Motetti per concerti ecclesiastici - A. & G. Gabrieli - G. Bassano

Motetti per concerti ecclesiastici - A. & G. Gabrieli - G. Bassano ©Patrick Pitois - Les Traversées Baroques - église Saint Martin de Hoff - Sarrebourg
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Nous avons l’immense plaisir de retrouver l’ensemble vocal et instrumental Les Traversées Baroques en clôture de la trentième édition du Festival International de Sarrebourg (57), inscrit dans le cadre des Rencontres Musicales de Saint-Ulrich.
Le festival de Sarrebourg est placé sous la direction artistique d’Alain Pacquier. A sa rencontre, nous sentons l’homme de conviction animé par la passion.
Méditons sur ses propos recueillis le 07 juillet dernier par Arnaud Stœrkler, journaliste à La Semaine, « Parvenir à la dignité en s’affirmant par la musique ».

Les Traversées Baroques nous ravissent à chacune de leurs apparitions scéniques et/ou par leurs enregistrements. Il va de soi que nous les attendons avec une vive impatience…

Créées en 2008 par Judith Pacquier (direction artistique) et Etienne Meyer (direction musicale), les Traversées Baroques s’illustrent dans la « pure » restitution des œuvres de musique ancienne et baroque.
Souvenons-nous du concert Selva Morale de Claudio Monteverdi (1567-1643) en date du 14 juillet 2016 en ces mêmes lieux ou bien encore du fabuleux CD dévoilant un compositeur polonais, presqu’inconnu, Kaspar Förster (1616-1673) sous le label K617.
Depuis 2013, la formation musicale est en résidence à l’Opéra de Dijon en tant qu’Ensemble Baroque Régional.

Assis sur les bancs de la magnifique église Saint Martin de Hoff de Sarrebourg (voir photo en tête de chronique), nous attendons le concert. Des questions surviennent. Quel voyage allons-nous vivre ? Quelle en sera la destination ? En compagnie des Traversées, la navigation ne peut être qu’excellente…

A la lecture du programme, nous découvrons les noms de Gabrieli et Bassano, attachés indéniablement à l’école vénitienne. Ces noms à forte consonance italienne nous renseignent sur l’époque et sur la destination…
Ce programme nous entraîne dans les fastes de la basilique San Marco de Venise dans les années 1597-1599, années charnières entre la Renaissance et les prémices de l’ère baroque.
Andrea Gabrieli (1533-1585) et Giovanni Gabrieli (1557-1612), respectivement oncle et neveux, sont titulaires des orgues à Saint-Marc. Ils enseignent avec « dévotion » l’art de la composition. Les partitions ne se cantonnent pas à leur domaine de prédilection. Ils écrivent de nombreuses œuvres pour chœur, instruments. Mêlant l’héritage polyphonique à leurs « innovations » instrumentales, ils poussent les codes établis où seule la voix primait, prédominait… Ils développent le style concertant polyphonique, appelé concertato.
Giovanni Bassano (1558-1617), quant à lui, joue du cornet à la basilique Saint-Marc. Il accède en 1601 au poste de directeur de l’ensemble instrumental de la basilique. En tant que cornettiste ou en tant que directeur, il participe au développement de la formation instrumentale et lui confère un rôle de plus en plus important. Sous sa direction, le violon s’immisce discrètement dans la composition de la formation (« instrumentarium »). S’imposant en majesté sous Monteverdi, l’instrument « chasse » de l’orchestre les cornets à bouquin et les sacqueboutes (ancêtre du trombone).
Les œuvres d’Andrea et Giovanni Gabrieli sont largement représentées sous la nef de la basilique. Attaché au style polychoral vénitien, Bassano composa de nombreux motets et des concerti ecclesiastici, titre du programme présenté ce jour.

Etienne Meyer, grand « joueur » devant l’Eternel, ne se distingue pas par son instrument mais par son talent de « créateur », de révélateur.
Par le bain de sa direction, il transforme l’image latente de la musique de la Sérénissime en une image visible. Image qui d’ailleurs se pare de reflets multicolores du fait de l’ensemble à géométrie variable. La configuration vocale (sept chanteurs) et instrumentale (sept musiciens) est en perpétuelle mouvance sous l’impulsion du chef !
Il met en surbrillance le caractère individuel et riche de chaque œuvre, apportant ainsi du dynamisme à la « somptueuse » San Marco.

La programmation répartit les œuvres de manière pertinente et esthétique. Quatorze œuvres vocales accompagnées s’articulent autour de six pièces purement instrumentales.
L’Ave Maria de Giovanni Bassano ouvre le concert dans une formation à douze. Remarquons la disposition scénique. Chaque chanteur est associé à un musicien, créant ainsi un binôme harmonieux au service de l’interprétation. Le résultat sonore est époustouflant. Chaque ligne (vocale et instrumentale) se lit aisément, parfaitement. Nos oreilles se délectent.

