Atys en Folie - d'après J.B. Lully

Atys en Folie - d'après J.B. Lully ©Anne-Thérèse Chabridon
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La face cachée de l'opéra baroque

Trappes-en-Yvelines accueillait ce soir-là la première représentation en France d’une création étonnante et singulière, qui transporte soudain le spectateur, en à peine un claquement de doigts, dans le Paris du XVIIIème siècle populaire et rustique. Cochon, poule et canard trépignent et s’attachent aux fils et à leur ceinture avant de rejoindre sur scène musiciens, chanteurs, et marionnettistes, dans cette salle de La Merise à Trappes. Cette re-création tout à fait originale d'un véritable opéra de poche : Atys en Folie, parodie pour chanteurs et marionnettes d’Atys de Lully est dûe au Centre de Musique Baroque de Versailles (CMBV). Jean-Philippe Desrousseaux et Arnaud Marzorati se sont attelés à faire revivre cette joviale folie baroque.

Ce claquement de doigts nous ramène en ce Paris forain des XVIIème et XVIIIème siècles, parmi ce public rieur et débonnaire de l’époque qui se presse aux pièces populaires données dans les foires. En cette époque, à côté des opéras donnés à la Cour ou à l’Académie Royale de Musique, les foires de Paris, celle de Saint-Germain en hiver, la foire de Saint-Laurent en été, proposent des parodies des œuvres lyriques à succès, en réinventant tout ou partie du livret.

La Comédie-Française a le monopole du théâtre parlé, l’Académie de Musique le privilège des spectacles en musique. Les forains se voient interdire la représentation de pièces en dialogues, puis des monologues. La création du théâtre de l’Opéra-Comique en 1714, moyennant redevance à l’Académie de Musique, semble encourager les forains à chanter, mais en 1722 la Comédie-Française obtient l’interdiction...des acteurs dans les Foires ! Il en faudrait plus pour décourager les forains : les parodies seront donc désormais chantées par des marionnettes, devant un public encore plus enthousiaste.

Le succès est considérable, au point que souvent les mêmes chanteurs qui interprètent à l’Académie Royale les œuvres originales, chantent quelques semaines plus tard sur les bords du castelet leur parodie. Louis XVI et Marie-Antoinette auront bientôt leurs parodistes attitrés, et ces parodies seront données également à la Cour. Autre témoin de leur succès, on a comptabilisé deux cent soixante parodies d’opéras entre 1709 et 1791 !

En 1676 Jean-Baptiste Lully crée Atys devant la Cour, à Saint-Germain-en-Laye. Le succès est considérable. Les airs se diffusent, ils sont fredonnés par la population parisienne, et les troupes foraines montent bien entendu des reprises parodiques : La Grand-Mère Amoureuse de Louis Fuzelier et d’Orneval en 1726, Atys Travesti de Denis Carolet en 1736. Atys en Folie s’inspire particulièrement de ces deux dernières.

Au levé de rideau un univers campagnard emplit cette scène d'opéra en miniature. Cinq musiciens occupent la gauche de la scène : clavecin, viole de gambe, guitare et théorbe, vielle à roue et cornemuse, violon. Paille, tonneau et outils agricoles sont éparpillés nonchalamment sur l’avant. Côté cour, pièce majeure, incroyable et fantastique, la reconstitution d’un véritable théâtre de marionnettes tel qu’il en existait trois cents ans auparavant : le castelet. La machinerie prend vie en un éclair et la scène s’anime bientôt grâce aux trois marionnettistes.

Princes et princesses font place aux paysans : un Atys en Polichinelle, une Sangaride en Marguerite « fille de ferme, souillon et vivant dans un tonneau ». Le spectateur ne tarde pas à découvrir le burlesque de cette parodie. Au début de la pièce, une annonce proclame que la déesse des déesses, Cybèle, descend de l’éternel et flamboyant Olympe, avec sans doute la même ferveur que dans l’Atys original...la grâce et l’allégresse en moins ! A grand renfort de tintamarre et d’un peu de vin, une Cybèle emperruquée, fardée, dans une magnifique robe mauve du plus bel effet, paraît sur la place. C'est de sa plus belle voix, celle d’un baryton (le formidable Alain Buet), qu’elle remerciera son public de tant de révérence. Cybèle est ici incarnée par un homme, et elle a perdu de sa superbe. Car Cybèle, la Grande Déesse, est devenue la Grand-Mère des Dieux. Le comique fonctionne à merveille trois cents ans plus tard : le public rit aux larmes dès le début du spectacle !

