaillent sa partie.
J'ai plus de réserves pour la Morgana de Emöke Barath qui a cependant été très chaleureusement applaudie. Si la technique est incontestable et si la voix est bien projetée, elle m'a paru assez peu homogène, avec des notes de passage pas toujours très bien négociées et surtout, des problèmes de justesse. Si ces derniers défauts s'estomperont en cours de représentation, la fâcheuse habitude d'attaquer les aigus par en dessous subsistera...
Delphine Galou a été une très belle Bradamante. La voix était un peu petite, moins puissante que ce qu'elle nous avait déjà donné à entendre, ce qui est surprenant dans l'écrin de Versailles qui ne demande qu'à porter les voix. Mais son timbre de mezzo est toujours chaud, avec ce soupçon de raucité que j'apprécie et qui donne de l'épaisseur au personnage. La technique est superbe et la virtuosité ébouriffante.
Le Ruggiero de Philippe Jaroussky est tout simplement impeccable. Dans ce rôle écrit pour le castrat Carestini, le contre ténor est rayonnant et parfaitement à l'aise. Le timbre est toujours aussi léger et fluide, les aigus toujours superbement négociés et il traduit les sentiments contradictoires et les hésitations de son personnage avec habileté et conviction. Avec le temps, il est devenu aussi convaincant dans les grands airs de bravoure que dans les arias plus élégiaques et cette aisance dans la virtuosité me semble plus probante à chaque fois que je l'entends. Nombreux ont été les moments de pur bonheur, de l'attaque de Numi! E ver ! à la plainte de Col celarvi a chi v’ama, du mélancolique Verdi prati au guerrier et triomphant Sta nell’ircana pietrosa.
Remplacant Sonya Yoncheva, souffrante, la soprano Inga Kalna avait la lourde tâche d'incarner Alcina et d'affronter les six arias écrites par Haendel et qui font toute la complexité et la séduction de ce personnage. Tendresse, mélancolie, blessure et rage sont les sentiments que l'interprète d'Alcina doit nous donner d'entendre. Si son premier air est un peu timide, il met néanmoins en valeur une voix d'une grande beauté et d'une grande plasticité ainsi que de grandes qualités techniques. La suite confirmera cette impression. L'interprétation manque parfois un peu de noirceur mais tout y est : demi teintes, sons filés, éblouissantes vocalises, aigus comme des flèches, et elle atteindra aux sommets dans Ombre pallide et dans Ma quando tornerai. Surtout elle donne à entendre la lente marche vers l'absolue défaite amoureuse d'Alcina, défaite parce qu'amoureuse....

Publié le 18 févr. 2016 par Jean-Luc IZARD