Gli astrologi immaginari - Paisiello

Gli astrologi immaginari - Paisiello ©Simon Hanot
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Un opéra ravissant, drôle, souvent émouvant

La vie était dure pour les compositeurs d'opéras aux temps baroques et classiques. Un succès éclatant n'entraînait pas forcément une renommée durable car le public de l'époque était très avide de nouveauté. Il fallait donc remettre très vite le fer sur l'enclume afin de ne pas se faire oublier. Des compositeurs comme Giovanni Paisiello (1740-1816), Domenico Cimarosa (1748-1801) et bien d'autres (Francesco Bianchi, Gennaro Astaritta, Pasquale Anfossi, Nicolo Piccinni,...) écrivaient de quatre à six opéras par an et une centaine au cours de leur vie. Il est frappant de constater que pendant le séjour de Paisiello à Saint Pétersbourg, au service de l'Impératrice Catherine de Russie de 1777 à 1783, la production opératique du natif des Pouilles se ralentit considérablement et en même temps devint plus qualitative. C'est pendant le séjour en Russie que furent écrits Gli astrologi immaginari (1779), Il barbiere di Sevilla (1782) et Il mondo della luna (1783).

Gli Astrologi Immaginari, musique de Giovanni Paisiello sur un livret de Giovanni Bertati (1735-1815), fut représenté au Théâtre de l'Hermitage de Saint Pétersbourg le 14 février 1779. Le succès fut immédiat et l'oeuvre parcourut les principales capitales européennes dans la décennie qui suivit. Joseph Haydn (1732-1809) monta et dirigea l’œuvre au théâtre d'Eszterhàza en 1782. A partir de cette date et jusqu'en 1784, il y eut 33 représentations à Eszterhàza, chiffre considérable montrant l'intérêt de Nicolas le Magnifique pour cette œuvre, seulement dépassé par celui (54) des représentations d'Armida, opera seria de Haydn.

Petronio est passionné jusqu'à l'obsession d'astronomie et de philosophie. Il s'est mis en tête de marier ses filles, Clarice et Cassandra à des savants et de ce fait rejette Giuliano, l'amoureux de Clarice. Contrairement à Clarice, une fille toute simple, sa sœur aînée Cassandra est férue de philosophie. Pour conquérir Clarice, Giuliano se déguise en un philosophe grec âgé de cent ans. Le philosophe prétend pouvoir rajeunir grâce à un élixir. Il pense également pouvoir guérir Clarice de son ignorance et c'est avec enthousiasme que Petronio lui confie sa fille et signe un papier, un acte de mariage en fait, sans l'avoir lu. Entre temps l'élixir fonctionne, le philosophe rajeunit et se transforme en Giuliano au grand désespoir de Petronio qui réalise qu'il a été berné.

Ce livret complètement loufoque, très commedia dell'arte était fait pour amuser le public avec des thèmes « porteurs »: l'idée fixe, déjà abordé dans le remarquable Socrate Immaginario de 1775 et Il Sposo burlato de 1778 de Paisiello et la délirante Armida immaginaria de Cimarosa de 1777, le conflit de générations et une intrigue reposant sur l'artifice du déguisement.

Avec des airs assez courts, dépourvus de virtuosité, deux beaux ensembles de dix minutes chacun terminant les deux actes et quelques chœurs assez brefs, l’œuvre est remarquable par sa concentration et annonce par bien des côtés Le Barbier de Séville terminé trois ans plus tard. Il est probable qu'elle dut plaire à Haydn qui reprochait aux opéras italiens la longueur des airs au regard de leur contenu musical. Du fait de son succès, l’œuvre voyagea dans la plupart des capitales européennes et cela jusqu'au début du 19ème siècle. De ce fait il existe plusieurs versions de l'opéra. La version utilisée par Génération Baroque est celle de la bibliothèque de Vienne, très proche du manuscrit original, selon Martin Gester. L'instrumentation de cette version est dépourvue de clarinettes qui figurent par contre dans deux versions enregistrées, elle est peut-être similaire à celle, dépourvue aussi de clarinettes que Haydn avait entre les mains en 1782.