Dans cette pièce campagnarde, le triangle amoureux s'annonce bien vite à l’horizon : Atys-Polichinelle et Marguerite s’aiment, mais Cybèle est amoureuse de Polichinelle et va user de tous ses pouvoirs pour le séduire. L’interaction est permanente entre les chanteurs de chair et les chanteurs de bois. Tant est si bien que Cybèle passe de l’un à l’autre sans grande difficulté, et que Polichinelle lui-même, sans doute trop à l’étroit dans son univers miniature, rejoindra sa Marguerite sur scène, à moins que ce ne soit pour finir dans le tonneau avec elle. La machinerie du castelet, véritable théâtre dans le théâtre, permet de passer d’un décor à un autre en un éclair sous nos yeux véritablement émerveillés. Mais tandis que nos yeux de grands enfants s’écarquillent devant tant d’enchantements (la formidable scène du rêve où Polichinelle vole parmi les nuages à dos de cochon est un moment d'anthologie), le livret entretient pour les adultes un double sens bien grivois des paroles, sur le thème omniprésent du jardin : Cybèle est venue chercher son gaillard de jardinier pour entretenir son jardinet, l’arroser, le biner et le tailler !

A mi-chemin de l’opéra traditionnel et de l’amusement populaire, les chanteurs nous offrent une pièce légère et bien troussée, mais aussi parfaitement maîtrisée. On doit à Arnaud Marzorati, qui campe par ailleurs Lucas (quatrième personnage de cette aventure), une direction artistique résolument tournée à nous faire revivre les grands moments musicaux populaires d'alors. Les grands airs et la musique raffinée de Lully se mêlent à une musique de vaudeville chantée, mais aussi à des airs populaires connus et repris en chœur par le public de l’époque. Les chanteurs eux-mêmes s’improvisent paysans. La voix claire et agile de Marie Lenormand (mezzo) se teinte d’une gouaille tout à fait rustique, comme la paille dans ses cheveux. Arnaud Marzorati (baryton), qui campe un Lucas boueux dépassé par tant de rebondissements, s’amuse visiblement plus que tout autre. Alain Buet pratique sans peine le grand écart, passant des rôles sérieux du baroque (dans Rameau ou Lully, où il excelle), à cette vieille folle royale de Cybèle, prêt(e) à tout pour un peu d’amour... Les pantins de bois s'imposent comme vraies vedettes de la soirée, jouant avec les autres personnages à démêler les fils de cette intrigue. Ils parviennent à nous faire oublier, par leur expressivité et leur truculence, le formidable travail des trois marionnettistes.

Il fallait de l’audace pour proposer un tel spectacle en un lieu en apparence culturellement si éloigné du répertoire baroque français. Celle-ci est l'aboutissement d'un important programme pédagogique, artistique et culturel - Génération Lully - mené par le CMBV à Trappes depuis l’année dernière, qu'il convient de saluer. Il fallait surtout du talent pour faire revivre à travers le livret, la musique, le chant et l’animation des poupées, ce genre de spectacle si populaire à l’époque, en retrouver le plaisir et déclencher de franches rigolades. Les acteurs s’amusent, les marionnettistes s’affairent de-ci de-là et donnent de la voix, Blandine Rannou au clavecin s'efforce de ne pas en perdre le fil de sa partition, le tout sur un rythme enlevé qui nous fait traverser l’heure et demie de la représentation en un claquement de doigts…

Opéra de poche pour spectateurs complices et rieurs, Atys en Folie est une franche réussite. Pour ceux qui n'auront pu voir la représentation de Trappes, le spectacle voyagera à travers la France au cours des prochains mois. Cet opéra de poche vous permettra de replonger dans cette France rustique et populaire du XVIIIème siècle, et vous chanterez sans peine, avec l’encouragement d’un cochon, d’une poule et d’un canard, ses répliques gaillardes.



Publié le 15 mars 2017 par Nicolas Debiazi