Il s’ensuit la première pièce instrumentale, l’Intonatio de G. Bassano, jouée par l’organiste Laurent Stewart. De courte durée, elle révèle le fin doigté du musicien.
Le son du jeu unique de l’instrument s’accapare l’espace s’appuyant sur l’exceptionnelle acoustique de l’église sarrebourgeoise.
L’instrument est un orgue destiné à la réalisation du continuo dans la musique italienne du XVIIème siècle. Constitué d’un jeu principal en bois dont la basse est commune à un jeu en étain, l’orgue est doté d’un clavier à octave courte et feintes brisées (artifice complémentaire de l’octave courte pour diminuer la largeur totale du clavier). Le son est nourri par une pompe actionnée par le pied droit de Laurent Stewart. Le soufflet n’est pas apparent du fait de son emplacement sous le sommier (caisses de bois dans lesquelles l’air est envoyé sous pression).
Accorder un tel instrument nécessite obligatoirement des compromis. Il est impossible d’accorder parfaitement tous les intervalles.
L’organiste se distinguera dans une seconde pièce Intonatio de G. Gabrieli. Il atteindra le summum interprétatif dans la Toccata composée par Claudio Merulo da Corregio (1533-1604). Développé à la main droite, le jeu orné se veut gracieux. La main gauche, au jeu feutré, développe le thème. Les mouvements chromatiques ascendants et descendants argumentent les notes à valeurs brèves (croches, doubles-croches, …). Sortant des tuyaux, les sons s’envolent, virevoltent dans une pure harmonie et s’évaporent sur un long accord final en point d’orgue.
A la manière d’Alain Pacquier, la virtuosité s’impose par la précise interprétation.

Trois autres pièces instrumentales jalonneront le concert. La Canzon prima de G. Gabrieli se rehausse des brillantes sonorités des cornets à bouquin (Judith Pacquier et Sarah Dubus).
Notons la particularité de cet instrument à vent rangé dans la famille des cuivres. Ceci résulte du mode de production sonore (vibration des lèvres dans une embouchure) et de son association avec les sacqueboutes (trombone renaissance et baroque). La sacqueboute est un instrument à vent dont le nom est né de l’association des verbes « saquer » (tirer) et « bouter » (pousser). Les verbes illustrent les mouvements du bras droit à l’instrument.
Toujours de Gabrieli, la Canzon terza offre aux sacqueboutiers (Claire McIntyre, Abel Rohrbach et James Wigfull) d’exprimer d’amples sonorités. Ils soutiennent le discours harmonique. Ils doublent le timbre lumineux des cornets en ajustant leurs intonations. Nous sommes conquis par les nuances profondes et généreuses qui en découlent. Saluons, par ailleurs, la sublime prestation de Monika Fischaleck au basson, tirant profit des qualités chantantes de l’instrument.
Le son vibre sous le chant « nasillard » du basson dans la seule pièce signée par Andrea Gabrieli, Eructavit cor meum. L’orgue renforce la mélodie des cornettistes et sacqueboutiers. Les sons entrent en résonnance.

Si les instruments prennent une nouvelle dimension dans le faste vénitien. Les voix ne sont pas reléguées ou noyées dans les canaux de la Sérénissime.
Pour preuve, la pièce vocale accompagnée Nativitas Tuas de Bassano fait tomber les masques. Les chanteurs apparaissent à visage découvert. Les sopranos (Anne Magouët et Capucine Keller) ornent leur chant de délicieux accents. La rondeur des altos masculins (Paulin Bündgen et Pascal Bertin) offrent un soyeux médium. Ils tirent profit du texte. L’articulation est soignée. Quant aux ténors (Hugues Primard et Vincent Bouchot), ils s’appuient sur la puissance vocale de la basse (Renaud Delaigue).
L’Exaudi Deus de G. Gabrieli dévoile les graves ténébreux de la basse profonde. Renaud Delaigue y est tout simplement divin ! Le basson et les ténors attribuent de belles nuances à la pièce.

Quelle douceur lorsque résonne la voix d’Anne Magouët entonnant Veni dilecte mi G. de Bassano d’après Giovanni Pierluigi da Palestrina (ca. 1525-1594). Elle construit le son avec grâce. Les aigus sont aériens. En face d’elle, Vincent Bouchot peaufine le doux murmure féminin. Il alimente le son par une respiration soutenue mais discrète. L’orgue se reflète dans la psyché vocale des deux chanteurs, anges du Paradis.
Autre moment de plénitude, l’Ave Maria composé par Bassano d’après Palestrina. Paulin Bündgen rend humblement grâce à la Vierge. Il élabore un chant accentué sans ornementation ostentatoire à part les petites inclinations de la tête… Exercice fort intéressant de confier le chant à un alto masculin. Le timbre développe de subtiles harmoniques. Les sacqueboutes et l’orgue apportent du relief, de la consistance à cette voix hors du commun.

L’organiste quitte son banc. Et prend place derrière un « minuscule » orgue-coffre positif au simple bourdon. Il donne aubade aux sept chanteurs réunis autour du basson. Tous ensembles, ils glorifient le Seigneur, O Jesu dulcissime (G. Gabrieli). L’expressivité est palpable.

Une pièce d’orfèvrerie, Voce mea de Bassano, arbore un diamant pur (le cornet de Judith Pacquier) et quatre sublimes émeraudes (Paulin Bündgen, Pascal Bertin, Hugues Primard et Renaud Delaigue). Ces nobles pierres sont serties sur l’anneau d’or ciselé par l’orgue (Laurent Stewart).

A effectif restreint ou complet, les autres œuvres interprétées, non citées jusqu’alors, suivent toutes le chemin tracé par l’expressivité. Etienne Meyer en est le gardien. Il sert de cadre à l’image polyphonique dressée par les interprètes (vocaux et instrumentaux). Comme qualifié au début de la chronique, Etienne Meyer est un « créateur » ! Créateur d’émotions les plus absolues…

Les Traversées Baroques nous ont emmenés à San Marco. Lieu extraordinaire, lieu fastueux tels sont les attributs de Venise, la Sérénissime !
Mais le plus extraordinaire réside dans un fait irréfragable. Quelle que soit la composition de la formation, la spiritualité et la poésie jaillissent au travers des mots ou des notes. Les timbres vocaux et/ou instrumentaux ont d’ailleurs renforcé cette quête de piété…



Publié le 22 juil. 2017 par Jean-Stéphane SOURD DURAND