Castor et Pollux - Rameau

Castor et Pollux - Rameau © Vincent Pontet
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Un Castor et Pollux privé de théâtralité

Troisième opéra de Rameau, la version originelle (1737) fut profondément reprise par le compositeur près de vingt ans plus tard en 1754. C’est la version de 1737 qui est retenue pour cette nouvelle production de l’Opéra national de Paris. Dans cette version, l’ouvrage débute par un Prologue (supprimé dans la version de 1754) dénué de rapport avec le reste de l’opéra, allégorie de la fin de la paix avec la Pologne. Le premier acte s’ouvre sur le tombeau de Castor et met en scène la douleur de Télaïre alors que, dans la version de 1754, Castor ne meurt qu’à la fin du premier acte.

La création de Castor et Pollux en 1737 se situe dans un contexte d’affrontement entre la manière de Lully, qui règne toujours sur l’opéra français, et Rameau qui essaie de s’y faire une place et dont la musique est réputée, par les lullystes, trop italianisante, faisant trop de place au chant. Néanmoins, la création de Castor et Pollux fut un succès, notamment après la révision de 1754 ; avec 254 représentations entre 1737 et 1785, ce fut l’œuvre la plus jouée de Rameau au XVIIIème siècle. Ce fut aussi la seule œuvre de Rameau qui échappa à l’oubli au XIXème siècle (notamment grâce à Tristes apprêts, la superbe déploration de Télaïre), avant de renouer avec la scène dès le début du XXème.

L’action dramatique repose sur la différence de statut des deux frères issus de la même mère (Léda). Pollux est demi-dieu, fils de Jupiter, quand Castor n’est qu’humain, fils de l’époux de Léda, statut qu’il partage avec Phébé. Elle est articulée autour d’amours raciniennes non réciproques : Phébé aime Pollux qui aime Télaïre laquelle aime Castor, qui vient de mourir au combat.

Disons-le d’emblée, la mise en scène de Peter Sellars est illisible. La scène est ouverte sur un décor unique pour la totalité de l’œuvre, décor dont la laideur le dispute à l’indigence. La direction d’acteurs est plus que sommaire et les chœurs sont laissés à l’abandon dans des pantomimes ridicules. La porte des Enfers est une table basse vintage qui figure aussi le tombeau de Castor, la transition entre le monde réel et le monde surnaturel passe par une douche et son rideau en plastique, les démons avalent Phébé par un canapé, et aucune des scènes qui caractérisent l’opéra baroque n’est traitée avec l’attention qui aurait dû leur être portée (les plaisirs célestes, les démons, les ombres heureuses…), Jupiter est une sorte de clochard handicapé... Dramatique panne d’inspiration qui prive l’opéra d’une théâtralité dont il a besoin pour être lisible et porter de l’émotion dans ce XXIème siècle et qui se cache derrière le recours à des recettes déjà usées : chorégraphie urbaine et vidéo. Les costumes sont laids, ne déparant ainsi pas le décor. Si la chorégraphie de Cal Hunt est souvent intéressante et réveille un peu un discours narratif totalement abscons, son caractère systématique finit par être lassant et ne caractérise pas suffisamment les différentes parties de ces interventions. Les vidéos offrent de très belles images mais là aussi l’articulation de l’intention avec la mise en scène est très souvent obscure.


© Vincent Pontet

Teodor Currentzis dirige un orchestre Utopia particulièrement volumineux dont on se demande d’ailleurs pourquoi il est tellement pléthorique alors que la direction de Currentzis le borne le plus souvent à un murmure et à des pianissimi parfois sublimes mais qui finissent par devenir lassants tant on perçoit la contrainte que cette direction fait peser sur la partition de Rameau. Ne réveillent réellement l’intérêt qu’une ouverture conduite avec fougue, l’attention portée aux équilibres entre la fosse et le plateau et le respect des voix qui sont soutenues avec constance, notamment dans un Tristes Apprêts tout à fait superbe.

Jeanine de Bique justement ne m’a pas convaincu en dehors de ce superbe Tristes Apprêts. Si l’actrice est engagée, la projection reste insuffisante, la diction est souvent très approximative (alors que le français de tous les autres chanteurs, même étrangers, dispense de lire les surtitres, ce n’est pas le cas de la soprano), et l’émission, à trop privilégier l’aigu, prend un caractère monotone.

Stéphanie d’Oustrac maîtrise parfaitement l’art de la déclamation de l’opéra français et sa grande présence sur scène lui permet d’incarner idéalement Phébé. J’ai été beaucoup moins séduit par Natalia Smirnova qui a certes un joli timbre et une voix joliment conduite mais dont le style s’éloigne par trop de ce qu’appelle Rameau avec des ornementations un rien excessives.

Reinoud Van Mechelen est la révélation de cette production et ne fait qu’une bouchée de ce rôle exigeant. Il est bouleversant en Castor passant avec une très grande aisance d’une tessiture aiguë au legato superbe à d’éclatantes exclamations de révolte.

Marc Mauillon cisèle son chant dans une déclamation irréprochable et une diction impeccable. Du grand art qui sert une belle expressivité.

Laurence Kilsby s’impose aussi dans ses trois petits rôles qu’il assure avec beaucoup de style. Le timbre est enjôleur et la diction excellente. Nicholas Newton est également parfaitement distribué en Jupiter qui évite la caricature malgré la mise en scène…

Le Chœur Utopia, malgré le caractère calamiteux des exigences de la mise en scène, est très intéressant, par son homogénéité et la qualité de sa diction.

Le public de cette première a réservé un très beau succès à cette représentation, malgré des huées appuyées (et franchement méritées) lorsque Peter Sellars est venu saluer.



Publié le 01 févr. 2025 par Jean-Luc Izard