Bach Dynasty - Talens Lyriques

Bach Dynasty - Talens Lyriques © Pierre Benveniste
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Du baroque au classicisme en passant par le style galant

Sur les vingt et un enfants de Jean-Sébastien Bach (1685-1750), seulement quelques uns ont été retenus par la postérité pour leur carrière musicale. Wilhelm Friedmann Bach (1710-1784) et Carl Philipp Emmanuel Bach (1714-1788) furent mis au monde par Maria Barbara Bach (1684-1720), première épouse de Jean-Sébastien tandis que Johann Christoph Friedrich Bach (1732-1795) et Johann Christian Bach (1735-1782) sont les fils d’Anna Magdalena Bach (1701-1760), seconde épouse du Thomaskantor. Une génération sépare donc les deux derniers des deux premiers compositeurs. En montant le programme Bach Dynasty, l’idée de Christophe Rousset, directeur des Talens Lyriques, était de réunir par la musique les quatre fils et leur père en exécutant une œuvre caractéristique de chacun d’eux. Ce concert permettait en même temps de montrer l’évolution étonnante du style musical en l’espace d’à peine deux générations.

La première œuvre jouée était la Sonate en trio en sol majeur BWV 1038. Composée entre 1732 et 1735, cette admirable sonate très brève est un concentré du style de Jean-Sébastien Bach à cette époque de sa vie. Elle débute par un Largo très chantant permettant d’apprécier la belle sonorité du traverso de Jocelyn Daubigney et l’élégance du jeu de Gilone Gaubert au violon. Dans l’Adagio en mi mineur, on admire la ligne de basse très expressive de la viole de gambe d’Atsushi Sakaï. Enfin la fugue du Presto final est une conversation spirituelle des quatre instrumentistes.

Carl Philipp Emanuel est celui des fils de Bach qui fit la plus belle carrière et qui fut le plus connu de son vivant. Son influence sur Joseph Haydn (1732-1809) et sur Ludwig van Beethoven (1770-1827) est souvent citée. Pendant toute sa carrière, sa musique oscille entre le style sévère de son père et l’Empfindsamkeit ou style sensible. Par exemple, les deux premières Sonates pour viole de gambe en do et ré majeur Wq 136 et 137 de 1743 relèvent du style sensible : elles sont homophones et consistent en un chant presque lyrique de la basse de viole, accompagné par de simples accords du clavier. La troisième en sol mineur Wq 88 date de 1768 et est écrite tout du long en contrepoint serré à trois voix à la manière de Jean-Sébastien Bach. La Sonate pour flûte et basse continue en sol majeur H 564 appartient aux sonates hambourgeoises. Il s’agit d’une œuvre tardive (1786) du Bach de Hambourg qui regarde délibérément vers le classicisme avec une partie de flûte d’une haute virtuosité. Jocelyn Daubigney s’approprie cette partition et régale le public de traits expressifs et virevoltants. Le refrain du Rondo final au caractère délicieusement populaire se grave instantanément dans la mémoire, il est suivi de couplets variés à la manière d’un pot-pourri dont la joie est à peine tempérée dans le couplet central en sol mineur, mais le retour de l’irrésistible refrain met un point final à cette œuvre charmante que Christophe Rousset et Jocelyn Daubigney jouent avec beaucoup d’esprit.

Wilhelm Friedmann Bach était, dit-on, le fils préféré de Jean-Sébastien. Ses dons éclatent dans les œuvres trop rares qu’il a composées. Sa Sinfonia en ré mineur FK 65 pour deux flûtes et orchestre est remarquable. L’Adagio initial pourrait passer pour une première esquisse du Recordare pie Jesu du Requiem de Mozart tant la ressemblance est étroite entre les deux morceaux. Il faut l’entendre pour le croire. La Sonate en trio en si bémol majeur FK 50 débute par un magnifique Largo. L’ample mélodie circule entre la flûte, le violon et la basse. Les sensations pleines et harmonieuses qui résultent de ces jeux contrapuntiques, sont pleines d’attraits. Dans l’Allegro ma non troppo monothématique, le style est toujours aussi serré avec des imitations ou canons entre le violon, la flûte et la basse. Dans le Vivace 3/4 qui conclut l’œuvre, la partie de violon assez virtuose est jouée par Gilone Gaubert dans un style raffiné et sensible.

