Bach en sept paroles - Pichon

Bach en sept paroles - Pichon ©François Sechet
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Bach, l’Homme Lumière

Raphaël Pichon s’est lancé un immense défi : visiter un monument musical constitué de quelque deux cents cantates à l’aide de sept clés seulement, « sept paroles » censées en ouvrir toutes les portes. En cette soirée du 11 octobre, au mot « Lumières » ont répondu cinq compositions de Johann Sebastian Bach. Elles ont envoûté près de neuf cents âmes, emportées par les mouvements jubilatoires ou saisies par de bouleversantes arias. Une expérience du même type se renouvellera à la Cité de la Musique d’ici la fin de cette saison musicale, permettant à l’auditeur assidu de franchir six autres étapes de ce parcours : De passage (le 21 novembre 2017), L’appel (le 11 décembre), Châtiments (le 30 janvier 2018), Des profondeurs (le 6 février), Voici l’homme – La Passion selon saint Jean  (le 31 mars), Consolation (le 14 mai).

L’initiative semble inédite. Certes, bien des maîtres du baroque ont tracé leur chemin dans la galaxie des cantates de Bach. D’aucuns ont opté pour la formule de l’intégrale (John Eliot Gardiner et son Bach Cantata Pilgrimage, la compilation historique de Gustav Leonhardt et Nikolaus Harnoncourt et plus récemment, les 55 volumes sous la direction de Masaaki Suzuki ou les 22 coffrets de Ton Koopman). D’autres opèrent des regroupements thématiques. Ainsi, les interprétations de Philippe Herreweghe sont structurées autour des moments-clés du calendrier liturgique (les cantates de l’Avent, de Noël, pour la Trinité…) ou célèbrent des événements historiques, comme les cantates de la Réforme (voir notre chronique : Cantates de la Réforme ).

Raphaël Pichon ne revendique ni l’exhaustivité, ni la reconstitution historique visant à replacer les cantates dans leur cadre cérémoniel. Il choisit d’appeler quelques opus à s’assembler autour de sept bannières, puis les interroge un à un pour en saisir l’essence. Et pour mieux les faire parler, il croise l’introspection musicale avec l’extrospection dans laquelle s’épanouissent d’autres arts tels que la danse (associée ici au Concerto brandebourgeois n°3), la lévitation lors du prochain concert ou la vidéo au cours du suivant. Les musiciens talentueux de l’Ensemble Pygmalion leur redonnent vie et voix pour les inviter à délivrer leur message : « un message d’humanité, d’espoir, de lumière », explique le chef dans une courte présentation vidéo consultable sur le site de la Philharmonie de Paris.

Ce 11 octobre, c’est la lumière qui s’impose. Plus précisément, cinq traits vont éblouir les auditeurs installés dans la salle des concerts de la Cité de la Musique : la lumière de la Résurrection du Christ (BWV 31), le Dieu de lumière (BWV 51), le rayonnement du bonheur spirituel (BWV 34), la lumière qui irradie la musique italienne (Concerto brandebourgeois n°3 BWV 1048) et celle de la paix retrouvée (BWV 191). Le programme initial s’adressait aux deux composantes de « l’honnête homme », parlant successivement à son âme puis à son corps. En effet, dans les trois premières cantates, la dimension spirituelle célébrait les trois personnes de la Trinité : la résurrection du Christ, la louange de Dieu le Père et la manifestation du Saint Esprit. Ensuite, Raphaël Pichon se tournait vers le monde terrestre, exaltant le corps dansant puis faisant exploser un hymne à la liberté.

Un changement de programme sans préavis ni explication bouleverse cependant ce bel agencement. L’auditeur attentif découvre, en cours d’exécution, que la cantate BWV 34 avait pris le pas sur celle qu’annonçait pourtant le programme distribué à l’entrée par les hôtesses. Au demeurant, l’inversion n’était pas immédiatement perceptible car ce petit fascicule ne contenait pas, contrairement à l’excellente habitude de la Philharmonie de Paris, le texte des parties chantées. Certes, l’auditeur francophone disposait, dans la salle, des textes surtitrés en français … d’une partie chantée en allemand ! Quant à l’auditeur germanophone, il était sommé de disposer d’une ouïe fine pour saisir les paroles des chanteurs. Fâcheux en termes d’intelligence du texte, particulièrement dans un genre où c’est le mot qui guide la musique ! Mais véniel, lorsque, comme ce soir-là, le plaisir des sens a été exalté avec tant de fougue, de science et de bonheur.

