Armide - Lully
© Afficher les détails Masquer les détails Date: Le 03 août 2024
Lieu: Théâtre du Palais de Drottningholm (Suède)
Programme
- Armide
- Tragédie lyrique en un prologue et cinq actes de Jean-Baptiste Lully (1632-1687), sur un livret de Philippe Quinault
- Créée le 15 février 1686 à l’Académie royale de musique (salle du Palais-Royal)
Distribution
- Allyson McHardy (Armide)
- Nicholas Scott (Renaud)
- Nicolas Brooymans (Hidraot/ Ubalde)
- Renato Dolcini (Aronte/ La Haine)
- Zachary Wilder (Le Chevalier Danois)
- Marie Lys (Phénice/ La Gloire/ Une Nymphe des Eaux/ Mélisse)
- Deborah Cachet (Sidonie/ Une Bergère héroïque/ Lucinde)
- Arash Azarbad (Artemidore)
- Ballet du Théâtre de Drottningholm : Matilda Larsson, Miranda Benramdane Fält, Anna Holland, Františka Sochorová, Duarte Barros, Jack Ullman, Astrid Atterfors, David Tengblad
- Mise en scène : Florent Siaud
- Assistant à la mise en scène : Johannes Haider
- Chorégraphie : Natalie van Parys
- Scénographie et costumes : Philippe Miesch
- Création lumières : Nicolas Descôteaux
- Chœur du Théâtre de Drottningholm :
- Dessus : Miranda Colchester, Ida Zackrisson, Fanny Kempe, Maria Nordstedt
- Hautes-contre : Szymon Rudzki, Ingrid Rådholm Konvicka, Mathilda Sidén Silfver
- Tailles : Svante Gustafsson, Patrik Kesselmark, Fredrik Mattsson
- Basses : Arash Azarbad, Erik Arnelöf, Gustav Ekmark
- Orchestre The Drottningholm Theatre Orchestra
- Direction : Francesco Corti
Un triomphe visuel et musicalArmide de Jean-Baptiste Lully, créée en 1686, est l'une des œuvres majeures du répertoire baroque français. Cet ouvrage a connu plusieurs adaptations et réinterprétations au fil des siècles. L'une des reprises les plus célèbres est le Rinaldo de Georg Friedrich Haendel, créée en 1711. Bien que Rinaldo ne suive pas la trame d'Armide, il puise également dans les thèmes de la magie et du conflit amoureux présents dans les récits épiques de l'époque. Au XVIIIe siècle, Armide a été adaptée pour diverses productions, et plusieurs versions révisées ont vu le jour, modifiant le texte et la musique pour répondre aux goûts changeants du public, comme celles de Jean-Philippe Rameau et Jean-Baptiste Bréval. Ces adaptations ont souvent impliqué des ajustements dans les ballets, la mise en scène, et même les airs, pour maintenir la pertinence et l'attrait de l'œuvre. Au XIXe siècle, l'œuvre a été révisée et arrangée pour des interprétations plus modernes, avec des réductions orchestrales et des modifications dans les interprétations afin de s'adapter aux conventions de l'époque romantique. Par exemple, Jules Massenet a orchestré des arrangements de certaines sections pour des productions en concert qui cherchaient à combiner les éléments baroques avec les nouveaux styles romantiques. Ces adaptations témoignent de la richesse et de la flexibilité d’Armide, qui continue d'inspirer des artistes et des metteurs en scène à travers les âges, tout en restant un pilier de l'opéra baroque.
La mise en scène d’Armide pour le Drottningholms Slottsteater, sous la direction artistique de Florent Siaud, réussit à capturer l'essence du baroque français tout en proposant une relecture subtile et psychologiquement dense de cette œuvre classique. En rendant hommage à l'esthétique originelle de Jean-Baptiste Lully, l'équipe de production, notamment le chef d'orchestre Francesco Corti et la chorégraphe Natalie van Parys, restitue une atmosphère authentique, tout en exploitant les ressources historiques de ce théâtre emblématique. Le choix de Drottningholm, avec son cadre historique et ses machines scéniques d'époque, est particulièrement approprié pour une tragédie lyrique telle qu'Armide (voir ma chronique). La production commence avec les battues typiques de Lully, utilisant des percussions vives et dynamiques pour marquer l'énergie et le caractère baroque de l'œuvre. La scène, ornée de décors et de costumes minutieusement recréés par Philippe Miesch, plonge le spectateur dans l'univers somptueux et tourmenté du XVIIe siècle.
L'interprétation des rôles principaux est en grande partie réussie, avec une mention spéciale pour Allyson McHardy dans le rôle-titre. La mezzo canadienne incarne parfaitement la magicienne tourmentée, déchirée entre la haine et l'amour. Sa voix riche et puissante transmet avec une intensité remarquable les émotions conflictuelles de son personnage, capturant la dualité d'Armide avec une profondeur psychologique palpable. Chaque air qu'elle interprète est une exploration minutieuse de la psychologie d'Armide, particulièrement dans des moments clés comme Je ne triomphe pas.
