Suites pour violoncelle - Bach

Suites pour violoncelle - Bach ©Bertrand Pichène - CCR Ambronay
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Sensibilité et nuances

Après avoir fait la rencontre avec un violoncelle de 1730, signé du luthier vénitien Carolo Tononi, Emmanuelle Bertrand a eu envie de jouer l’œuvre de Bach comme jamais auparavant et de partager cette passion renouvelée avec le public. Chefs-d’œuvre du répertoire pour violoncelle, les Suites pour violoncelle sont donc comme une évidence pour la violoncelliste qui aujourd’hui, en concert d’ouverture du troisième week-end du Festival d’Ambronay, en propose les trois premiers.

Emmanuelle Bertrand propose d’interpréter les trois suites « à reculons » en commençant par la Suite n°3. Il est tout d’abord intéressant d’aborder le programme d’une manière différente à ce que l’on peut avoir l’habitude. L’oreille de l’auditeur est ainsi mieux disposée à découvrir cette suite sans avoir déjà les deux premières en mémoire. L’instrumentiste défend aussi vouloir commencer par la tonalité solaire de Do Majeur, qui permet à son instrument de briller immédiatement. Effectivement, on peut de suite apprécier le timbre savoureux et riche de ce violoncelle, aux graves possédant un merveilleux grain de son, et des aigus d’une belle rondeur, tout comme les médiums chaleureux. Emmanuelle Bertrand sait proposer de multiples et pertinentes nuances, toujours bien amenées. Bien qu’elle partage son bonheur de jouer ces œuvres dans cette belle abbatiale, on regrette que l’acoustique n’y soit un peu trop généreuse et ne permette pas d’apprécier la précision de son jeu polyphonique.

Emmanuelle Bertrand interprète avec fraîcheur et sensibilité sans tomber dans l’intimisme exagéré, restant consciente qu’elle est en concert, n’hésitant pas parfois à regarder son public pour ressentir pleinement les ressentis de celui-ci, parfaitement à l’écoute. Le spectateur prend alors plaisir à écouter comme à regarder les gestes de la musicienne, particulièrement attentif à ceux souples et sûrs de son archet qui accroche sans brusquer les cordes. La Suite n°2 a beau être en ré mineur, tonalité sombre souvent utilisée pour évoquer la mort, c’est une méditation lumineuse que l’on entend plutôt. La conduite est certaine, l’auditeur s’y laissant entraîner avec une complète confiance. Jamais il ne se montre lassé grâce à la diversité des propositions de nuances et de timbres, toujours très beaux car soignés avec goût, malgré quelques rares sons parasites étonnamment exagéré par l’acoustique mais que l’on oublie tout aussitôt.

Alors que l’on s’émerveille de l’archet baroque frottant avec délice les cordes du violoncelle, ses crins cèdent soudainement lors de la Bourrée de la seconde suite. Forcée de changer de partenaire, prenant donc en dépannage son archet moderne, Emmanuelle Bertrand doit faire preuve de toute sa maîtrise technique pour ne pas trop montrer qu’elle est ainsi déstabilisée dans son jeu. L’oreille de l’auditeur l’est de toute manière. Comme l’artiste le partage elle-même, c’est l’occasion de comparer les différences entre l’archet moderne et l’archet baroque, et d’en découvrir les richesses, malheureusement désormais perdues : une tension de son, un grain flatteur, un caractère mordant et une certaine clarté dans les passages les plus alertes. La main gauche semble elle-même avoir perdu un précieux partenaire de jeu, offrant parfois des passages moins décidés et plus sucrés, donc moins à propos. Mais force est de constater qu’Emmanuelle Bertrand réussit à ne pas perdre pour autant sa sensibilité et sa force de proposition en matière de couleurs. Elle se rend compte à temps, après la Sarabande de la Suite n°1, que son archet moderne doit être retendu et les Menuets et la Gigue finale peuvent jouir d’une attaque tout de même plus accrocheuse, les jeux de rythmes tant ainsi plus évidents.

En guise de bis, Emmanuelle Bertrand offre la sublime Sarabande de la Suite n°5, comme sur un fil, avec une nuance p comme présente, aussi doux que parfaitement audible. Un long et magnifique silence suit ce moment rare, personne du public n’osant le rompre, avant un tonnerre reconnaissant d’applaudissements.



Publié le 02 oct. 2021 par Emmanuel Deroeux