A l’origine, la cantate O ewiges Feuer, o Ursprung der Liebe ! (O feu éternel, ô source de l’amour !) était destinée aux cérémonies du mariage d’un théologien, en 1725 ou en 1726. Vingt ans plus tard, Bach parodie cette première version (BWV 34a) et en réemploie les matériaux pour animer les fêtes de la Pentecôte à Leipzig (BWV 34). Les flammes célestes de l’Esprit Saint descendues sur les disciples remplacent désormais les feux de l’amour humain dans ce concerto. Nous disons bien « concerto » car, à de rares exceptions près, Bach n’a pas employé le terme de « cantatas » pour désigner ces pièces destinées au service liturgique. Au demeurant, ce vocable exprime bien mieux les intentions du compositeur : faire s’exprimer les voix et les instruments « de concert ».

A l’image de son chef rejoignant son pupitre au pas de course, la partie instrumentale développe une introduction vive, rythmée, pleine d’une énergie joyeuse. Sur les longues notes tenues par les trompettes naturelles (sans pistons) puis les hautbois, les cordes gambadent allègrement, régulièrement ponctuées par les timbales. Lorsque les voix les rejoignent, c’est pour accrocher des mots aux guirlandes de doubles croches fusant des instruments. Ces mots-clés sont soulignés par les basses, comme ewiges Feuer (feu éternel) ou Ursprung der Liebe (source de l’amour), suscitant à chaque fois l’effervescence des violons. De sa voix claire et nette, Julian Prégardien veut faire du cœur du croyant le sanctuaire accueillant la présence divine. Guidé par les traversos (flûtes traversières baroques), Alex Potter déclare bienheureuses les âmes die Gott zur Wohnung ausersehn (que Dieu a choisies pour demeure). Son expression est empreinte de tendresse. Il est manifestement habité par son texte mais sa diction fléchit dans certains aigus. Dans cette aria écrite sur le mode d’une pastorale, la voix est joliment doublée par les flûtes tandis que les cordes déroulent un tapis moelleux parsemé de quelques scintillements du théorbe. Comme par contraste, la profondeur et la limpidité du grave de Christian Immler appelle Dieu à bénir les tabernacles die er mit Heil bewohnt (qu’il habite de son salut). Son bref récitatif prépare le tutti conclusif dans lequel le chœur appelle, dans une exclamation à l’unisson, la « Paix sur Israël » (Friede über Israël). Le tempo du finale se déchaîne, les instruments entraînant les voix dans une sorte d’allégresse s’achevant en point d’orgue sur un palpitant Gott hat an euch gedacht (Dieu a pensé à vous).

Avec la cantate Jauchzet Gott in allen Landen (Exaltez Dieu en toutes contrées) BWV 51, nous entrons véritablement dans le cercle fermé des sept pièces (profanes et sacrées) que Bach a lui-même qualifié de « cantatas ». Il voulait ainsi souligner la priorité donnée à la voix solo (cantare) et au message qu’elle est chargée de porter. Elle a été composée pour le quinzième dimanche de la Trinité et exécutée le 17 septembre 1730. Mais Bach indique sur le manuscrit qu’elle peut être utilisée in ogni tempo (pour tous les temps) car le texte mis en musique n’a que peu de rapport avec les lectures du jour. Son caractère universel ne conduit cependant pas à la banalisation de son emploi, tant les parties solistes (voix et trompette solos) exigent une maîtrise technique exceptionnelle. C’est d’ailleurs pour des musiciens d’exception qu’elle aurait été écrite. Le trompettiste pour lequel Bach a composé sa partition semble bien identifié. Il s’agit du soixantenaire Gottfried Reiche (1667-1734). En revanche, la partie vocale ne pouvant être écrite pour une femme, du moins en vue d’une exécution dans un cadre liturgique, son destinataire serait Christoph Nichelmann (1717-1762), tout jeune élève venant d’être admis à la Thomasschuhle ou le castrat italien Giovanni Bindi (1719-1750) récemment arrivé à la cour de Dresde.

