Festival Bach - Leipzig

Festival Bach - Leipzig © Jens Schlueter
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Sous le signe de Jean-Sébastien Bach

Leipzig, ville d’art et de culture
Un voyage à Leipzig ne peut laisser indifférent tout amateur de musique et d’art tant cette ville, après avoir été frappée durement par les malheurs de l’Histoire, est aujourd’hui belle et accueillante. Ville prospère et commerçante dès le Moyen Age et surtout à partir du XVIe siècle grâce à ses foires célèbres dans toute l’Europe qui ont fait sa fortune dont témoignent encore de superbes façades Renaissance ou des bâtiments comme l’Ancienne Ecole Saint-Nicolas, l’Ancien Hôtel de ville. L’époque baroque a aussi contribué au prestige de la ville, l’Ancienne bourse, la Maison Romanus, la maison Frege, des cafés pittoresques qui avaient aux XIXe et XXe siècles des clients célèbres, Wagner, Schumann, Mendelssohn, le peintre, graveur et sculpteur Max Klinger natif de Leipzig (1857-1920), artiste majeur dont les œuvres sont bien représentées dans le très intéressant musée des Beaux-arts où sont exposées des peintures de la fin du Moyen Age à nos jours. L’époque moderne a apporté sa contribution avec le nouvel Opéra qui date des années 1956-1960 et fait face à la récente salle du Gewandhaus, ouverte en 1981. Elle abrite l’orchestre du Gewandhaus, l’un des prestigieux au monde, qui fut dirigé par des chefs tels Mendelssohn, Gustav Mahler, Wilhelm Furtwängler, Kurt Masur, Herbert Blomstedt, Riccardo Chailly et aujourd’hui par Andris Nelsons. C’est dire le niveau !!! Sur la place d’Auguste, la nouvelle l’Université construite entre 1968 et 1972 sur l’emplacement de l’ancien bâtiment classique universitaire, détruit à l’époque de la RDA accueille de nombreux étudiants. Dans le paysage urbain contemporain se dresse le gratte-ciel du City-Hochhaus qui offre une vue superbe sur toute la ville. Un peu plus loin, le musée Grassi abrite trois établissements importants, celui des Arts appliqués, de l’Ethnologie et la collection fabuleuse des instruments anciens.

Leipzig a su panser ses blessures après les destructions dues aux guerres. Le monument impressionnant de la Bataille des Nations, érigé en commémoration de la bataille de Leipzig du 16 au 19 octobre 1813 contre les armées napoléoniennes rappelle les luttes du peuple et ses morts et la volonté d’instaurer la paix.

Une identité singulière
Leipzig porte surtout le sceau d’un univers culturel intellectuel qui a façonné son identité exceptionnelle depuis la Renaissance. Elle fut le berceau de l’édition allemande et du livre, centre universitaire important fréquentée par Leibnitz, Lessing et beaucoup d’autres intellectuels, où Goethe poursuivit ses études de droit entre 1765 et 1768 et fréquenta l’auberge Auerbach immortalisée dans une scène de son Faust, mais déjà connue par Luther, et par l’inquiétant Faust qui est passé par cette cave à vin, aujourd’hui célèbre restaurant traditionnel. Il se trouve dans le fameux passage Mädler, centre d’un vaste réseau de charmants passages commerçants caractéristiques de Leipzig.

A l’ombre des musiciens
Foyer musical intense depuis le XVIIe siècle, Leipzig porte la marque de l’imposante figure de Bach qui aura un retentissement artistique, moral et spirituel qui se prolongera jusqu’à aujourd’hui à travers l’Europe et le monde. La présence des compositeurs après Bach participe à l’attrait qu’exerce cette cité au riche passé. Robert Schumann (1810-1856) habita une belle maison au début de son mariage avec Clara, sa jeune épouse. Le festival Bach donne des concerts de musique de chambre dans ce qui fut leur salon. Félix Mendelssohn qui permit la redécouverte de Haendel et surtout de Bach dont il dirigea la Passion selon Saint-Jean, a vécu jusqu’à sa mort à Leipzig avec sa famille dans un superbe hôtel particulier de style classique, mobilier d’époque, cabinet de travail, lettres, documents, tableaux, jolies aquarelles de la main du compositeur donnent vie à la demeure. Il y travailla et reçut les musiciens de son temps. Des concerts, des récitals se donnent toujours dans le salon de musique. Nous avons eu le privilège d’assister à l’un de ces récitals de piano par Simone Zimmermann, un moment enchanté !

