Airs napolitains - Max-Emanuel Cencic
©Anna Hoffmann Afficher les détails Masquer les détails Date: Le 20 mai 2016
Lieu: Concert donné à l'église de Froville (Meurthe-et-Moselle), dans le cadre du XIXème Festival de musique sacrée et baroque
Programme
- Domenico Scarlatti : Sinfonia n°7 en ut majeur
- Nicola Porpora : Quel vasto, quel fiero (Polifemo)
- Leonardo Vinci : Che sia la gelosia (Catone in Utica)
- Johann Adolf Hasse : Adagio et fugue
- Nicola Porpora : Torbido interno al core (Meride e Selimante)
- Leonardo Vinci : In questa mia tempesta (Eraclea)
- Nicola Porpora : Ouverture royale
- Alessandro Scarlatti : Tutto appoggio il mio disegno (Il Cambise)
- Leonardo Leo : No, non vedete mai (Siface)
- Domenico Auletta : Concerto pour clavecin en ut majeur
- Alessandro Scarlatti : Miei pensieri ( Il Prigionniero fortunato)
- Nicola Porpora : Agitata e l'alma mia (Didone abbandonata)
- Nicola Porpora : Qual turbine che scende (Germanico in Germania)
- Bis :
- Johann Adolf Hasse : Se vi ferme (Irene)
- Johann Adolf Hasse : Vo disperato a morte (Tito Vespasiano)
Distribution
- Max Emanuel Cencic (contre-ténor)
- Orchestre Il Pomo d'Oro :
- Violon : Paolo Cantamessa
- Alto : Giulio d'Alessio
- Violoncelle : Federico Toffano
- Contrebasse : Davide Nava
- Clavecin : Ronan Khalil
- Direction et violon : Zefira Valova
Soleil napolitain à FrovilleIl revenait cette année à
Max Emanuel Cencic d'ouvrir la XIXème édition du
Festival de musique sacrée et baroque de Froville. A l'heure où nombre de manifestations musicales disparaissent ou se trouvent en grande difficulté, ce choix paraissait témoigner d'un triple engagement : la détermination des organisateurs, aidés des bénévoles (qui assurent notamment la logistique du Festival) ; la fidélité du public, qui converge depuis le Grand Est - Allemagne et Luxembourg compris – vers ce petit bourg du Bayonnais ; et enfin l'attachement des artistes, puisque Max Emanuel Cencic a chanté à chaque saison de ce Festival depuis qu'il y a donné son premier récital en France.
De la détermination, de la fidélité et de l'attachement il en fallait ce soir-là pour affronter la rigueur du printemps lorrain, qui plongeait la petite église dans une atmosphère très crue, presque froide, et imprégnée de l'humidité ambiante, mettant à l'épreuve instruments, voix et spectateurs. Après quelques accords prolongés, les cordes de l'orchestre
Il Pomo d'Oro entamèrent la
Sinfonia n° VIII de
Domenico Scarlatti. Au fil des notes, les sonorités parfois un peu sèches s'affinent, et la ligne mélodique s'affirme, bien soutenue par le violoncelle de
Federico Toffano et le clavecin de
Ronan Khalil, pour terminer dans un éclatant mouvement final.
Arrivé sous les applaudissements, Max Emanuel Cencic, en sobre tenue noire, débute son récital par un air de la
Didone Abbandonata de
Porpora,
Agitata è l'alma mia. Les mélismes s'enchaînent avec un grand naturel, dans une diction d'une grande fluidité. Le timbre s'est enrichi de sombres couleurs mates, qui soulignent la tension de l'âme, dans de beaux effets expressifs. La reprise, comme il se doit un peu plus ornée, s'achève sur un magnifique final, largement récompensé par l'enthousiasme du public. L'air suivant,
Se resto sul lido, au rythme lent, est empli de riches aigus charnus, aux précieux reflets moirés. Il permet aussi d'apprécier le violon agile de
Zefira Valova, à la direction discrète mais rigoureuse.
S'ensuit un petit intermède, avec l'
Adagio et la
Fugue en Sol mineur de
Hasse. Le premier développe son chant lancinant à travers des cordes désormais bien onctueuses, tandis que la preste
Fugue emmenée par le violon témoigne de la fluidité du jeu de l'ensemble orchestral. Un beau prélude à ce qui sera sans doute l'air le plus admirable du concert, le
Torbido interno al core tiré du
Meride e Selinunte de Porpora. La voix du contre-ténor s'élève progressivement, dans un sentiment marqué de désarroi, presqu'implorante, ponctuée d'accents poignants. La tension, bien soutenue par l'orchestre, atteint son paroxysme avant de se répandre en longs mélismes impeccablement filés au final. Subjugués, les spectateurs emplissent l'église d'un retentissant tonnerre d'applaudissements ! La première partie s'achève sur un air plus « classique » de virtuosité, les cascades d'ornements du
Su la prendice, dans lesquelles les aigus affichent une remarquable souplesse.
C'est également sur un morceau de bravoure,
In questa mia tempesta, que s'ouvre la reprise. L'orchestre dirigé par Zefira Valova témoigne d'un bel allant, qui rend les ornements bien saillants, et l'enthousiasme des spectateurs est également au rendez-vous. S'ensuit un air lent,
No, non vedete mai, qui offre au contre-ténor une nouvelle occasion de nous régaler de son expressivité et de la ductilité de son phrasé, prolongé par de longs ornements déclamés : un exercice vocal d'une exigence inouïe, largement plébiscitée là aussi par le public. Brève interruption du claveciniste
Ronan Khalil, qui annonce la
sonate K 208 de Scarlatti, en remplacement du
concerto d'Auletta prévu au programme. Le chant du clavecin résonne joliment dans l'abside et fascine le public, qui semble suspendre son souffle pour mieux en apprécier les innombrables nuances ; le final est salué par de vigoureux applaudissements.
Max Emanuel Cencic revient pour un nouvel air lent, le
Miei pensieri, tiré du
Prigioniero fortunato de Scarlatti. Le sentiment d'abandon est subtilement appuyé par le violoncelle de Federico Toffano, tandis que les reflets moirés du contre-ténor apportent une délicate couleur dramatique... Le programme s'achève sur un nouveau morceau de bravoure,
Qual turbine che scende, où les cordes frémissent sous une avalanche de mélismes virtuoses, qui déclenchent à nouveau un bel enthousiasme du public, et de nombreux rappels. Après avoir échangé quelques mots affables avec les spectateurs, Max Emanuel Cencic nous annonce un air tiré de l'
Irene de Hasse, compositeur allemand formé à l'école napolitaine. De fait l'air semble un condensé de toutes les qualités vocales développées par le contre-ténor au cours de ce concert : des ornements à foison, une solide projection et une expressivité très convaincante. Après de nouveaux rappels, le concert s'achève sur un air de
Tito Vespasiano du même Hasse, dont le final éblouissant déclenche un nouveau tonnerre d'applaudissements.
Ce soir-là les airs napolitains de Max Emanuel Cencic ont sans peine réchauffé le cœur et l'esprit des spectateurs plongés dans les rigueurs de l'humide printemps lorrain.
Publié le 28 mai 2016 par Bruno MAURY