La Chimera - Concert anniversaire

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Les 20 ans de la Chimera à La Salle Gaveau : Aller-retour de la chanson populaire argentine au baroque

L’ensemble La Chimera a été fondé par Sabina Colonna-Preti en 2001 en tant qu’ensemble de violes. Rapidement il s’est enrichi de chanteurs pour construire son élan autour d’une musique d’essence latine, depuis le baroque jusqu’à la musique populaire. Ce groupe réalise des « fusions musicales à travers les temps anciens et modernes. » Cette mutation s’est opérée lors de l’arrivée de son chef Eduardo Egüez. On fête les 20 ans de cette collaboration. La présence exceptionnelle du maestro Gabriel Garrido est théâtralisée pour couronner la partie baroque du concert : à sa venue sur scène, La Chimera a voulu lui rendre hommage en tant que parrain du groupe et inspirateur de musique baroque de la plupart de ses intégrants.

Le programme était une célébration de l’âme argentine. Mais il nous a permis au passage d’apprécier certains aspects du premier baroque italien (Monteverdi, Cavalli) rarement mis en valeur et qui d’habitude passent au deuxième plan, comme le charme naturel et spontané de l’interprétation. Ici, les spécialistes de la tradition argentine et ceux du baroque ont harmonieusement mêlé leurs voix puisque les chanteurs sont choisis pour leur polyvalence à aller de la chanson populaire à la seconda prattica, l’art vocal du XVIIème italien. Une prise de risques dont la limite fut peut-être la prestation de Céline Scheen pour le lamento della Ninfa, laquelle, à l’encontre des codes monteverdiens du pathos, s’est aventurée vers une interprétation vériste.

Comme un miroir, à ce métissage répondait dans la deuxième partie la Tarantella del Gargano, anonyme, issue de la tradition des Pouilles, chantée dans une grande élégance idoine et la diction impressionnante de Pino de Vittorio, lui aussi un invité d’honneur.

On a spécialement apprécié Nicolas Brooymans, dont la basse, très homogène, témoigne d’une virtuosité aboutie ; ainsi que la brillante voix de ténor de Zachary Wilder, si parfaitement à l’aise dans le O now I needs must part de Dowland. Furio Zanasi arrive toujours à nous convaincre avec un phrasé totalement idiomatique et le charme naturel de sa couleur. La partie baroque du concert s’achevait sur le sublime madrigal Altri canti d’amor, conduit avec une extrême tendresse par Gabriel Garrido.

L’excellent continuo, dirigé par Eduardo Egüez au théorbe et à la guitare, souvent doublé par un deuxième joueur des cordes pincées, avec harpe et clavecin, était soutenu par des basses de viole, dont un violone et une contrebasse, qui donnaient une rondeur et une profondeur d’emblée significative. La présence du consort des violes de gambe pour les médiums, et parfois deux violons pour les aigus, la grande souplesse de la première violon, formaient une couleur qui nous ont aidé à faire la transition vers la musique populaire argentine, notamment grâce à la magnifique orchestration d’Eduardo Egüez de la Misa Criolla. Une couleur qui s’est prêté naturellement à la présence des flûtes andines jouées par Luis Rigou qui fut aussi un soliste entraînant pour cette messe. La vaste connaissance des traditions anciennes du compositeur adulé Ariel Ramírez, et l’homogène polyphonie du chœur de ce soir, le Chœur Mélanges, impeccablement dirigé dans les impulsions de la danse par son chef, également argentin, Ariel Alonso, font de ce chef-d’œuvre le vrai trait d’union entre deux mondes : baroque et populaire. Cela confirme que l’Amérique du Sud possède une musique héritière, d’une part de la musique renaissance et baroque hispanique, et de l’autre de l’enseignement des Jésuites, de style italien, et que toute sa vocalité, sa conception des sentiments en musique reste fille de Monteverdi et Cavalli. Les chanteurs le démontrèrent, très à l’aise en cette deuxième partie dans un répertoire véritablement accessible au public venu à la salle Gaveau pour ce mélange argentin de cœur et de voix ; un public qui manifesta son goût pour les soprani Barbara Kusa et Mariana Rewerski, ainsi que la mezzo Susana Moncayo, ovationnée pour un tango aux intonations de fado.

C’est cette deuxième partie s’achevant par un lieto fine avec le tutti des solistes et le retour du chœur sur la chanson Gracias a la Vida de Violeta Parra et ensuite un bis contre la guerre et enfin un gâteau offert, qui a justifié la légère sonorisation, à notre avis non nécessaire, empêchant de vraiment juger de l’acoustique de la salle Gaveau. Une salle Gaveau dont on a été étonné qu’elle soit crûment repeinte en blanc : on aimerait tant que cette prestigieuse salle puisse retrouver sa légendaire couleur bleu-tourterelle, sorte de gris raffiné, avec ses liserés d’or.



Publié le 24 mars 2022 par Paul-Antoine Marie