La naissance du festival Bach à Leipzig
La longue tradition d’un événement voué au génie de la musique remonte au début du XXe siècle initiée par la Société Bach. Après 1908, sous l’égide de Karl Straube (1873-1950), organiste et chef de chœur à Saint-Thomas, la ville de Leipzig a repris l’initiative du festival à l’occasion de l’inauguration de la statue de Bach en pied place Saint-Thomas. A partir de 1999, le festival Bach s’est institutionnalisé en devenant un événement annuel qui se produit au mois de juin dont l’organisation et la réalisation ont été confiées aux Archives Bach. Ce centre de documentation et de recherches sur la vie et l’œuvre de Jean-Sébastien Bach et de sa famille fut créé en 1950. Depuis 1985, les Archives Bach sont réunies dans la maison historique Bosehaus, également musée Bach qui renferme instruments anciens dont l’orgue sur lequel joua Bach, manuscrits, partitions, portraits qui évoquent la vie, l’œuvre et l’influence du cantor en particulier pendant ses années à Leipzig. En 2019, le chef d'orchestre Ton Koopman a été nommé président de l’institution, remplaçant John-Elliot Gardiner.

A partir de ces dernières années, le succès du festival s’est très largement amplifié attirant un nombre considérable de visiteurs avides d’art et de musique dans la ville où le cantor règne en majesté. L’église Saint-Thomas restauré et son nouvel orgue en place, l’excellence d’une programmation avec de multitude concerts profanes et sacrés, de musique de chambre, d’interprétations de jazz atmosphérique dans les lieux authentiques de Bach ou les plus suggestifs de la ville comme les concerts en plein air sur la place du marché, la grande qualité des artistes invités pour honorer le génial musicien attirent et fidélisent des mélomanes du monde entier qui assistent, émus et enthousiastes, à ce festival prestigieux.

Bach, cantor à Leipzig
Bach envisageait de poursuivre son activité de maître de chapelle à Köthen, à la cour du prince Leopold, grand amateur de musique et lui-même musicien. Mais au sein de cette cour calviniste, la musique religieuse n’a pas de place dans le culte alors que Bach veut travailler pour l’église. Par ailleurs, Leopold se détourne progressivement de sa passion après son mariage avec une princesse qui n’aimait justement pas la musique et se montait jalouse de l’amitié qui liait son mari à son musicien. Bach cherche alors un nouvel emploi dans une grande ville afin de composer de nouveau de la musique d’église quand se présente le poste recherché de cantor à Saint-Thomas, vacant après la mort du cantor Kuhnau. Leipzig était déjà un centre musical réputé sous le regard de l’église et des membres de la cité. Le Conseil de la ville aurait souhaité Telemann, mais celui-ci resta à Hambourg et c’est Bach qui fut nommé le 22 avril 1723 comme cantor de l’église Saint-Thomas surtout pour ses qualités de claveciniste ! Il  devra prendre en charge la musique des églises de la cité, en particulier celle de Saint-Thomas et de Saint-Nicolas. Chaque dimanche et jour de fête est exécutée une cantate souvent écrite par le directeur de la musique. Professeur, chef de chœur, compositeur, mais dont « la musique ne doit pas ressembler à la musique de théâtre » selon le vœu d’un notable, il doit également donner des cours de latin et de théologie aux élèves de l’école Saint-Thomas, mi-orphelinat, mi-conservatoire, une institution insérée dans la vie de l’église et de la ville, destinée aux jeunes garçons pour former un chœur d’enfants réputé qui poursuit ses activités aujourd’hui.

En dépit d’une somme considérable de tâches souvent contraignantes, de difficultés, de soucis, la vitalité et la puissance créatrice de Bach donnent le vertige ! Dès son arrivée, il compose à un rythme inconcevable, surtout jusqu’en 1744, une œuvre diverse et proliférante d’une densité sidérante, une somme impressionnante de pièces religieuses nourries d’une foi confiante. Les cantates, quelque deux-cents quatre-vingt-quinze, les grandes Passions, Saint-Jean en 1723 et Saint-Matthieu en 1729, des motets, L’Art de la fugue, la Messe en si en 1733, des compositions de circonstance, des pièces pour orgue…

Edition 2023, Bach for future

Un festival anniversaire
Du 8 au 18 juin, Leipzig a célébré le 300e anniversaire de la nomination de Bach comme cantor de l’église Saint-Thomas. Le festival s’est déployé sous la direction artistique avisée du professeur Michael Maul, musicologue réputé à travers églises, salles ou en plein air sur la place pittoresque du marché de la ville, une programmation dense, variée et de haute qualité musicale.


Le professeur Michael Maul © Jens Schlueter

Le concert d’ouverture a eu lieu dans la célèbre église Saint-Thomas où Bach a exercé ses fonctions de cantor et où il repose face à l’autel. Construite à la fin du XVe siècle, elle a été remaniée au XIXe siècle dans un style néogothique mais l’atmosphère est au recueillement tant l’esprit du compositeur habite les lieux de manière impalpable. Depuis 2000, la tribune nord comporte un nouvel orgue sur lequel furent exécutées des cantates de Bach.


