Magnificat - Jean-Sébastien BACH

Magnificat - Jean-Sébastien BACH ©Berthold Fabricius
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Une entrée réussie

A quelle cohérence obéit un programme rapprochant un génie du baroque et un maître du romantisme musical ? Lorsqu’ils se nomment Jean-Sébastien BACH et Félix MENDELSSOHN, une lueur de sens apparaît car nous nous souvenons du rôle majeur assumé par le second dans la redécouverte des œuvres du premier. Au demeurant, le programme remarquablement documenté distribué par l’Orchestre de Paris fournit la clé décisive. Elle tient dans une phrase écrite par Hector BERLIOZ lors de son séjour à Leipzig en 1843 : « Il n’y a qu’un Dieu à Leipzig, c’est Bach : et Mendelssohn est son prophète ».
La première partie du programme célèbre l’unique Magnificat composé par BACH qui nous soit parvenu. En 1723, six mois à peine après sa nomination laborieuse au poste de Kantor de Saint-Thomas à Leipzig, il produit une première version (BWV 243a) du cantique d’action de grâce chanté par la Vierge Marie après l’Annonciation. Dans le texte en latin inspiré par l’Evangile selon saint Luc (1, 46 à 55) sont insérées quatre strophes célébrant la Nativité (deux en allemand et deux en latin). Cet indice confirmerait la création de cette oeuvre aux vêpres du premier Noël que BACH passe à Leipzig. Selon Alberto BASSSO (in Jean-Sébastien BACH – Paris, Fayard, 1985, Tome II, p. 580), trois de ces interpolations se rattachent à une cantate de Noël de Johann KUNHAU, comme un dernier hommage rendu par BACH à son prédécesseur au poste de Kantor. Une dizaine d’années plus tard, cette première version en mi bémol majeur est transposée en ré majeur, tonalité plus adaptée à l’emploi de trompettes destinées à donner plus d’éclat aux séquences de glorification du Tout-puissant. Cette seconde version (BWV 243) supprime également les quatre interpolations, permettant un usage plus large de la composition, notamment lors d’autres fêtes solennelles telles que Pâques ou la Pentecôte.
Thomas Hengelbrock interprète cette seconde version, mais en réintroduisant les quatre interpolations de la version initiale. Il avait été précédé sur cette voie par un autre chef prestigieux, Ton Koopman (Full album Lyrics – ArcaDellaMemoria – version interprétée avec l’orchestre Amsterdam Baroque Orchestra and Choir – concert diffusé sur la chaîne Mezzo fin 2011). Chef principal associé de l’Orchestre de Paris pour la saison 2016-2017, il a enthousiasmé son public et l’a transporté tour à tour dans un univers flamboyant et apaisé, entraînant et méditatif. Il a dirigé ce Magnificat sans partition. Comme lui, les choristes avaient abandonné leurs partitions pour mieux chercher au fond d’eux-mêmes les couleurs de la joie, de la paix et de l’exaltation. En saluant leur interprétation, nous rendons également un hommage appuyé à leur chef, Lionel Sow.
Le chef, les instrumentistes et les choristes forment un bloc parfaitement homogène. Ainsi, dans le chœur introductif (« Magnificat animea mea Dominum ») comme dans les deux chœurs conclusifs (« Sicut locutus est » et « Gloria Patri »), ils s’enrichissent mutuellement, dans une cohésion admirable. Nous sommes alors littéralement emportés par le souffle des trompettes, le flot des cordes et la puissance des voix.Ils excellent également dans la succession de chœurs flamboyants et d’aria touchantes. Les liaisons entre les moments de méditation et de célébration sont maîtrisées à la perfection. Ainsi, lorsque la paisible aria « Quia respexit humilitatem ancillae suae » est subitement interrompue par un éclatant « Omnes generationes », apparaît devant nous une humble servante, Marie, saluée par la foule des générations à sa dévotion. De même, le choral « Vom Himmel hoch » (Du haut des cieux) est rendu avec une infinie tendresse. Comme dans sa version pour orgue (BWV 738), deux airs se superposent. D’un côté, les sopranos du chœur annoncent aux bergers un événement heureux par un choral doux et soyeux, au rythme lent et qui résonne comme au lointain ; au même moment, les autres choristes expriment une allégresse qui annonce le chœur suivant « Freut euch und jubiliert » (Réjouissez-vous et exultez). A cet instant, nous sommes remplis d’une émotion joyeuse que la version de Ton Koopman peine à nous communiquer.
Les solistes sont tous des artistes confirmés dont le public a salué, à juste titre, la prestation au cours de cette soirée du 17 décembre 2015. Marianne Crebassa interprète la première aria d’un ton enlevé, celui qui convient à une femme choisie par Dieu pour porter le Sauveur du monde. Son timbre est clair et son phrasé limpide. La voix cristalline, la fraîcheur et la sensibilité musicale d’Anna Lucia Richter expriment très fidèlement l’état d’esprit de l’élue, partagée entre l’humilité et la fierté. Entre le hautbois portant la voix des anges et le violoncelle évoquant les réalités terrestres, la cantatrice traduit le bonheur tranquille de Marie. Wiebke Lehmkuhl déploie une belle qualité sonore jusque dans l’aria « Suscepit Israel » interprétée avec les deux autres cantatrices. Leurs voix s’équilibrent dans un jeu bien construit. Mais nous avons tendance à préférer, cette fois, la version pour choeur proposée par Ton Koopman. Christian Immler, remarquable interprète de l’aria « Quia fecit » et Werner Güra, convaincant dans sa déclamation « Deposuit potentes », déploient l’un et l’autre une diction irréprochable. Cependant, dans les graves, leurs voix nous semblent quelque peu étouffées, particulièrement dans leurs parties en duo, lors de l’exécution des aria « « Virga Jesse » pour le premier et « Et misericordia » pour le second.
L’interprétation de ce remarquable Magnificat est bien servie par l’acoustique de la Grande Salle de la Philharmonie. Elle a donné à l’orchestre un son velouté sans pour autant en réduire les nuances et l’éclat.
En seconde partie, MENDELSSOHN a continué à envoûter le public. Nous sommes maintenant plongés en plein XIXème siècle romantique. Nous quittons l’atmosphère des services religieux pour nous projeter dans une salle de concert, mais sans rien perdre de l’inspiration religieuse que partageaient BACH et MENDELSSOHN. Thomas Hengelbrock, avec l’aide des techniciens remarquablement organisés, a réussi une métamorphose parfaite. Tout a changé durant l’entracte. L’orchestre se recompose pour donner de nouvelles couleurs à son expression. Le chœur se renforce, jusqu’à doubler ses effectifs. Deux solistes, Anna Lucia Richter et Christian Immler, officient lors de l’exécution du Psaume 42 et de la cantate de Noël sur un texte de Martin LUTHER et nous livrent une interprétation qui gagne encore en clarté. Enfin, le nouvel orgue de la Philharmonie de Paris enveloppe les interprètes d’une sonorité grave et discrète.
Le Magnificat et la Cantate de Noël ont fait, ce soir-là, une entrée parfaitement réussie dans le répertoire de l’Orchestre de Paris. Souhaitons ardemment qu’ils y restent inscrits de très longues années. Enfin pour ceux qui n'ont pu y assister ou souhaitent le réécouter, ce concert peut être visionné (jusqu’au 17/05/2016) sur le site Arte Concert.

Publié le 23 janv. 2016 par Michel BOESCH