Angelica - Porpora

Angelica - Porpora ©Clarissa Lapolla
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Un joyau de la musique vocale baroque

Nicola Antonio Porpora connut une vie d'errance, au service des princes allemands à Naples (sa ville natale), puis à Venise et à Londres, la cour de Dresde, Vienne et enfin Naples où il passa ses dernières années dans une quasi-pauvreté. Mais en échange Porpora aura joué un rôle fondamental dans cette Europe qui ne saurait se résumer à ses convulsions. Rome, Milan, Reggio Emilia jouent ses œuvres. En 1733, Londres s'en entiche. Porpora fut certainement le plus important compositeur italien de musique vocale et d'opéras de son époque. À Vienne, il semble que Metastasio lui ai fait connaître le jeune Joseph Haydn, qui devient à la fois son factotum, son valet et son élève. Haydn à l'époque vivait chichement en donnant des leçons de violons. Prolifique, représentatif à l'extrême des principaux courants esthétiques de son époque, Porpora fut trop populaire en son temps pour que la postérité ne veuille pas lui en faire lourdement payer le tribut; d'où l'oubli relatif, teinté de mépris entourant la mémoire du compositeur. Il était donc juste de lui rendre sa place dans l'histoire de la musique occidentale.

Angelica est une œuvre exceptionnelle qui narre la geste du célèbre paladin à partir de deux sources fondamentales : l’Orlando furioso de Ludovico Ariosto, publié en 1516, précédé en 1483 de l’Orlando innamorato de Matteo Maria Boiardo. Cette serenata fut commandée à Porpora à l'occasion de l'anniversaire de l'impératrice Elizabeth-Christine d'Autriche et représentée à Naples le 20 août 1720 sur la scène du théâtre privé d’Antonio Caracciolo, prince de Torella (concernant le genre spécifique de la serenata, se reporter à la chronique ).

Porpora composa cette œuvre à l'âge de 34 ans et bien que l'on puisse la considérer comme appartenant à sa première période créative, elle révèle déjà une grande maturité. A l'époque Porpora avait à son actif sept opéras. Tant par le nombre de personnages qui participent à l'action, le développement, la variété et la clarté narrative des pièces que par la durée et l'énorme quantité de matériau musical de la totalité de l’œuvre, il n'existe pas de véritable différence entre ce componimento drammatico et un opéra seria de l'époque. Cette œuvre marque le début sur la scène de l'un des plus grands chanteurs de l'histoire de la musique, Carlo Broschi, plus célèbre sous le nom de Farinelli (1705-1782), ainsi que la première composition pour la scène de celui qui allait devenir le plus exceptionnel librettiste du XVIIIᵉ siècle, Pietro Metastasio (1698-1762), Il convient d'ajouter la spectaculaire distribution des chanteurs solistes qui participèrent à la création : la soprano Maria Anna Benti Bulgarelli, dite la Romanina (à noter qu'elle chante une tierce plus basse, sans doute pour faciliter son chant. En effet, elle n'avait pas un registre aigu particulièrement brillant), le soprano castrat Domenico Gizzi, disciple comme Farinelli de Porpora et la mezzo soprano Maria Antonietta Marchesini. Par contre, les deux airs de Gioacchino Corrado (basse) demandent une grande virtuosité et une grande extension de la voix. Quant à la Romanina, qui prêta sa voix à Angelica, on sait qu'elle joua un véritable rôle de mentor pour Metastasio. La conjonction inusitée de faits et de personnalités qui entourèrent la création de cette œuvre en fait un étonnant joyau de la musique vocale scénique baroque.

Dans le manuscrit autographe conservé à la British Library, la sinfonia d'introduction n'a pas été conservée. Porpora ne paraît pas avoir désiré composer une ouverture propre à l’œuvre. Il emploie le récitatif de la première scène à la façon d'une introduction. C'était un cas fréquent à l'époque. Il était pratique commune d'insérer une ouverture écrite antérieurement par le compositeur lui-même. L'Angelica est divisé en deux parties. La figure d’Orlando est essentiellement statique : il ne fait rien mais permet aux autres protagonistes de préciser leur position. Il est probable que la serenata a été composée en peu de temps. L'Angelica présente une grande fraîcheur et une qualité d'écriture très élevée. On le ressent particulièrement dans le soin et l'élan lyrique avec lesquels sont écrits les récitatifs.

Un couple d'amoureux, Angelica et Medoro fuient la colère de Orlando, épris d’Angelica mais repoussé par elle. Leur histoire se mêle à celle du couple des bergers Licori et Tirsi. Un vieux sage commente les événements.

Les six personnages agissent dans le respect de la règle aristotélicienne d'unité de temps, de lieu et d'action, avec un texte qui insiste davantage sur les réactions psychologiques des personnages que sur la portée dramatique. L'écriture de Porpora est raffinée, riche en virtuosités mais sans excès et attentive à faire de l'orchestre le vecteur de l'expression.

Federico Maria Sardelli, un des chefs d'orchestre parmi les plus appréciés pour son interprétation du répertoire baroque, dirige avec détermination et un vif sens de la narration La Lira d'Orfeo. Le son est ouaté, l'orchestre attentif aux changements dans les dynamiques, au chant et au phrasé. La scène est dominée par Teresa Iervolino, mezzo soprano, qui soigne particulièrement les airs. Elle a pu mettre en évidence un timbre velouté, aux tintes sombres, un phrasé élégant et toute son assurance dans les coloratures. La scène finale est particulièrement brillante, où la mezzo soprano restitue à la folie du paladin toute la gamme de ses émotions.

Angelica a la voix claire et souple d’Ekaterina Bakanov, capable de projeter la voix au delà de l'orchestre. Elle fait également un usage savant du legato et fait preuve d'une grande expressivité. Paola Valentina Molinari, dans le rôle de Medoro, chante ce qui est peut-être l'air le plus beau et le plus émouvant de la partition et dialogue douloureusement avec le violoncelle, instrument joué par Porpora. Gaia Petroni chante une Licori très musicale, Sergio Foresti chante un éminent Titiro, tandis que Barbara Massaro joue Tirsi, rôle écrit pour le tout jeune Farinelli.

Malheureusement, la mise en scène et les costumes ne réussissent pas à faire décoller ce spectacle peu convaincant, fondé sur une dramaturgie plutôt faible. La scène est occupée par une table somptueusement décorée, derrière laquelle des panneaux semi-transparents permettent aux personnages et aux mimes de se matérialiser.



Publié le 14 août 2021 par Véronique Du Moulin