Dumaux - Haendel

Dumaux - Haendel ©
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Dumaux haut en couleurs

Bien que français, le contre-ténor Christophe Dumaux est rarement présent sur les scènes lyriques de son pays natal. Aussi étions-nous impatients de l’entendre dans le cadre du Festival Haendel de Göttingen 2019, qui avait programmé sa venue pour un récital d’airs du Caro Sassone.

L’auditorium de l’Hôtel de Ville étant temporairement fermé, le concert se tient dans l’église Saint-Jacques (Sankt Jacobi). Ce vaisseau gothique à la haute nef précédée d’une imposante tour-proche est situé dans la rue principale de cette pittoresque localité de Basse-Saxe. Compte tenu de sa nature essentiellement résidentielle, Göttingen a en effet eu la chance d’échapper aux bombardements de la Seconde Guerre Mondiale. Son centre historique (Innenstadt) n’a pas été détruit ; il abrite nombre de constructions anciennes, y compris des maisons à colombages bien entretenues, qui lui donnent un indéniable cachet. Et ses rues piétonnes sont régulièrement animées, le jour et jusqu’aux heures avancées de la nuit, par une population étudiante toujours en quête de distractions.

A son arrivée sur scène, dans une église comble, le contre-ténor nous livre une première surprise de taille. Il a totalement abandonné l’apparence fragile qu’il cultivait avec à-propos dans les rôles antérieurs qui ont contribué à sa réputation, comme le Tolomeo dans Giulio Cesare (interprété notamment à Paris et à Salzbourg), ou encore le Giasone de l’opéra éponyme de Francesco Cavalli (dont il existe un excellent témoignage en DVD). Une épaisse barbe noire renforce désormais son visage, en lui conférant une gravité qu’on ne lui connaissait pas jusqu’ici : ce changement physique en annoncerait-il d’autres ?

La réponse arriva bien vite, d’autant que le premier air inscrit au programme n’était autre que l’ébouriffant Dover, giustizia, amor d’Ariodante. Débuter le concert par un air aussi redoutable semblait relever de la gageure, mais le chanteur relève le défi avec brio. On découvre aussitôt que la voix a fortement gagné en relief et en densité, avec des couleurs de bronze particulièrement adaptées aux airs de bravoure et aux instants dramatiques. La technique est impeccablement maîtrisée sur la totalité de l’étendue du registre. En particulier les passages dans les graves s’effectuent sans décrochage audible. Les aigus demeurent aisés, comme l’ont montré un étourdissant ornement au début de la reprise ainsi qu’un final projeté avec brio. Le récitatif de Bertaride qui suit met plutôt en exergue la clarté de la diction et l’expressivité, tandis que l’air (Dove sei ?) se pare de longs ornements filés s’achevant sur un aigu déchirant.

L’orchestre offre en intermède le Concerto pour trois violons de Telemann : après un Allegro enlevé et un Largo nerveux, les instruments se répondent avec fougue dans un Vivace particulièrement brillant. Le Sorge nel petto déploie longuement des couleurs moirées, la fluidité du legato est impressionnante, elle suscite une atmosphère délicatement suspendue, moment magique d’émotion. Dans le Concerto grosso n° 8 de Haendel on retient tout particulièrement l’Adagio expressif et dépourvu de toute mièvrerie, et l’Allegro final rythmé par des attaques incisives, couronné d’applaudissements.

La première partie du concert s’achève sur un Ah stigie larve d’anthologie : aux attaques initiales vigoureuses succède un Ah misero halluciné, et le Vaghe pupille se déploie d’une large projection qui lui confère un brillant éclat ; le dernier couplet (Ma si pupille) est avalé dans un tourbillon d’ornements à couper le souffle, prolongé par les dernières notes d’un orchestre survolté par la direction énergique de Laurence Cummings, avant que n’éclate les applaudissements d’un public conquis.

A la reprise, après un récitatif particulièrement expressif, le Aure, deh, per pietà se pare de longs ornements filés, superbement onctueux. La reprise est tout à fait élégiaque, avec une ornementation très personnelle, tout à fait réussie. L’air sera également applaudi chaleureusement par le public. Laurence Cummings traite avec une fluidité enjouée le Concerto Brandebourgeois n° 3 de Jean Sébastien Bach. On en retient tout particulièrement les interventions virtuoses, à l’aisance déliée, du premier violon Elizabeth Blumenstock, qui émaillent les deux premiers mouvements, et le virevoltant Allegro assai final.

L’orchestre ouvre avec fougue les premières notes du Fammi combattere, comme pour mieux annoncer la cascade de mélismes qui suit. Là encore on reste confondu devant une telle aisance, et par la stabilité du timbre sur l’ensemble de l’ambitus, malgré les rapides variations des couleurs. Le Spero per voi dévoile ensuite de longs ornements perlés, tout à fait charmeurs, et s’achève dans un final aérien, récompensé d’applaudissements nourris. Après un Già l’ebro très expressif, le programme officiel du concert s’achève sur l’air de bravoure du Teseo : Voglio stragi. Sans surprise désormais le contre-ténor dévale avec brio la cascade des ornements, et offre un nouveau témoignage de sa capacité d’abattage. Sa vigoureuse reprise déchire la nef de son aigu, son ampleur tétanisant l’assistance dans un étourdissant exploit vocal !

Bien évidemment, le concert s’achève dans un tonnerre d’applaudissements. Nous n’aurons toutefois pas le loisir d’assister davantage au triomphe mérité du chanteur, et de bénéficier des inévitables rappels. En effet, le dense programme du festival nous impose d’enchaîner avec le concert suivant, situé dans un lieu inhabituel...



Publié le 29 mai 2019 par Bruno Maury