Le concert d’ouverture à l’église Saint-Thomas © Jens Schlueter

En début de soirée le Prélude et fugue en mi bémol majeur pour orgue BWV 552, composée en 1739, par Johannes Lang, titulaire de l’orgue. Une pièce aux rythmes solennels, aux harmonies lumineuses qui rappelle aux fidèles la majesté et l’éternité de la sainte et divine Trinité. La cantate BWV 75, Les pauvres auront à manger, datée de 1723, est la première du cycle des cantates de Leipzig dirigée le 30 mai lors de la prise de fonction du cantor. Elle est composée pour quatre solistes, soprano, alto, ténor et basse, un chœur à quatre voix dont le chœur des jeunes chanteurs de Saint-Thomas, réunis depuis la tribune ouest de même que les musiciens du Gewandhaus, trompette,  hautbois, hautbois d'amour, violons,  alto et basse continue avec basson. Le thème est celui de la parabole religieuse du mauvais riche et du pauvre Lazare. En clôture de concert, une commande du festival au compositeur allemand (et clarinettiste) Jörg Widmann né en 1973 qui a permis de découvrir la création d’une magnifique cantate, ample, empreinte d’une spiritualité souveraine, dirigée par Andreas Reize, le cantor actuel de Saint-Thomas, pour solistes, chœur, orgue et orchestre sur des textes lyriques de différentes sources dont Brecht et la Bible qui célèbrent la foi en Dieu, mais rappelle la cruauté des guerres tout en louant les beautés de la vie et l’espoir qu’elles apportent à l’homme.

Les sublimes cantates de Bach d’une haute spiritualité sont le fil rouge des concerts du festival. Dans la superbe église Saint-Nicolas, la deuxième plus grande de la ville, ont été données dans la soirée du 8 juin, sous la baguette de Rudolf Lutz, des cantates composées en 1723 par Bach dès son arrivée à Leipzig et destinées au service des semaines qui suivent la Trinité. Elles associent solistes, chœur et ensemble instrumental, mais chacune fait preuve par de nouvelles combinaisons d’une inventivité sidérante. La musique des cantates rappelle à l’homme que la mal précipitera les pécheurs en enfer où les souffrances terribles les guettent, alors que l’âme de ceux qui ont confiance en la bonté divine sera sauvée. La cantate BWV 136 Sonde-moi Seigneur et découvre mon cœur, pour chœur, trois solistes (alto, ténor, basse) et ensemble orchestral sur différents extraits de textes, la cantate BWV 105 Seigneur, n’entre pas en jugement avec ton serviteur, mise en garde contre les faux dieux et les tentations, pour chœur à quatre voix, quatre solistes (soprano, alto, ténor, basse) et ensemble instrumental, la cantate BWV 46, Regardez et voyez s’il est une douleur, dont le texte est en partie tiré du Livre des Lamentations, rappelle l’angoisse du pécheur et l’espoir qu’offre la foi en Dieu. Elle fait appel à trois solistes (alto, ténor, basse) et chœur et un accompagnement instrumental d’une riche texture expressive. Enfin la cantate BWV 179, Veille à ce que la crainte de Dieu ne soit pas hypocrisie, est portée par trois solistes (soprano, ténor, basse) et un chœur à quatre voix soutenus pas des instruments.

Le cycle des cantates s’est poursuivi le 9 juin dans cette même église. Quatre cantates se sont succédé, toutes composées en 1723 : la BWV 50, Désormais le salut et la puissance, pour double chœur et orchestre étoffé par orgue et clavecin, la cantate BWV 95, Christ, toi qui es ma vie, conforte la foi et l’espérance en la survie de l’âme après la mort, trois solistes (soprano, ténor, basse) et un chœur à quatre voix, accompagnés par les instrument familiers de ce répertoire, nous adressent ce message : Misérable que je suis, qui me délivrera ? La BWV 48 pour alto, ténor et chœur, délivre cette interrogation du pécheur et son désir de rédemption. On retrouve ici l’instrumentarium classique avec trompette, hautbois, violons, alto et basse continue. La cantate BWV 60, Ô éternité, toi, parole foudroyante !, instaure un dialogue entre l’angoisse du pécheur et l’espérance bienfaisante du croyant. Trois solistes, alto, ténor, basse avec cette fois, un cor dans l’ensemble instrumental. La cantate BWV 90 annonce la menace effrayante : Une fin terrible vous attend, que la présence de la trompette, celle du jugement dernier, souligne. De nouveau trois solistes, alto, ténor, basse, sont les interprètes de cette cantate sombre et intense. Chanteurs et musiciens, tous sous la direction du vaillant chef Hans-Christoph Rademann.


