Affetti Amorosi - Girolamo Frescobaldi - Le Banquet Céleste

Affetti Amorosi - Girolamo Frescobaldi - Le Banquet Céleste ©Festival de Froville - Alain Méry
Afficher les détails

Entre Terre et Paradis...


Aucun lyrisme ronflant ne frappe le titre de la présente chronique. Le temps d’un instant, laissons-nous emporter par les souffles musicaux de Zéphyr. Quittons sereinement la terre nourricière et flottons vers cet éden prometteur...

Dernier opus du XXIème Festival international de musique baroque et sacrée de Froville, la terre lorraine accueille, en ce premier juillet, un ensemble au nom évocateur : Le Banquet Céleste.
Créé en 2009 par Damien Guillon (directeur musical), l’Ensemble réunit des solistes vocaux et instrumentaux, passionnés de musique ancienne. Les artistes s’attachent, particulièrement, à la musique baroque. Ils abordent ces répertoires par un travail exigeant, tant sur la recherche, sur l’étude que sur l’interprétation. Leurs nombreuses prestations sont régulièrement saluées par la critique internationale.

Interprété ce jour, le programme Affetti amorosi a fait l’objet d’une captation sonore au disque, l’an passé, ici même dans cette magnifique église romane, écrin du festival. Une chronique de l’enregistrement a été réalisée en début d’année (lire notre chronique : Affetti amorosi)

Damien Guillon et ses fidèles complices exhument quelques Arie musicali de l’œuvre de Girolamo Frescobaldi (1583-1643). Ces joyaux « frescobaldiens » sont issus des deux livres pour une ou plusieurs voix et basse continue, « Primo e secondo Libro d’Arie musicali per Cantarsi nel Gravicembalo, e tiorba ».
Ces pièces intimistes, moins célèbres que les œuvres instrumentales, font part du génie de Frescobaldi dans l’art de la composition. Habile mélodiste, il joue et se joue des dissonances naturelles ou artificielles, des ruptures de rythme. Il pousse l’harmonie dans ces plus subtils retranchements. Il module les phrases musicales avec une certaine « malice », provoquant ainsi des effets inattendus. Il s’inscrit dans le XVIIème siècle flamboyant. L’adjectif, ci-contre, fait référence au style baroque flamboyant qui constitue une réplique catholique à la rigueur dictée par le protestantisme.
Libérés de leur carcan séculaire, les arias osent exprimer, en pleine lumière, les tourments et les passions humaines. Ils quittent les cieux nimbés du paradis et de l’âme (siège de l’activité psychique et des états de conscience) pour atteindre le cœur terrestre de l’être humain. Terre ou Paradis, Amours divins ou amours humains n’ont connu, jusque lors, une frontière aussi ténue… Pourtant, les effets contrastés n’ont, à leur tour, jamais possédé autant d’envergure, de richesse expressive…

L’expression et l’expressivité, puisqu’il en est question, s’exaucent dans l’interprétation des artistes du Banquet Céleste qui livrent une sublime prestation tant au disque qu’au concert !

Le contreténor, Damien Guillon, offre le premier aria musicali, Oscure Selve (Forêts profondes). D’une voix aérienne et le visage empreint de sensibilité, il cède à son guide et maître, Amour. Le théorbe d’André Henrich développe une mélodie aux teintes claires-obscures reflétant l’état d’âme du chanteur partagé entre joie et peine.
Eri già tutta mia (Tu étais déjà mienne) dresse le portrait de l’amour naissant qui meurt aussi vite qu’il n’est né. Thomas Hobbs pose sa voix brillante de ténor sur les arpèges du clavecin (Kevin Manent-Navratil) et la mélopée du violoncelle (Julien Barre), elle-même soutenue par l'agréable phrasé du théorbe. Quant à la soprano, Céline Scheen, elle imprime d’élégantes ondulations relevées par un organe clair et pur. Les timbres se complètent amoureusement. Le duo, ainsi formé, nous émeut notamment par le regard envoûtant que la soprano adresse au ténor.
Apprécions également la nuance des jeux du clavecin sur la pièce instrumentale Balletto e Ciaconna. Kevin Manent-Navratil joue lentement les traits expressifs et se laisse aller à des ralentissements sur les fins de cadences entre les trilles. Avec virtuosité, l’instrumentiste traite le rythme avec de soudaines ruptures.

De courte durée, Se l’aura spira tutta vezzosa (Si la brise souffle légèrement) assied l’instrument vocal de Thomas Hobbs. L’organe tinte de manière sonore et affectueuse. Partageons la direction fine et légère de Damien Guillon.
L’arie Troppo sotto due stelle alme e dolcissime (Souvent derrière deux étoiles glorieuses et douces) nous permet d’apprécier pleinement la voix de Benoît Arnould. D’une belle tessiture de basse chantante, il charme, envoûte par la rondeur du propos. La lumière rayonnante qui nous étreint, orne le mot « nobile » (noble) de graves enveloppants. Marie-Domitille Murez, à la harpe, et le théorbe soutiennent glorieusement la ligne de chant de la basse. Malgré ses souffrances, il nous gratifie d’un sublime pianissimo I miei pensier da lei lai si dividono (Et jamais mes pensées ne la quittent), appuyé par le timbre dolent du violoncelle.