Génération Baroque, atelier lyrique du Parlement de Musique, est un instrument de détection de talents, un lieu d'expérimentation, de formation et une tribune. Après L'Infedelta delusa de Haydn, L'Italiana in Londra de Cimarosa en 2015, Alceste de Lully en 2016, Pimpinone de Telemann et Livietta e Tracollo de Pergolèse en 2017 et Diane ou la vengeance de Cupidon de Reinhard Keiser en 2018 (lire notre compte-rendu), Génération Baroque continue, avec Gli astrologi immaginari, d'explorer et de faire revivre le monde de l'opera buffa du dix huitième siècle.

La mise en scène de Carlos Harmuch exploite pleinement les finesses du livret de Bertati. Un groupe de jeunes gens déménageant une bibliothèque, tombent sur des grimoires, des curiosités, de nombreuses planches ornithologiques, une corneille. A partir de là, ils imaginent une action dramatique dans laquelle la philosophie et la gent ailée jouent un rôle de premier plan. Force est de constater qu'il s'agit d'une science de pacotille qui finira au placard en même temps que la corneille qui l'inspire. La scénographie très simple utilise des amas de cartons joliment peints et tire parti des lieux notamment de la magnifique chaire baroque placée au fond de la scène. Les costumes et déguisements sont drôles et seyants. Si on y ajoute une superbe direction d'acteurs, tous les ingrédients sont réunis pour un beau spectacle.

L’œuvre démarre sur les chapeaux de roues avec le terzetto: Un signor di buon aspetto. Clarice annonce la venue de son amoureux Giuliano à Cassandra et Petronio. Ces derniers absorbés par un livre de philosophie et par l'observation du ciel demandent le silence. D'emblée le charme mélodique et la splendeur sonore de ce début sont dignes du meilleur Paisiello. Les quatre chanteurs principaux donnent de la voix et réussissent une magnifique entrée en matière.

Valeria La Grotta est l'interprète de Clarice. Dans la cavatine Mi sia guida la mia stella, la chanteuse dialogue avec un basson et un hautbois ce qui confère à cet air un charme exquis. La mélodie de Paisiello émeut par sa simplicité et son naturel. Dans Una donna letterata, la chanteuse dessine avec humour son portrait, elle n'est pas faite pour la philosophie mais pour les joies simples de la famille. Tout cela fait mouche grâce à l'excellente projection de sa voix, sa belle diction et une excellente intonation. Plus loin elle se montre très émouvante dans sa dramatique intervention du finale de l'acte I, Sospirando notte e di.

Le rôle de Petronio est confié généralement à un basso buffo censé représenter un vieux barbon. Le baryton-basse Nicola Ciancio a incarné un père plus jeune, choix qui m'a paru judicieux et cohérent avec la conclusion de l’œuvre. La belle voix ample et sonore de Nicola Ciancio donnait beaucoup de punch à ses interventions notamment dans son air, A voi darla in matrimonio dans lequel il fait montre de souffle, de puissance et d'une amusante agilité vocale.

Thomas Hansen (Giuliano) s'exprime avec une chaleur non dépourvue de finesse dans l'aria Vi lascio in pegno il core. Il s'agit d'un air à deux vitesses, débutant andantino et se poursuivant allegro. D'une voix de baryton bien timbrée, plus lyrique que celle de Petronio, il trouvait les accents adéquats pour exprimer son amour profond pour Clarice et nous émouvoir en même temps.

