Castello Consort

Castello Consort ©Bruno Maury
Afficher les détails
Le talent d'un jeune ensemble

C'est un concert original qui nous était proposé cet après-midi là entre deux opéras du Festival Haendel, en l'église Sankt-Christophorus de Reinhausen, petit village logé à quelques kilomètres de Göttingen. L'église, située sur un promontoire rocheux et entourée d'un vaste et ancien cimetière, et du vieux village, est fort ancienne. Elle a perdu ses fenêtres romanes et son transept au XVIIIème, qui l'a réduite à une simple nef percée de grandes baies. Mais ses deux tours à l'entrée ont fière allure, et lui donnent un petit air de forteresse, qui domine la vallée environnante.

Le jeune groupe Castello Consort affiche une composition originale pour illustrer le répertoire baroque. Au violon et violoncelle traditionnels s'ajoute un orgue positif, et surtout une sacqueboute (que les Allemands dénomment littéralement « trombone baroque », appellation plus directement compréhensible pour les amateurs qui ne connaissent pas cet instrument, qui fut employé jusqu'au début du XVIIIème siècle en France). Les chaudes sonorités de cet instrument, sa présence face aux cordes invitent tout à la fois à explorer le répertoire qui lui est consacré, et permettent de rehausser de manière originale la composition classique d'un petit orchestre baroque. Cheveux en bataille et chemise ouverte, le jeune sacqueboutier Matthijs van der Moolen semble lui aussi un élément singulier de cet ensemble, dont il est la seule composante masculine face à trois jeunes femmes à l'élégance vestimentaire rigoureuse, presque stricte.

Le programme mêle des œuvres de compositeurs à peu près totalement méconnus (comme le polonais Adam Jarzębski), aux côtés de compositions peu familières de Monteverdi ou Haendel. Il est construit assez habilement, sur une alternance presque systématique de morceaux avec sacqueboute et de pièces plus classiques. L'orgue tenu par Henriëtte Wirth se distingue par sa présence et ses notes aériennes dans la sonate de Cima, ou dans son vigoureux duo avec le violoncelle (Pulchra es, amica mia de Taeggio), On retiendra aussi le brillant duo de l'orgue avec la sacqueboute dans le Laudate Dominum de Riccio, chaleureusement salué par le public. Le violoncelle de Anne-Linde Visser nous régale de graves ambrés et bien ronds dans la sonate de Cima.

Mais évidemment les instruments les plus brillants tendent à concentrer l'attention des spectateurs. A ce jeu l'archet virevoltant de Elise van der Wel, tel qu'il se manifeste dans la Sonata Quinta de Castello, entraîne sans peine ses partenaires, et nous fait tourner la tête... On retiendra encore son expressivité dans la Cantate Gabrielis de Jarzębski, ou dans les longues variations de la Sonata Terza de Marini, qui font aisément oublier un petit couac (au demeurant à peine perceptible) dans la Guaralda de Mariani. Les deux pièces qui voient rivaliser violon et sacqueboute (la Sonata per il Organo, Violino e Trombone ad libitum de Marini, et surtout l'endiablée Sonata Sesta de Castello) sont de véritables petits bijoux, qui enchantent nos oreilles.

Et la sacqueboute de Matthijs van der Moolen demeure la vedette de cette belle après-midi, illuminant dès l'ouverture le concert de sa présence (dans la Küstrinella de Jarzębski), ponctuant magistralement le Vulnerasti cor meum de Cima, entraînant avec flamboyance le Lauda Jerusalem dominum de Monteverdi, sonnant avec volupté dans le Sit Nomen Domini de Haendel. Les morceaux exécutes en seconde partie sont dominés par la virtuosité de l'interprète : le Laudate Dominum in sanctis eius de Monteverdi, et surtout l'époustouflante Cantate Domino alla Bastarda, composée par Matthijs van der Moolen lui-même d'après Gabrieli. Longuement ovationné, et après de nombreux rappels, le jeune groupe offre en bis à son public le Concerto Primo de Jarzębski, concluant ainsi dans la bonne humeur et le succès ce concert vespéral.

Ne terminons pas sans évoquer le programme eeemerging, auquel participe cette jeune formation. L'intitulé du programme est la contraction de trois termes anglais : Emerging European Ensembles (Ensembles Européens Emergents). Cette initiative part du constat que la seule excellence musicale ne suffit pas pour se réussir dans le milieu de la musique ancienne. Autour du CCR d'Ambronnay, elle regroupe le Festival Haendel de Göttingen, l'Université nationale de Musique de Bucarest, Seviqc Brežice de Ljubljana, Ghislieri Musica de Pavie, le Centre de musique ancienne de Riga, la société de production audiovisuelles Ozango à Strasbourg et le Centre national de musique ancienne de York. Le programme a pour objet de sélectionner les meilleurs ensembles, mais aussi de les accompagner pendant trois ans pour leurs premiers concerts et leurs premiers enregistrements. On ne peut que se réjouir de cette initiative, qui contribuera à mieux faire connaître la musique ancienne dans les salles de concert européennes. Et la prestation très appréciée du Castello Consort à Göttingen a montré combien ce choix était judicieux : souhaitons bon succès et longue vie à cet ensemble et à ce programme !



Publié le 29 mai 2017 par Bruno Maury