Le Triomphe de l'Amour - Angioloni

Le Triomphe de l'Amour - Angioloni © Laure Delemme
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L’amour dans tous ses états

Aux confins de la Beauce, Châteaudun (Eure-et-Loir) est une petite localité historique qui domine le val du Loir. Perché sur un éperon rocheux situé à trente mètres au-dessus de la rivière, son château se compose d’un impressionnant donjon, reste de constructions antérieures, d’une chapelle et d’une aile bâties au XVème siècle par Jean Le Dunois (« le bâtard d’Orléans », compagnon de Jeanne d’Arc lors de la Guerre de Cent Ans), et d’une aile Renaissance abritant un escalier richement orné. Le concert qui nous est proposé se tient dans la chapelle, élevée à la fin du XVème siècle au rang de Sainte Chapelle. Le programme s’articule autour d’airs français et italiens du XVIIème siècle décrivant les différents aspects du sentiment amoureux. Bâti avec soin par le ténor Marco Angioloni, Le Triomphe de l’Amour rassemble des pages connues et d’autres plus rares, qui permettent de découvrir des compositeurs peu connus de cette période. Le chanteur est accompagné par le théorbe au son charnu de Léa Masson.

Après un premier air de Girolamo Frescobaldi (Se l’aura spira), Marco Angioloni fait une courte présentation du programme aux spectateurs. Le second air (Fino all’ultimo respiro, du rare Carlo Donato Cossoni) évoque un amour absolu « jusqu’au dernier souffle », avec une pointe de désespoir. Le chanteur s’y montre très expressif, appuyant les intonations du texte de sa gestuelle démonstrative et de ses mimiques. Le troisième air, Intorno all’idol mio, est extrait de L’Orontea de Pietro Cesti ; le théorbe se montre particulièrement suggestif dans son accompagnement.

Léa Masson prend quelques minutes pour nous présenter son instrument : le théorbe appartient à la famille des luths. Au début du XVIIème siècle, les luthiers ont ajouté les cordes longues indispensables pour former les notes graves requises pour jouer la basse continue. L’instrument est donc essentiellement employé dans ce registre, mais certains morceaux ont également été composés spécialement pour lui. Elle nous en livre aussitôt un exemple avec le Prélude et chaconne pour mademoiselle de La Balme, du français Charles Hurel, actif entre 1665 et 1692, dédié à une jeune fille dont il était probablement amoureux.

Marco Angioloni revient avec un air de Michel Lambert (1610-1696), Doux charmes du printemps. Le ténor y montre sa maîtrise du phrasé de l’air de cour français, toujours animé par une grande expressivité gestuelle. Dans Nous pouvons nous flatter (extrait d’Atys de Lully) Marco Angioloni donne beaucoup de relief au texte, dont il accentue les intonations à la manière d’un air de concert. Suit une majestueuse entrée d’Apollon (Non curi la mia pianta) dans La Dafne du rare Marco Da Galliano, émaillée de longs mélismes impeccablement exécutés.

Après ces raffinements curiaux, le théorbe de Léa Masson résonne seul dans la chapelle pour un Prélude en sol majeur d’Angelo Michele Bartolotti. Nous apprécions la sonorité franche et bien ronde des cordes de l’instrument, copie moderne aux accents particulièrement agréables.

Retour au chant avec Folle è ben che si crede de Tarquinio Merula. Les longs mélismes amers de Marco Angioloni, appuyés d’une gestuelle démonstrative, plongent avec conviction le spectateur dans la désillusion de l’amoureux déçu. Par contraste, l’air suivant (Vi ricorda o boschi ombrosi) évoque le bonheur amoureux : il s’agit du chant d’Orphée lors de ses noces avec Eurydice, dans L’Orfeo de Claudio Monteverdi, une sorte de « toast » comme le suggère le ténor dans sa présentation. Le Dormi ben mio du rare Francesco Fiamengo évoque lui l’amour maternel, puisqu’il s’agit d’une berceuse. Le volume vocal est soigneusement contrôlé, jusqu’à la lente extinction finale qui suggère l’endormissement. Les Partite variate sopra l’Aria francesa detta L’Allemana (Variations sur l’air français dit L’Allemande) d’Alessandro Piccinini constituent des variations instrumentales sur une chanson populaire française du XVIIème siècle. Celle-ci, connue en France comme Air de la Jeune Fille, retraçait le désespoir d’une jeune fille qui va être envoyée au couvent alors qu’elle est tombée amoureuse d’un jouvenceau. La clarté des accords du théorbe de Léa Masson ravit à nouveau nos oreilles.

Le programme se conclut sur un air du rare Benedetto Ferrari. Amanti io vi so dire proclame aux oreilles des amants combien l’amour est folie : là encore Marco Angioloni renforce ses intonations par une gestuelle très expressive, qui entraîne le spectateur dans le discours du texte. Suite aux applaudissements nourris du public, le duo revient sur scène pour un bis, l’Air espagnol du Ballet des Muses de Lully, dont l’atmosphère espagnole est suggérée par les attaques vives du théorbe, à la manière d’une guitare. Léa Masson nous précise que cet air fera partie d’un prochain enregistrement dédié à la guitare à la cour de France.

Saluons aussi au passage la naissance d’un nouveau festival musical en Eure-et-Loir, dans le cadre duquel ce concert baroque était donné. Cette initiative est due à l’association Orfeo 28, créée pour l’organisation et la promotion d’un festival qui porte son nom (voir la page) : souhaitons lui le succès dans sa volonté de promouvoir la musique en général – et le répertoire baroque en particulier – dans cette zone plutôt rurale mais au réel potentiel touristique, qui possède de réels atouts pour rassembler les mélomanes venus d’ailleurs (notamment d’Ile-de-France, accessible en TER Centre depuis la gare d’Austerlitz) aux côtés des habitants du secteur.



Publié le 19 sept. 2024 par Bruno Maury