Airs napolitains - Max-Emanuel Cencic

Airs napolitains - Max-Emanuel Cencic ©Anna Hoffmann
Afficher les détails
Soleil napolitain à Froville

Il revenait cette année à Max Emanuel Cencic d'ouvrir la XIXème édition du Festival de musique sacrée et baroque de Froville. A l'heure où nombre de manifestations musicales disparaissent ou se trouvent en grande difficulté, ce choix paraissait témoigner d'un triple engagement : la détermination des organisateurs, aidés des bénévoles (qui assurent notamment la logistique du Festival) ; la fidélité du public, qui converge depuis le Grand Est - Allemagne et Luxembourg compris – vers ce petit bourg du Bayonnais ; et enfin l'attachement des artistes, puisque Max Emanuel Cencic a chanté à chaque saison de ce Festival depuis qu'il y a donné son premier récital en France.

De la détermination, de la fidélité et de l'attachement il en fallait ce soir-là pour affronter la rigueur du printemps lorrain, qui plongeait la petite église dans une atmosphère très crue, presque froide, et imprégnée de l'humidité ambiante, mettant à l'épreuve instruments, voix et spectateurs. Après quelques accords prolongés, les cordes de l'orchestre Il Pomo d'Oro entamèrent la Sinfonia n° VIII de Domenico Scarlatti. Au fil des notes, les sonorités parfois un peu sèches s'affinent, et la ligne mélodique s'affirme, bien soutenue par le violoncelle de Federico Toffano et le clavecin de Ronan Khalil, pour terminer dans un éclatant mouvement final.

Arrivé sous les applaudissements, Max Emanuel Cencic, en sobre tenue noire, débute son récital par un air de la Didone Abbandonata de Porpora, Agitata è l'alma mia. Les mélismes s'enchaînent avec un grand naturel, dans une diction d'une grande fluidité. Le timbre s'est enrichi de sombres couleurs mates, qui soulignent la tension de l'âme, dans de beaux effets expressifs. La reprise, comme il se doit un peu plus ornée, s'achève sur un magnifique final, largement récompensé par l'enthousiasme du public. L'air suivant, Se resto sul lido, au rythme lent, est empli de riches aigus charnus, aux précieux reflets moirés. Il permet aussi d'apprécier le violon agile de Zefira Valova, à la direction discrète mais rigoureuse.

S'ensuit un petit intermède, avec l'Adagio et la Fugue en Sol mineur de Hasse. Le premier développe son chant lancinant à travers des cordes désormais bien onctueuses, tandis que la preste Fugue emmenée par le violon témoigne de la fluidité du jeu de l'ensemble orchestral. Un beau prélude à ce qui sera sans doute l'air le plus admirable du concert, le Torbido interno al core tiré du Meride e Selinunte de Porpora. La voix du contre-ténor s'élève progressivement, dans un sentiment marqué de désarroi, presqu'implorante, ponctuée d'accents poignants. La tension, bien soutenue par l'orchestre, atteint son paroxysme avant de se répandre en longs mélismes impeccablement filés au final. Subjugués, les spectateurs emplissent l'église d'un retentissant tonnerre d'applaudissements ! La première partie s'achève sur un air plus « classique » de virtuosité, les cascades d'ornements du Su la prendice, dans lesquelles les aigus affichent une remarquable souplesse.

C'est également sur un morceau de bravoure, In questa mia tempesta, que s'ouvre la reprise. L'orchestre dirigé par Zefira Valova témoigne d'un bel allant, qui rend les ornements bien saillants, et l'enthousiasme des spectateurs est également au rendez-vous. S'ensuit un air lent, No, non vedete mai, qui offre au contre-ténor une nouvelle occasion de nous régaler de son expressivité et de la ductilité de son phrasé, prolongé par de longs ornements déclamés : un exercice vocal d'une exigence inouïe, largement plébiscitée là aussi par le public. Brève interruption du claveciniste Ronan Khalil, qui annonce la sonate K 208 de Scarlatti, en remplacement du concerto d'Auletta prévu au programme. Le chant du clavecin résonne joliment dans l'abside et fascine le public, qui semble suspendre son souffle pour mieux en apprécier les innombrables nuances ; le final est salué par de vigoureux applaudissements.

Max Emanuel Cencic revient pour un nouvel air lent, le Miei pensieri, tiré du Prigioniero fortunato de Scarlatti. Le sentiment d'abandon est subtilement appuyé par le violoncelle de Federico Toffano, tandis que les reflets moirés du contre-ténor apportent une délicate couleur dramatique... Le programme s'achève sur un nouveau morceau de bravoure, Qual turbine che scende, où les cordes frémissent sous une avalanche de mélismes virtuoses, qui déclenchent à nouveau un bel enthousiasme du public, et de nombreux rappels. Après avoir échangé quelques mots affables avec les spectateurs, Max Emanuel Cencic nous annonce un air tiré de l'Irene de Hasse, compositeur allemand formé à l'école napolitaine. De fait l'air semble un condensé de toutes les qualités vocales développées par le contre-ténor au cours de ce concert : des ornements à foison, une solide projection et une expressivité très convaincante. Après de nouveaux rappels, le concert s'achève sur un air de Tito Vespasiano du même Hasse, dont le final éblouissant déclenche un nouveau tonnerre d'applaudissements.

Ce soir-là les airs napolitains de Max Emanuel Cencic ont sans peine réchauffé le cœur et l'esprit des spectateurs plongés dans les rigueurs de l'humide printemps lorrain.

Publié le 28 mai 2016 par Bruno MAURY