Nicholas Scott, dans le rôle de Renaud, offre une prestation vocale solide, dépeignant avec compétence le chevalier héroïque, à la fois noble et vulnérable (Trop malheureuse Armide, hélas ! ). Cependant, si sa voix est techniquement impeccable, son jeu scénique manque parfois de l'intensité émotionnelle nécessaire pour représenter pleinement les dilemmes de Renaud, en particulier lors des scènes de confrontation avec Armide, où une plus grande profondeur aurait ajouté à la tension dramatique.
© Markus Gårder
Nicolas Brooymans est convaincant dans ses deux rôles de Hidraot, le roi de Damas, et d'Ubalde, l'ami de Renaud. Sa voix grave et imposante convient parfaitement au personnage de Hidraot, ajoutant une autorité naturelle à ses interventions (Arrêtons-nous ici) . Dans le rôle d’Ubalde, Brooymans apporte une énergie différente, mais tout aussi efficace, en incarnant la loyauté et la détermination dans ses scènes avec le Chevalier Danois - Redoublons nos soins, accompagné de manière particulière par le triangle des percussions.
Renato Dolcini (Aronte et La Haine) se distingue par sa capacité à incarner des émotions intenses et sombres, comme dans Ô ciel ! ô disgrâce cruelle ! Son incarnation de la Haine est particulièrement marquante, restituant toute la cruauté et la soif de vengeance du personnage à travers une expressivité vocale saisissante. Ses apparitions, vêtu son costume effrayant, sont parmi les moments les plus puissants de l'opéra, laissant au spectateur une impression durable – en particulier lorsqu’il chante Plus on connaît l’amour.
Zachary Wilder (Le Chevalier Danois et Un Amant fortuné), apporte une légèreté et une clarté à ces rôles qui contrastent avec les tonalités plus sombres de l'opéra. Sa voix agile et lumineuse est particulièrement bien adaptée aux passages où l'amour et la camaraderie sont au cœur de l'action. Wilder parvient à insuffler avec élégance l'esprit chevaleresque, en offrant des moments d’une fraîcheur bienvenue.
Marie Lys excelle dans ses multiples rôles, démontrant une grande flexibilité vocale et dramatique. Que ce soit en tant que Phénice ou Mélisse, elle apporte une délicatesse et une finesse qui enrichissent chaque scène où elle apparaît. Son interprétation de La Gloire est particulièrement impressionnante, dans laquelle elle incarne la grandeur et la beauté avec une présence scénique captivante (Dans un jour de triomphe).
Deborah Cachet, dans divers rôles féminins, offre une prestation élégante et gracieuse. Sa voix, pure et limpide, se distingue particulièrement dans les moments où la tendresse et l'innocence sont mises en avant. Dans l'air de Lucinde Voici la charmante retraite, la beauté mélancolique de la mélodie est magnifiquement accompagnée par une chorégraphie de jeu de paume, ajoutant une dimension visuelle élégante et dynamique à l'interprétation. Son interprétation de la Bergère héroïque, par exemple, apporte un contraste apaisant aux tourments des personnages principaux, tout en enrichissant l'atmosphère pastorale de l'opéra (On s’étonnerait moins que la saison nouvelle).
Dans le rôle pourtant modeste d'Artemidore, Arash Azarbad se fait remarquer par la chaleur et la richesse de sa voix. Son interprétation ajoute une touche subtile mais essentielle à la dynamique globale de l'opéra, soutenant les autres chanteurs tout en apportant sa propre nuance au récit.
Le Chœur du Théâtre de Drottningholm contribue de manière significative à l'intensité dramatique de cette tragédie lyrique. Les voix s'harmonisent parfaitement, créant une toile sonore qui renforce les moments clés de l'intrigue.
De plus, les danseurs du ballet, sous la direction de Natalie van Parys, ajoutent une dimension visuelle et émotionnelle essentielle, en particulier lors des scènes de danse baroque, qui sont exécutées avec une précision et une grâce admirables. Un des points forts de cette production est sans doute l'intégration de jeunes danseurs formés spécifiquement à la danse baroque pour cette occasion. Leur performance apporte une dimension supplémentaire à l'opéra, enrichissant les scènes où le surnaturel se mêle à la psyché des personnages. Cette initiative, visant à revitaliser une tradition chorégraphique en voie de disparition en Suède, est à saluer.
Cette production d'Armide est portée par un ensemble de chanteurs et de musiciens qui, chacun à leur manière, enrichissent l'expérience baroque. Chaque interprète, du rôle principal aux personnages secondaires, apporte une contribution essentielle à la richesse de cette représentation. La combinaison de talents vocaux exceptionnels, de décors historiques fidèlement recréés, et d'une direction artistique visionnaire fait de cette version d'Armide un événement mémorable, digne des plus grandes scènes baroques. Cette production d'Armide à Drottningholm constitue un triomphe visuel et musical, qui offre une immersion profonde dans l'univers de la tragédie lyrique.
Publié le 10 août 2024 par Pedro Medeiros