Dès la première mesure, la trompette de Hannes Rux domine le flux bouillonnant des cordes dans un mouvement proche d’un concerto. Elle annonce avec éclat que was der Himmel und die Welt an Geschöpfen in sich hält (tout ce que le ciel et la terre comptent de créatures) s’apprête à exalter Dieu par la voix de Sandrine Devieilhe. Cuivre et voix sont remarquablement ajustés et leurs timbres miroitants tranchent avec le velouté des cordes. Ces deux interprètes virtuoses rivalisent d’habileté, maniant les trilles et les mélismes (plusieurs notes portant une seule syllabe) avec une science parfaitement maîtrisée. Sandrine Devieilhe est admirable dans sa diction et la ductilité de sa voix exprime les nuances avec une extrême précision. Elle change de registre avec une apparente facilité, signe d’un savoir-faire supérieur. Eclatante dans l’aria Jauchzet Gott in allen Landen, sa voix adopte une allure plus intimiste, glissant sur un continuo délicat joliment animé par la viole de gambe de Julien Léonard et le théorbe de Romain Falik pour inviter à la méditation dans le récitatif et l’aria suivants. Puis vient le moment de la proclamation, avec le choral traditionnel Sei Lob und Preis mit Ehren (sois loué et glorifié avec honneur). Les violons se mettent à danser pendant que la voix exécute le choral sur le mode d’un cantus firmus. Une forme de prédication en musique qui se transforme en moment de pur bonheur spirituel. Sans transition, un Alleluja rayonnant annonce le terme de la cantate. Un concentré de difficultés techniques pour la voix et la trompette qui s’achève en apothéose, saluée par les cris enthousiastes d’un public conquis.

A ce moment-là, la scène se transforme. Elle est envahie par une équipe de techniciens dont l’organisation parfaitement huilée constitue un spectacle à part entière. Deux espaces sont définis. D’une part, un groupe instrumental formé en demi-cercle, à la mode des petits orchestres animant les soirées princières à l’époque de Bach. D’autre part, une piste immaculée sur laquelle vont évoluer les danseurs annoncés dans le programme.

Avec le Concerto brandebourgeois n°3 BWV 1048, le corps est mis en valeur et le plaisir des yeux s’ajoute à l’enchantement des oreilles. L’idée d’associer la musique et la danse n’est certes pas originale. Déjà, en 2006, avec sa compagnie Fêtes Galantes, la chorégraphe Béatrice Massin avait exploré les relations physiques entre les sons et les corps dans la pièce Que ma joie demeure. Sa troupe dansait justement sur la musique des Concertos brandebourgeois. Cependant, Raphaël Pichon crée maintenant une forme de rupture en glissant une pièce instrumentale à caractère profane dans un programme de musique sacrée et en fixant l’attention des spectateurs sur le mouvement des corps. Il confie aux danseurs japonais Saburo Teshigawara et Rihoko Sato le soin de traduire en termes physiques des sonorités germaniques d’inspiration italienne. Car, parmi les sechs Konzerte mit mehreren Instrumenten (six concerts avec plusieurs instruments) composant l’opus baptisé en 1873 Concertos brandebourgeois par le musicologue allemand Philipp Spitta, le Concerto n°3 illustre le type de jeu concertant conjuguant habilement le style de Vivaldi et le génie de Bach.

Lorsque résonnent les premières mesures, l’ensemble instrumental est en retrait, dissimulé dans une semi-obscurité. Même Raphaël Pichon a revêtu une veste de couleur sombre pour ne pas capter l’attention sur sa personne. Car c’est vers les danseurs que les spectateurs doivent diriger leurs regards. Une femme et un homme vêtus de noir glissent sur une scène tapissée de blanc. Le langage de la musique comme celui des gestes est d’une grande limpidité. A suivre leurs mouvements, on imagine volontiers que leurs corps sont emportés par les sons, que la musique tire les ficelles de chacun de leurs membres. Le tempo commande les mouvements et chacune des mesures suscite un geste, ici un mouvement de l’épaule, là une posture plus ample. Parfois, emportés comme des feuilles d’automne, les corps donnent le sentiment de figurer les notes de musique qui virevoltent sur la page blanche d’une partition. Aucune recherche de parallélisme : la chorégraphie est dirigée de l’intérieur, chaque danseur exprimant par une gestique singulière ce que son corps ressent. Et lorsque la musique foisonnante se tait, un grand silence se fait dans la salle, à peine troublé par quelques applaudissements pressés. Les deux corps s’alignent imperceptiblement avant de disparaître dans l’obscurité.