Le concert dirigé par Hans-Christoph Rademann à Saint-Nicolas © Bach-Archiv Leipzig Gert Mothes

Philippe Herreweghe et son Collegium Vocal Gent - qu’il a fondé en 1970 - ont assuré le dernier volet des cantates auquel nous avons pu assister à l’église Saint-Thomas. Le chef et ses musiciens travaillent et interprètent l’œuvre de Bach depuis des décennies. Ils ont enregistré l’intégrale des cantates avec la volonté de restituer ces pièces avec intégrité et authenticité en portant une attention particulière aux lignes mélodiques et au rapport entre le texte et sa mise en musique selon le langage inspiré de Bach. Au cours de la soirée ont été interprétées les cantates données de janvier 1624 à Saint-Thomas à l’occasion de l’Epiphanie et les semaines qui ont suivi cette fête pour célébrer les trois rois mages, Gaspard, Melchior et Balthazar, venus du royaume de Saba pour adorer l’Enfant Jésus et lui offrir des présents : or, myrrhe et encens. La cantate BWV 65 à caractère festif, Ils viendront tous de Saba, rappelle ce moment crucial de la reconnaissance du nouveau-né d’essence divine par les rois et par tous les chrétiens pour offrir leur cœur à Jésus. La structure de la cantate associe selon la rhétorique de Bach pour l’écriture ce répertoire, instruments, solistes et chœur, alterne choral, récitatif et aria La cantate BWV 73  renouvelle et conforte la confiance en Dieu pour chaque croyant face à la mort et la survie de l’âme. La BWV 81 fait référence à la tempête qui menace, lors de la traversée du lac de Tibériade, l’embarcation de Jésus endormi à la poupe du bateau. Il est réveillé par ses disciples angoissés « Pourquoi avez-vous peur, gens de peu de confiance », leur dit Jésus qui accomplit le miracle en calmant la tempête. Jésus assure la paix à l’humanité aux prises avec les flots agités de l’existence. La cantate BWV 190.1, Chante une nouvelle chanson au Seigneur, nous est parvenue sous une forme fragmentaire qui a été restituée par des experts de Bach. Elle a été exécutée pour le jour de l’an en janvier 1724 selon un format qui fait dialoguer deux solistes, alto et ténor et un ensemble instrumental.

Bach est très sensible et attentif au livret de ses cantates. Texte et musique instaurent de subtiles correspondances qui en renforcent le sens. Avec une inventivité stupéfiante et une authenticité totale, il varie les structures, parties instrumentales, récitatifs et airs répartis en plusieurs voix avec l’adjonction d’un chœur pour élaborer une puissante architecture.

La direction d’Herreweghe souple, homogène, incarnée donne tout leur relief et leur intensité aux cantates. Elle nourrit les couleurs instrumentales et accorde toute la lumière aux voix, solistes et au chœur en mettant à vif l’évidence du récit.

Le festival a réservé de nombreux moments d’intense émotion, comme lors du prestigieux concert sur la place du marché où une foule d’amateurs enthousiastes a pu écouter le grand pianiste Lang Lang dans des extraits des Variations Goldberg en compagnie de formidables musiciens, Daniel Hope, violon, Sophie Kauer, violoncelle, Albrecht Mayer, hautbois, la soprano Francesca Aspromonte et le contre-ténor Cameron Shahbazi, tous accompagnés par l’orchestre du Gewandhaus et du chœur de Saint-Thomas sous la direction d’Andreas Reize.


Le concert de la place du marché © Jens Schlueter

Le festival a offert également des concerts dans la belle salle de Pologne pour les sonates pour violon et clavecin de Bach qui réunissaient Johannes Pramsohler au violon et le français Philippe Grisvard au clavecin. Les Passions de l’âme (en référence à l’œuvre de Descartes), ensemble de musique ancienne de Berne fondé en 2008, s’est produit dans l’auditorium du bâtiment universitaire Paulinum incorporé dans la partie restante de l’église Saint-Paul et séparé par des installations féeriques en verre avec au programme un concerto et deux cantates de Bach ainsi qu’une cantate de Telemann avec la soprano Hana Blazikova et Meret Lüthi, violon et direction.

Pour tout amoureux de Bach, le festival de Leipzig est un incontournable. Bach for future, l’intitulé de cette édition anniversaire, souligne le caractère intemporel de cette musique lumineuse à la fois savante, d’une écriture incroyablement inventive aussi bien dans l’écriture instrumentale que vocale, et comme nulle autre profondément humaine. Elle exprime une foi rayonnante et inaltérable en Dieu et loue sa toute puissance. Mais au-delà du caractère incomparable de ses grandes œuvres sacrées comme les cantates d’église ou les Passions, la beauté de la musique de Bach invite l’homme à choisir la voie salvatrice du bien, un message particulièrement sensible pour aujourd’hui et pour demain.



Publié le 30 juil. 2023 par Marguerite Haladjian