Bien que le sujet de l’aria Oh dolore suivant soit la douleur, il n’en constitue pas moins une sublime pièce. Quel étrange paradoxe que celui de qualifier la douleur de belle ! Les trois timbres masculins (contreténor, ténor et basse) engendrent une harmonie sonore qui apaise l’affliction. La basse exerce sa profondeur tout en noblesse. Le ténor, lui, développe entièrement son jeu vocal. Quant au contreténor, il rehausse par son organe la parure de haute joaillerie.
Jouant sur le petit jeu et le grand jeu dans la Toccata, le théorbiste fait preuve d’un doigté virtuose, où la poésie musicale s’échappe de chacune des notes. Les cordes résonnent. Nous en ressentons les vibrations qui, naturellement, ne se perçoivent pas au disque.
D’autres frémissements se produisent sur Vanne, o carta amorosa (Rejoins, ô lettre d’amour), Céline Scheen, accompagnée de la harpe au délicat phrasé, se lance dans de légères accentuations témoignant de sa perfection vocale. Elle fait sonner au plus juste les dissonances imposées à la partition. Belle présence scénique et interprétative !

Le clavecin, en solo sur Ardo, e taccio il moi mal (Je brûle, et je te hais mon mal), prépare le chant de Damien Guillon. Des cascades torrentielles de notes se déversent avec les flots continus du théorbe et de la harpe. Toute cette eau ne suffit pas à circonscrire le feu alimenté par le contreténor. Assise, la soprano réagit aux déferlantes musicales. Quel prisme vocal !
Nous découvrons (ou redécouvrons pour les heureux possesseurs de l’enregistrement), avec un immense plaisir, Non mi negate ohimé (Ne me refusez pas, hélas). Nous saisissons toutes les nuances qui trouvent écho dans la nef.

Les duos, formés par Céline Scheen et Thomas Hobbs, marquent de nouveau la complicité qui les unit. Dove ne vai pensiero (Où vas-tu pensée ?) constitue un summum dans l’art déclamatif. Le théorbe, le violoncelle et le clavecin méritent tout autant d’éloges ! Puis, les deux « amoureux » vibrent par le sentiment passionné. Remarquons la levée élégante du poignet sur la harpe de Marie-Domitille Murez.

La harpiste portera le coup de grâce avec un solo d’une rare intensité. Le madrigal Ancidetemi pur d’Archadelt, composé initialement pour clavecin, est interprété à la harpe. Parfois avec lenteur, parfois rapidement, elle délaie son doigté dans de riches affects. Nous n’osons ni respirer, ni faire le moindre mouvement afin de ne pas troubler ce précieux moment ! Des bravos, amplement mérités, viennent saluer l’artiste.

La guitare baroque (tenue par le théorbiste), le violoncelle et le clavecin accompagnent le duo d’amoureux dans l’air Gioite oh selve (Réjouissez-vous, ô forêts). Thomas Hobbs brille comme un « doux trésor » (Il moi dolce tesoro) aux yeux de la belle Cloride incarnée par Céline Scheen.
Remarquable encore une fois, la soprano alterne arias et récitatifs dans Così mi disprezzate ? (Ainsi vous me méprisez ?). Elle est accompagnée tantôt en tutti instrumental pour les airs, tantôt du violoncelle et du clavecin pour les récitatifs.

Concluant le concert Ti lascio anima mia (Je te quitte mon âme), le contreténor orne sa voix d’une douce compassion et nous guide vers cette fin inéluctable qu’est la mort ! Les instruments marquent, de même, une sensible humanité. A l’image d’une procession funéraire, ils viennent accompagner à tour de rôle le mourant dans son expiation : d’abord le théorbe, puis la harpe, le violoncelle et le clavecin. Le théorbe, dans ses ultimes arpèges, s’éteint sur la voix du contreténor.

Au nom du Banquet Céleste, Damien Guillon adresse des remerciements pour l’accueil réservé lors de l’enregistrement du disque et lors du concert de ce jour. L’ensemble accorde généreusement un bis, le motet à quatre voix Ave, Virgo gloriosa (Salut, ô Vierge glorieuse) de Frescobaldi. Les quatre chanteurs unissent leur voix pour rendre gloire à la Vierge. Une remarque nous vient à l’esprit. Il s’agit du seul quatuor vocal du concert… La réponse est fort simple : les arie musicali ont été écrits pour solo, duo et trio.
Au disque tout comme lors du concert, aucune différence majeure ne s’est fait sentir. Le direct nous a permis d’éprouver plus intensément les tourments et les passions de l’âme humaine.

Des bouquets d’applaudissements sont déposés au pied de l’autel. Un long cortège d’encouragements salue la divine prestation qui quitte son enveloppe terrestre pour rejoindre les âmes au Paradis…




Ainsi s’achève la XXIème édition du Festival international de musique baroque et sacrée de Froville. Souhaitons-lui un avenir des plus radieux !
Remercions sincèrement la quinzaine de bénévoles qui, animée par une énergie débordante, a porté haut et fort l’édition 2018.
Témoignons également notre gratitude à Laure Baert, directrice artistique du festival, qui a su souffler un vent de renouveau. Pour mémoire, la programmation 2018 a été bouclée en trois mois alors que bon nombre d’artistes ont un agenda rempli sur trois ans.

Le Concours international de Chant baroque de Froville se tiendra du 27 au 30 septembre prochain, alternativement sur les sites partenaires à Lunéville et à Froville. Vous retrouverez tous les renseignements sur le site : Festival de Froville .

Pour chaque concert, un bus est mis à disposition au départ de Nancy. Le départ est prévu une heure avant le début du spectacle devant le Conseil départemental, situé rue du Sergent Blandan (parking de la piscine Nancy Thermal).



Publié le 11 juil. 2018 par Jean-Stéphane SOURD DURAND