Alcina - Haendel

Alcina - Haendel © Jannica Honey
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Le chef d'oeuvre de Haendel dans un écrin rococo

Après le succès de l'année précédente lors de la première nordique du Dardanus de Rameau, le Confidencen Opera & Music Festival a relevé un défi audacieux en mettant en scène l'une des œuvres les plus emblématiques du répertoire baroque, Alcina de Georg Friedrich Haendel. L'opéra a été présenté dans le plus ancien théâtre rococo de Suède, le Confidencen, un cadre idéal pour une œuvre qui conjugue à merveille l'enchantement et la tragédie.

La direction musicale de Peter Spissky, qui dirige depuis son violon, a permis de maintenir une cohérence musicale tout au long de la représentation. Bien que le choix de couper les sections da capo (et de supprimer le rôle du jeune Oberto) ait rendu l'œuvre plus fluide, cette décision a aussi enlevé une partie de l'ornementation vocale qui caractérise si bien l'opéra baroque. Néanmoins, cette adaptation a permis de mieux mettre en valeur la progression psychologique des personnages, notamment celle d'Alcina, interprétée avec intensité par Helena Schuback.

La mise en scène d’Helena Röhr, bien que sobre dans ses choix scénographiques, est parvenue à évoquer l'île ensorcelée d'Alcina avec une économie de moyens qui a privilégié l'essentiel : des rideaux blancs pour l'acte I, une forêt pour l'acte II, et un fond rouge pour l'acte III. Ces décors minimalistes ont permis aux émotions des personnages de prendre le devant de la scène. Cependant, la présence excessive des chaises rouges, symbolisant les obstacles, a parfois entravé la fluidité des mouvements sur scène, notamment lors de l'acte final où Alcina se retrouve seule, dépouillée de ses pouvoirs, au milieu de ces mêmes chaises.

Les lumières, malheureusement, ont trahi un manque de répétitions. L'éclairage semblait parfois mal synchronisé avec l'action, ce qui a nui à l'atmosphère voulue, en particulier lors des moments de tension dramatique, comme dans l'aria Ah mio cor où l'obscurité aurait pu renforcer la solitude d'Alcina, mais où la lumière hésitante a plutôt perturbé cet effet.

Sur le plan vocal, les interprétations étaient inégales. Helena Schuback, dans le rôle d'Alcina, a offert une prestation vocale puissante, mais par moments excessive, avec une attention trop portée sur la virtuosité des coloratures au détriment de l'expression émotionnelle. Son Ah mio cor a été néanmoins un moment fort, marqué par une mise en scène poignante où les chaises rouges étaient enlevées une à une, laissant Alcina seule dans sa douleur.

Kristina Hammarström (Ruggiero) a brillé dans Mi lusinga il dolce affetto, avec une reprise da capo applaudie malgré quelques hésitations presque chantonnées. Son Sta nell’Ircana était également mémorable, surtout grâce à la mise en scène des ombres créées par les chaises, formant ce qui semblait un cœur, un geste symbolique soulignant la dualité de son personnage.


© Jannica Honey

Dans le rôle d'Oronte, Thomas Volle a su exploiter au mieux les petites dimensions de la scène avec une voix qui s'adaptait parfaitement à l'acoustique intimiste du Confidencen. La Morgana de Jessica Elevant a été une révélation de la docteure en physique des particules, non seulement pour sa voix mais aussi pour sa présence scénique impulsive, reflétant son caractère atypique et presque marginal, bien rendu dans Tornami a vagheggiar.

Linnea Andreassen (Bradamante) a choisi une interprétation particulièrement lente et pointue de Vorrei vendicarmi, ajoutant une tension dramatique bienvenue à son personnage.

Le chœur (chanté par l'ensemble des solistes), bien que réduit, a offert des moments de pure intimité, notamment dans Questo è il cielo. Le choix de conclure l’opéra avec une variation sur flûte piccolo a été un choix audacieux mais efficace, ajoutant une touche d'originalité à cette production.

Après deux années dédiées au baroque intermédiaire, on attend avec impatience de voir ce que le Confidencen Opera & Music Festival nous réserve pour l’année prochaine, avec peut-être une incursion dans le baroque précoce ou tardif. Cette production d’Alcina, malgré ses quelques faiblesses, a su captiver le public par son audace et sa profondeur émotionnelle, tout en innovant subtilement dans un ouvrage bien établi.



Publié le 11 août 2024 par Pedro Medeiros