Dans Le finale de l'acte I, Venga pur ch'è benvenuto, on est frappé par la quasi identité du passage Se attender voi siete contento avec plusieurs passages du Barbier de Séville du même Paisiello et l'air fameux de Cherubino Non so piu cosa son, cosa faccio, des Noces de Figaro de Mozart. Le tutti final est endiablé, les quatre protagonistes entrent en canon à la manière d'un madrigal de la Renaissance, comme cela sera aussi le cas dans les chœurs terminant Il Mondo della Luna (1783) et Il Re Teodoro in Venezia (1784) du même Paisiello. Tout s'arrête et, moment magique, le quatuor murmure Silenzio qua si faccia, moment d'une intense poésie. Seul Paisiello est capable de tels contrastes qui étaient magnifiquement rendus ce 17 janvier par un brillant quatuor vocal.

L'acte II débute par un duetto entre Clarice et Petronio qui est un des sommets de l'opéra. Clarice avec toute la bonne éducation qui la caractérise refuse poliment les deux partis grotesques que son père lui impose. Devant l'obstination paternelle, elle répond avec énergie et détermination. Nicola Cianco et Valeria La Grotta se surpassent dans ce duetto dont le comique réside dans l'extrême vélocité du débit de parole.

Le duo Con anni cento de Giuliano grimé en un philosophe âgé de cent ans et de Petronio avec force voix chevrotantes, toux, crachats est particulièrement célèbre. Paisiello récidivera dans la scène tout aussi fameuse des éternuements dans Il barbiere di Sevilla. Les spectateurs devaient être pliés en deux à force de rire. Je ne suis pas très sensible à ce comique un peu vulgaire qu'un Mozart ne se serait jamais permis de pratiquer, du moins dans sa musique. Thomas Hansen et Nicola Cianco n'en font pas des tonnes ce que j'ai apprécié.

Le magnifique air de Cassandra L'ora cheta ed opportuna est accompagné par le chœur. Cassandra bénéficie d'un des plus beaux moments de la partition. Dans la version présentée par Génération Baroque, Cassandra chante au préalable un air rarement interprété, Di mie virtu sicuro. Ce dernier, écrit dans le style de l'opéra seria, est parodique et Cristina Mosca le chante avec beaucoup d'humour d'une voix à la magnifique projection et au timbre chaleureux. Cristina Mosca a donné à cette protagoniste sans grande caractérisation dans le livret, une cohésion psychologique et une vraie personnalité.

Lors du finale de l'acte II, on éprouve une sensation de déjà vu et entendu. Il débute avec une scène au rythme ¾ très voisine de scènes « infernales » de Socrate immaginario, il Sposo burlato de Paisiello et La Grotta di Trofonio d'Antonio Salieri (1750-1825), toutes évidemment inspirées par Orfeo ed Euridice de Christoph Willibald Gluck (1714-1787). Les quatre chanteurs principaux nous conduisent vers un lieto fine. Jeunesse et enthousiasme sont les mots qui viennent spontanément à la bouche pour saluer leur prestation.

Les chœurs des disciples, musiques d'une simplicité et d'un charme mélodique incomparables, illustrent bien le génie de Paisiello dans le maniement des voix. Ils étaient chantés par Georgia Tryfona, Fernanda de Araujo, Elias Juan Ongay et Léonard Schneider. Ces derniers, acteurs désopilants et excellents chanteurs, ont contribué de façon marquante à l'action sur scène et au beau son de l’œuvre.

L'orchestre de Génération Baroque en petite formation (quintette à cordes, les vents et le continuo) produisait un son nourri et équilibrait parfaitement les voix. Les cordes étaient précises et alertes, les bois très présents dialoguaient fréquemment avec les voix. L'orchestre, les chœurs et les solistes étaient placés sous la direction experte de Martin Gester.

Une musique ravissante, parfois émouvante, le plus souvent légère et sans prétention, une interprétation jeune et dynamique, étaient les ingrédients principaux de cette réussite majeure. Puisse ce succès encourager les maisons d'opéra de programmer plus souvent des opéras de Paisiello.



Publié le 22 janv. 2020 par Pierre Benveniste