Nonobstant un voyage à Londres en 1778, la carrière de Johann Christoph Friedrich Bach se déroule entièrement en Allemagne à Bückeburg au service du comte Guillaume de Schaumbourg-Lippe. Il est le moins connu des fils de Bach. A partir de 1790, il compose une série de symphonies contemporaines des dernières Londoniennes de Haydn. Sa Sonate en trio en la majeur de 1770 est une œuvre fort aimable avec de belles mélodies mais néanmoins son écriture assez serrée (canons, imitations) montre que la galanterie n’est pas toujours synonyme de futilité.

Johann Christian Bach est le seul des fils Bach qui soit allé en Italie et qui ait composé des opéras. Dans cette spécialité, il s’est illustré avec Temistocle en 1772, un des plus beaux opéras seria non réformés jamais composés, et son superbe Lucio Silla (1776). Engagé comme maître de musique et compositeur d’opéras au King’s Theater par l’épouse du roi d’Angleterre, il connaît le succès mais le public londonien se lasse de ses opéras et il meurt criblé de dettes. Mozart était très attaché à celui qui fut son inspirateur et son maître. L’élégance du style, la profondeur de certaines pages sont toujours mises en valeur par un métier très sûr, sans doute hérité de son père. « Bon sang ne saurait mentir » peut-on dire à son propos. Ces qualités sont présentes dans le charmant Allegro de la Sonate pour violon et clavier en si bémol majeur opus 10 n° 1 (1774). Le clavecin magistralement tenu par Christophe Rousset a ici la part du lion, tandis que le violon se contente de quelques discrètes figurations. Le finale Allegro assai est un pas redoublé d’une inspiration assez indigente, basé sur un thème répété inlassablement sans changements notables. On peut aussi trouver des passages aussi répétitifs dans des œuvres de Mozart contemporaines comme la sinfonia qui ouvre La finta giardiniera (1774).

Le génie de Jean-Sébastien éclate dans cette extraordinaire Sonata sopr’il soggetto Reale a traversa, violino e continuo, en do mineur, extraite de la Musikalisches Opfer (Offrande Musicale), BWV 1079 (1747). Le long thème chromatique qui parcourt toute l’œuvre fut suggéré à Bach par le roi Frédéric II de Prusse. Ce dernier le communiqua au baron Gottfried van Swieten (1733-1803) trente ans plus tard. Il était donc possible qu’une partie de l’Offrande Musicale fît partie de la bibliothèque viennoise du baron et que Mozart qui fréquentait assidûment le salon de ce dernier, en fût informé. Le Largo initial débute au violon avec un beau thème en imitations suivi par un deuxième thème ascendant développé par la basse de viole à sept cordes d’Atsushi Sakaï avec une expression admirable. Dans l’Allegro qui suit, le thème initial est joué en canon entre le violon et le traverso tandis qu’apparaît en valeurs longues le fameux thème royal. Les deux dessus s’emparent de ce thème et le magnifique contrepoint qui en résulte procure un plaisir intense exalté par les quatre artistes dont l’immense talent rend justice à un art arrivé à son sommet. Dans le mélancolique Andante en mi bémol majeur, violon, flûte, basse de viole et clavecin concourent à offrir au public un ensemble délectable avec ses chromatismes osés et ses modulations. L’Allegro final 6/8 débute avec le thème royal dont le rythme est profondément modifié. Ce thème passe par tous les instruments et donne à la sonate son intérêt exceptionnel et son unité.

Un mouvement d’une sonate en trio de Carl Philipp Emanuel Bach donné en bis mettait un point final à un concert d’une tenue artistique et d’un intérêt pédagogique exceptionnels.



Publié le 10 mai 2023 par Pierre Benveniste