Orgue - Ho

Orgue - Ho ©Antoine Thiallier
Afficher les détails
Esprit et raffinement de Bach, l’organiste

Fidèle à ses traditions, le festival Bach en Combrailles offre à son public une audition permettant d’entendre le majestueux orgue de l’église de Pontaumur, qui reprend traits pour traits ceux du premier instrument de Jean-Sébastien Bach, alors tout jeune titulaire à l’église Saint-Boniface d’Arnstadt, lieu d’ailleurs aujourd’hui appelé communément « église Jean-Sébastien Bach ». Pour ce mini-récital méridien, les auditeurs ont plaisir à retrouver le jeune organiste Jean-Luc Ho pour un programme 100 % Bach. Ayant été en résidence au festival de 2017 à 2019, l’instrumentiste est en effet bien connu des fidèles festivaliers et connaît particulièrement bien l’instrument de Pontaumur.

Pour la troisième fois de cette XXIIe édition, le public a l’occasion d’entendre la célèbre et monumentale Passacaille et thème fugué BWV 582. Jean-Luc Ho, poussé par sa constante exploration des textes et de l’interprétation la plus proche de celle de Bach, a la belle idée de proposer la version comme on peut la trouver dans le manuscrit de Johann Gottfried Walther, grand cousin de Jean-Sébastien. Cette version a la particularité d’être annotée d’ornements à la française ce qui, pour certains musicologues et musiciens, serait certainement la version la plus proche de l’interprétation spontanée de Bach. Cette approche avec un style français s’exprime dès l’exposition de la basse obstinée au pédalier. Après les deux versions précédemment entendues, l’auditeur a droit à un nouveau regard sur l’œuvre, véritablement enrichie par les ornements qui, loin de noyer le discours, le sublime dans une conduite de phrasés beaucoup plus grande et globale. Les différentes variations n’apparaissent pas comme cousues les unes aux autres mais bien au contraire, elles sont construites avec une grande cohérence et dans une réelle continuité. Sous les doigts de l’organiste, chacune des voix est conduite avec conscience, même dans les variations arpégées où beaucoup pourraient tomber dans le piège d’y oublier la polyphonie. Cette interprétation ne fait pas entendre d’impressionnants changement de jeux et de claviers ; par son raffinement, elle se veut montrer la beauté de l’œuvre par son écriture polyphonique et l’expressivité de ses mélodies. Etonnamment, l’auditeur n’a donc pas du tout l’impression que l’œuvre est longue, comme subjugué par la musique.

La Pièce d’orgue BWV 572 est, comme le présente Vincent Morel, directeur du festival, tels les trois moments de la vie : la frémissante jeunesse, la sage sérénité de la maturité, enfin l’angoissant déclin de la vieillesse. Une vision subjective qui néanmoins peut faire sens, en tous cas parle facilement à l’imaginaire de chacun. Ainsi, après d’agiles et légers gazouillements dans les aigus, une belle page aux couleurs sages et nobles fait entendre de très belles harmonies entremêlant, dans un tempo très modéré, très serein, cinq voix. Puis soudainement, une pédale nous fait lentement descendre dans les profondeurs, tandis qu’une sorte de peur frémissante anime les mains de l’organiste. L’interprétation se termine par un étonnant accord majeur avec septième, puis le tintement énigmatique des petites cloches, jeu assez unique qui fait tourner une petite étoile au-dessus de la console. Puis le silence.

Pour terminer cette audition, Jean-Luc Ho propose le Prélude, trio et fugue en si bémol majeur BWV 545b, œuvre qui n’avait encore jamais été jouée au festival Bach en Combrailles. Ce n’est certes pas l’un des plus grands chef-d’œuvres du compositeur, en tous cas l’interprète n’en est peut-être pas convaincu. Sans doute est-ce une œuvre qui aurait mérité, pour être davantage défendue et parce que faisant défaut d’une écriture très profonde et riche, davantage d’effets. L’auditeur aurait pu être facilement séduit et trompé par des changements de jeux spectaculaires. Jean-Luc Ho choisit de ne pas tricher. Appréciant cette honnêteté musicale, on aurait toutefois apprécié pouvoir distinguer davantage les différentes voix, surtout dans le trio, par une proposition un peu moins sage des timbres, offrant ainsi la possibilité d’entendre pleinement leurs phrasés, qui malheureusement se perdent dans l’église. L’écriture contrapuntique de la fugue est différente que dans le trio, et la distinction des voix se fait plus facilement, grâce à la juste conscience des conduites mélodiques et la mise en évidence – avec toutefois finesse et goût – du sujet lorsqu’il apparaît dans une voix ou dans une autre.

Pour remercier le public de leurs applaudissements, l’organiste offre en bis le Prélude en do majeur BWV 545, qui ne fait pas défaut d’un certain bon goût. Si l’auditeur n’a pas été ce midi impressionné par des truchements spectaculaires d’un instrument éclatant dans toute sa majesté, il a eu droit a un regard nouveau de l’œuvre de Bach, raffiné mais non sans une certaine malice dans les harmonies parfois surprenantes. Une vision sans doute assez proche de la réalité.



Publié le 21 août 2021 par Emmanuel Deroeux