Et voici la scène à nouveau peuplée des techniciens chargés de réinstaller le plateau dans sa configuration initiale. Un moment certes nécessaire, mais vécu comme une seconde rupture de l’enchantement auquel nous nous étions si facilement abandonné. Mais désagrément vite oublié lorsque s’annonce la cantate Der Himmel lacht, die Erde jubiliert (Le ciel rayonne, la terre jubile) BWV 31.

Dès les premières mesures de la sonata d’ouverture, trompettes et timbales donnent le ton, celui d’une solennité mêlée d’allégresse. Bach avait fait exécuter ce « concerto » pour les fêtes de Pâques de 1715, à Weimar. Il adopte ici la forme moderne de la cantate italienne préconisée par le poète et théologien Erdman Neumeister (1671-1756) : une succession de récitatifs et d’airs (comme dans les opéras de l’époque) encadrée par un mouvement choral, en début et en fin. Bach ajoute cependant sa touche personnelle en faisant précéder le premier mouvement vocal d’une ouverture instrumentale. En outre, le compositeur trentenaire délivre ici un double message bien en ligne avec l’approche mystique de son librettiste, Salomon Franck (1659-1725) : le triomphalisme de la résurrection du Christ (dans la sonata et le premier chœur) figure la marche du pécheur vers sa propre mort, condition de sa renaissance en Jésus-Christ (dans les récitatifs et les arias qui se succèdent), le message global étant résumé dans le magnifique choral homophonique final.

Par son ampleur et son caractère incandescent, la sonata projette l’image de la résurrection du Christ. Les premières mesures figurent un mouvement ascendant aussitôt salué en fanfare par les trompettes. L’ambiance est festive et le tempo suggère celui d’une danse. Lorsque le chœur rejoint l’orchestre dans un fugato enlevé, le tutti prend un air de majesté. Brusquement, le chœur s’interroge : Der Heiligste kann nicht verwesen (le Très-Saint ne peut disparaître), murmure-t-il à l’unisson. Mais il reprend aussitôt confiance dans un der Höchste triumphiert (Le Très-Haut triomphe) exaltant. Pour mettre en parallèle la mort et la délivrance dans le premier récitatif, Christian Immler conjugue habilement l’intensité expressive et le changement de tempo. Puissant et rapide dans le Erwünschter Tag (Jour tant désiré) d’entrée, grave et accablé pour constater que Der Herr war tot (le Seigneur était mort), il emprunte le ton de la prédication dans le premier aria, posant une voix ferme sur le rythme haché de la viole de gambe et de l’orgue pour décrire des Kreuzes Leiter (l’échelle de la Croix). Julian Prégardien enchaîne un récitatif et une aria enjoignant le chrétien à se préparer à mourir pour espérer geistlich auferstehen (ressusciter en esprit). L’accompagnement est maintenant moins austère mais tout aussi expressif. Et c’est presque joyeusement que les ritournelles instrumentales l’incitent à souhaiter que Adam muss in uns verwesen (Adam doit périr en nous). Il habite son texte et le restitue avec une remarquable clarté. Sandrine Devieilhe conclut cette rhétorique de la mort par une aria absolument bouleversante. En duo avec le hautbois, elle appelle de ses vœux la dernière heure : Letzte Stunde, brich herein. En surimpression, le son étouffé des violons murmure, en courtes séquences, la mélodie du choral Wenn mein Stündlein vorhanden ist (Quand ma dernière heure sera arrivée) du poète et ardent partisan de la Réforme, Nikolaus Hermann (1480 ?-1561). Cette superposition est une merveille d’écriture et l’interprétation en est bouleversante. D’autant que la cinquième strophe de ce choral traditionnel fournit le texte de la partie finale de la cantate. Magnifique de simplicité, elle pourrait être confiée à une turba (chœur de foule). Ici, le public n’était pas associé au chant mais il s’est laissé envelopper par un chœur chaleureux porté délicatement par un orchestre aux couleurs diaphanes. Emotion garantie.

