Berenice - Haendel

Berenice - Haendel © Jean-Yves Grandin
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Quand des airs remarquables sauvent un livret plutôt indigent

Dernier opéra écrit par Haendel pour Covent Garden, Berenice ne connut pas le succès, les représentations cessant après la 4ème. Il faudra attendre 1985 pour que l’opéra soit à nouveau joué, dans un cadre universitaire. Ce manque de succès s’explique probablement par la lassitude du public londonien envers l’opera seria italien, désormais passé de mode, et par le caractère un peu dépassé du livret qui aligne tous les poncifs de l’opéra baroque, dans une intrigue complexe et vraiment improbable, avant de s’achever sur un invraisemblable happy end. L’histoire s’inspire de la vie de Bérénice III, fille de Ptolémée IX (personnage principal du Tolomeo, créé en 1728). L’action se déroule en 81 avant Jésus-Christ. Elle se construit de façon passablement compliquée et absurde autour des amours contrariées et rivales des deux sœurs, Bérénice et Sélène, rivalités qui connaissent un heureux dénouement.

La désaffection du public envers cette Berenice, regina d’Egitto est aussi souvent expliquée par la faiblesse de la partition écrite par un Haendel affaibli qui subira une attaque juste avant la première. De mon point de vue, la partition pêche plus par une construction dramatique erratique et globalement inexistante que par le manque d’inspiration, de nombreux morceaux tout à fait remarquables émaillant cet ouvrage, même s’il faut bien reconnaître que l’œuvre peine à sortir de l’enchaînement de numéros.

Dans le rôle-titre, Sandrine Piau met au service de ce rôle un rien désincarné la clarté de son timbre. Si l’incarnation du personnage est un peu insuffisante, la faute à un livret désuni, le chant est d’une grande fluidité, les coloratures sont ciselées et l’aigu est lumineux. J’aurais aimé un peu plus de fureur lorsqu’elle apprend la trahison de Demetrio, mais la nostalgie plaintive du duo avec le hautbois (Chi t’intende) est somptueuse.

Arianna Vendittelli qui chante Alessandro est une belle découverte. La voix lumineuse, à l’aigu charnu et au timbre plein, se plie à une interprétation d’une précision irréprochable et à une véritable incarnation, digne et dépourvue de mièvrerie, de ce patricien romain submergé d’amour pour Berenice et plein de noblesse.

Servi par le seul rôle ayant un peu de consistance, celui du traître malmené et sympathique car amoureux, Paul-Antoine Bénos-Djian est superbe dans tous les registres, alternant avec un bonheur égal les différents états psychologiques de Demetrio. La projection est impeccable, les vocalises parfaitement conduites, les ornements soignés et le chant sait aussi bien rugir que se faire soyeux, caressant, comme dans le duo avec Sandrine Piau qui clôt le I (Se il mio amor). Il semble de régaler de ce rôle un peu lourd, aux facettes diverses et, sa prestation très applaudie était incontestablement la plus aboutie de la soirée.

Ann Hallenberg prend un plaisir visible à chanter Selene, qu’elle interprète tout en douceur, d’une voix souple et légère, qui joue à loisir des ornements. Sa technique remarquable lui permet de nous donner un sentiment de grande facilité dans ce rôle pourtant émaillé de difficultés.

Rémy Brès-Feuillet est tout à fait remarquable en Arsace, avec une voix de contre ténor alto sonore et joliment conduite, assumant avec succès ses vocalises.

La voix ample et bien projetée de John Chest et sa technique assurée lui permettent de composer un Aristoblo bien chantant et convaincant. J’ai été moins séduit par le Fabio de Matthew Newlin dont le chant m’a semblé souvent un peu désuni et dont l’interprétation m’a paru manquer du cynisme qui marque ce personnage.

En formation assez réduite (20 musiciens) et assez peu variée (continuo, cordes et deux hautbois), Il Pomo d’Oro parvient toutefois à exprimer toutes les beautés subtiles de cette partition. Francesco Corti assure une précision irréprochable tant de l’orchestre que des solistes et parvient, malgré la faiblesse du livret, à caractériser des climats et des émotions, dans une musicalité superbe et qui ne se dément jamais au cours de la soirée.

Le public a fait un triomphe aux interprètes en conclusion de cette soirée.



Publié le 07 juin 2024 par Jean-Luc Izard