La caravane du Caire - Grétry

La caravane du Caire - Grétry ©
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Une joyeuse turquerie

Grétry ayant été le compositeur favori de la Cour pendant de nombreuses années, nombre de ses opéras comiques furent d’abord créés dans les théâtres de cour avant d’être joués sur les scènes parisiennes. Tel fut le cas de cette Caravane du Caire, créée au théâtre royal de Fontainebleau puis, moins de trois mois plus tard (le 15 janvier 1784 pour être précis), à l’Opéra (Académie royale de musique). Cet opéra ballet, en complète rupture avec la tragédie lyrique à la française, connut un succès immédiat et a été joué à l’Opéra jusqu’en 1829, y alignant plus de 500 représentations, avant de tomber ensuite dans un oubli durable.

L’ouvrage s’inscrit dans le style des turqueries de l’époque, mêlant très habilement l’évocation d’un Orient fantasmé et une célébration outrée des vertus et qualités françaises. Le livret repose sur une intrigue simple d’amours et d’aventures : un courageux jeune Français tente d’arracher sa bien-aimée des griffes d’un pacha qui délaisse et son épouse et son harem. La musique est vive, joyeuse, enlevée, puissamment évocatrice.

Le tandem Niquet-Pynkoski respecte parfaitement cet esprit et nous offre une belle résurrection de cette œuvre au cours d’une soirée dans laquelle on s’abandonne avec gourmandise. Certes, tout n’est pas parfait dans la direction d’Hervé Niquet dont les équilibres avec le plateau sont parfois un peu délicats mais l’enthousiasme du Concert Spirituel est entraînant et Hervé Niquet sait faire donner toute la palette des couleurs exigées par le livret. De même si la mise en scène de Marshall Pynkoski aurait été encore meilleure avec une dire répétitifs, l’ensemble est très réussi, piquant et virevoltant à souhait. Les costumes de Camille Assaf sont très beaux, avec leurs couleurs de style orientaliste très 19ème siècle. La chorégraphie de Jeannette Lajeunesse Zingg est elle aussi très respectueuse du style et de l’époque de l’œuvre et ne nous ennuie à aucun moment.

Pierre Derhet confirme en tous points la très grande qualité de son chant que nous avions déjà relevé dans son Richard Cœur de Lion. La voix est sonore, bien projetée, très bien articulée. Le timbre est souple, beau sur toute la tessiture et Pierre Derhet déploie les mêmes qualités dans l’ensemble des scènes dont les exigences en matière d’expressivité sont pourtant très contrastées : amoureux, mélancolique, guerrier, héroïque, il domine son rôle avec panache et une diction absolument impeccable.

La Zélime d’Hélène Guilmette est également bien adaptée au rôle et, même si la voix est encore un peu verte dans le medium, elle offre des aigus d’une grande beauté. L’Almaïde de Marie Perbost est plus assurée et déploie son très beau timbre en volutes chamarrées et souvent émoustillantes sur un rôle de femme dépitée mais néanmoins triomphante qui manipule aisément son benêt de pacha.

Mi-ogre mi gros benêt précisément est la belle composition de Robert Gleadow qui chante son pacha avec gourmandise et une diction impeccable. Même si le rôle semble écrit un peu haut dans son air d’entrée, Gleadow fait étalage des beautés d’un timbre chaud dont les couleurs conviennent superbement à ce pastiche orientalisant. Jean-Gabriel Saint Martin est plus convaincant en Florestan qu’en Husca, même si on doit saluer la performance qui consiste à passer du ridicule comique du marchand d’esclave au sérieux patriotique et dramatique de Florestan. Son Ah ! Si pour la patrie au III est particulièrement réussi.

Enguerrand de Hys est délicieux en eunuque efféminé, précieux et salace. Certes la voix reste un peu trop claire et trop peu sonore pour mon goût mais son plaisir et son talent à donner vie à son Tamorin emportent l’adhésion, sans réserve.

Des trois esclaves, c’est Chantal Santon Jeffery qui surpasse ses consœurs avec une esclave italienne de grande classe, égrillarde à souhait et délicieuse dans la parodie d’opera seria à laquelle elle se livre avec bonheur, enchaînant tous les poncifs vocaux de l’opéra baroque avec une technique remarquable qui lui permet rendre totalement l’impitoyable moquerie de Grétry envers ce style. L’esclave française de Lili Aymonino propose un joli timbre acidulé mais la diction est souvent approximative et l’esclave allemande de Lucie Edel, au mezzo chaud et vibrant m’a semblé trop raffinée, et manquer de rusticité dans son interprétation.

Malgré des interventions très brèves, j’ai apprécié, sur cette même tessiture de baryton-basse, le timbre aux très beaux graves du Furville de Samuel Guibal et l’Osmin plus léger et très virevoltant de Benoît Descamps.

La soirée fut ainsi un grand succès, salué avec enthousiasme par le public lors de longs rappels en musique.



Publié le 20 juin 2023 par Jean-Luc Izard