La cantate Gloria in excelsis Deo BWV 191 pose le point final du programme. Elle ne constitue pas une cantate au sens où nous l’entendons aujourd’hui car elle n’a probablement pas été exécutée dans le cadre d’un service liturgique. En voici le contexte. Au cours de la seconde guerre de Silésie (1744-1745), les troupes prussiennes envahissent la Saxe et vont jusqu’à s’emparer de Leipzig à la fin de l’automne 1745. Comme tous, Bach subit l’épreuve de l’occupation militaire. Aussi, lorsqu’un traité de paix est conclu, le soulagement gagne la population. Le traité de Dresde, signé le 25 décembre 1745, ouvre la perspective d’un avenir radieux. Pour le saluer, une cérémonie est organisée à la Paulinerkirche (l’église de l’Université de Leipzig) en ce fameux jour de Noël. Bach dispose d’un délai extrêmement court pour composer la musique destinée à magnifier cette occasion solennelle. Aussi exhume-t-il une partition existante, une Missa qu’il avait composée en 1733 et sur laquelle il travaille peut-être déjà pour façonner le Gloria de la fameuse Messe en si mineur BWV 232 (voir à ce sujet notre chronique : Messe en si). Il reprend à l’identique le premier chœur du Gloria, greffe le texte du second mouvement sur la musique du Domine Deus de sa Missa et procédera de la même manière pour le troisième mouvement, le Sicut erat étant chanté sur la musique du Cum sancto spiritu de 1733. Cette cantate en trois parties est interprétée en deux temps : le premier mouvement précède le discours en hommage au traité de paix, les deux autres sont interprétés post orationem.

Raphaël Pichon impose à la cantate un tempo survolté. Instruments et voix s’y soumettent, montrant alors leur capacité à rester en harmonie malgré la vivacité de l’exécution. Le premier Gloria débute en apothéose, s’apaise pour un Et in terra pax méditatif, avant de monter en puissance sur un Bonae voluntatis fugué, préludant l’explosion finale saluée par le roulement des timbales de Stefan Gawlick. Le second Gloria est confié aux solistes. Sandrine Devieilhe et Julian Prégardien dialoguent avec les traversos, avançant au rythme frappé pizzicato par les cordes du continuo. Deux ensembles se distinguent par la qualité de leur interprétation : les voix, joliment ajustées et les flûtes de Georgia Browne et Anne Thivierge mélodieuses à souhait. Lorsqu’éclate le Sicut erat, le tempo semble encore s’être accéléré, peut-être même trop. En tout état de cause, le public est pris dans un tourbillon, médusé par cette virtuosité collective.

L’ampleur des applaudissements a signifié aux artistes l’immense admiration qu’avait suscité leur grand art. Si les solistes ont impressionné, le collectif a sidéré. Le public est irradié, s’imprégnant des sons comme une forme d’antidote aux désagréments du temps. Preuve a été donnée que la musique baroque, particulièrement celle du Kantor de Leipzig, est toujours en capacité de guérir les maux de l’âme pourvu que des interprètes de talent sachent la transcender, à l’image de Raphaël Pichon et de ses complices de Pygmalion. Le chef et son chœur réservaient, ce soir-là, une surprise de taille. En réponse aux ovations du public, le chœur interprète, a capella, l’œuvre d’un autre «très grand compositeur de la jubilation, Giovanni Gabrieli (1557-1612), que Johann Sebastian Bach a beaucoup fait chanter par sa maîtrise de Saint Thomas de Leipzig». Il s’agit du Jubilate Deo omnis terra, motet pour huit voix publié en 1615. Cette écriture riche de nuances et de difficultés techniques a replongé le public dans une écoute admirative de très bon augure pour la poursuite du cheminement dans l’univers des cantates de Bach, avec l’ensemble Pygmalion pour guide.

Nota : Le concert est d’ores et déjà diffusé sur les sites internet culturebox.fr et live.philharmoniedeparis.fr où il restera disponible pendant un an. Il a également été enregistré par France Musique et sera diffusé le 14 novembre 2017 à 20 heures.



Publié le 24 oct. 2017 par Michel Boesch