Trios - Telemann

Trios - Telemann ©Antoine Thiallier
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Génie de l’écriture et plaisir du jeu

Il est fréquent d’opposer Jean-Sébastien Bach à Georg Friedrich Telemann, contemporains l’un de l’autre et, malgré une forte amitié (Telemann est le parrain de Carl Philip Emanuel Bach), considérés comme rivaux, encore et surtout aujourd’hui. Il est vrai que de son vivant, et même bien quelques temps encore après, c’est la musique de Telemann que l’on préfère et que l’on considère comme moderne. Combien de fois relaterions-nous l’anecdote du conseil municipal de Leipzig, alors en recherche d’un nouveau cantor de l’église et de l’école Saint-Thomas, qui annoncera ne pouvoir engager le meilleur – Telemann qui accepta un poste bien plus prestigieux à Hambourg – et devoir se contenter du médiocre – Bach qui, lassé de son poste de kapellmeister à la cour du prince de Köthen, était en recherche d’emploi. Aujourd’hui, l’Histoire ayant enfin compris l’art du Cantor de Leipzig et décelé ses richesses cachées, l’anecdote fait sourire. Car c’est Telemann, « le meilleur », qui fut relégué au « médiocre » par le temps.

Après avoir très dignement défendu la musique baroque française, l’ensemble Les Timbres, en résidence au festival Bach en Combrailles, se lance désormais dans le projet de s’intéresser à la musique baroque allemande. Leur aventure commence par la défense de l’œuvre de Telemann, « célèbre inconnu » qui mérite la réhabilitation devant le grand public. Ce soir, c’est en la collégiale Notre-Dame d’Herment – belle église romano-gothique du XIIIe siècle dont la grande descente d’escalier pour gagner la nef donne l’impression de s’enfoncer au fond d’une crypte fortifiée – que l’ensemble présente son concert de sortie de résidence autour de la musique de chambre de Telemann, en particulier ses Trios composés à Francfort en 1718. Le public, fidèle et heureux de retrouver le festival dans sa configuration normale, est venu nombreux pour entendre cette restitution.

Le programme se lance avec l’Ouverture en sol mineur TWV 55:g8, permettant ainsi d’entendre l’effectif des sept musiciens au complet. L’apertura, ouverture à la française, laisse également entrevoir de façon évidente l’admiration de Telemann pour la musique françoise qu’il a découverte lors de son unique grand voyage à Paris en 1737. Les Timbres y font preuve d’un équilibre des instruments intéressant et d’un son d’ensemble assez clair qui offre la possibilité de créer efficacement des reliefs. On peut être étonné que l’acoustique de l’église ne soit pas aussi généreuse que l’on pourrait s’y attendre, permettant ainsi d’apprécier l’agilité, qui semble naturelle, de chacun et leurs phrasés qui respirent. L’auditeur peut être conquis par la prise de risques des musiciens qui ont choisi un tempo très allant pour le Rondeau. Les légers et charmants Passepieds proposent des rythmes dansants, les sourires des musiciens trahissant sans regret un plaisir de jouer communicatif.

Les Trios de Telemann sont de très beaux exemples de la grande maîtrise du compositeur de la composition pour petit ensemble et sa connaissance des instruments. En effet, il s’est donné comme défi de composer des œuvres avec des combinaisons d’effectif toujours différentes. Accompagné du continuo, un violoniste peut ainsi toujours trouver une œuvre intelligemment écrite pour jouer avec un de ses amis musiciens, qu’il soit violoniste, hautboïste, bassoniste, violiste ou flûtiste.

La série débute avec le Trio n°4 pour deux violons et basse continue qui, immédiatement, se montre naturellement plaisante et agréable, à jouer comme à écouter. Le croisement des parties des deux violons, dont les timbres sont un peu différents, créent une musique tout simplement harmonieuse. Le violon de Yoko Kawakubo est très séduisant par son timbre clair agrémenté d’un agréable soupçon d’acidité et d’une pincée de grain des cordes. Celui de Yuki Koike possède un son un peu plus rond, un peu moins sonore car étant un peu plus dans les registres médium et grave. Le deuxième mouvement Vivace démontre l’agilité des deux instrumentistes qui se lancent dans une sorte de jeu ou de course, comme deux oiseaux qui batifolent. Le mouvement final Presto est également plein de malice avec des entrées en fugato. Le continuo n’est pas en reste, acteur aussi de prises de risque dans lesquelles l’ensemble n’hésite pas à s’engager, afin d’en dégager un véritable plaisir que l’on ne peut manquer sur le visage de la violiste Myriam Rignol, qui semble danser tout en restant très attentive et sensible à la musique.

Avec le Trio n°1 pour hautbois, violon et basse continue, l’écoute est sans doute possible très différente avec cette autre proposition d’effectif. Le hautboïste Benoît Laurent semble danser, accompagnant ainsi la conduite de ses phrasés qui ne manquent pas de vie. Avec Yoko Kawakubo, ils proposent dans la Siciliana des couleurs retenues très appréciables. On peut également apprécier l’accompagnement du claveciniste Julien Wolfs, présent, actif et attentif avec justesse, soutenant ainsi le petit ensemble dans son interprétation vivante. Il faut reconnaître que, même si ces œuvres sont très bien écrites, il ne suffit certainement pas de jouer simplement ce qui est écrit sur les partitions, un travail approfondi de compréhension de l’œuvre étant nécessaire afin d’accéder à l’équilibre et à la cohérence du discours. Le grand talent des Timbres est de ne pas montrer cette difficulté, preuve d’un travail rigoureux. On pourrait certes parfois vouloir une justesse encore plus précise, mais les instruments baroques sont sensibles, surtout en ce lieu dont l’hydrométrie ne doit pas être la plus propice. Heureusement, l’accord entre chaque trio est systématique.

Le Trio n°5 est l’occasion d’entendre le timbre si touchant et si particulier de la viole de gambe, dont l’expressivité touche si facilement, surtout grâce à la sensibilité de Myriam Rignol. Toujours avec la complicité de Yoko Kawakubo et Julien Wolfs, ils font preuve de couleurs pianissimo très saisissants, magnifiés par des conduites de soutien à l’expressivité très efficace. Le Vivace est un mouvement de bravoure qui parvient tout de même à charmer. Le mouvement suivant Adagio est touchant dès les toutes premières mesures avec ces longues notes, comme plaintives. Les nuances douces sont encore plus intenses ici, comme sur un fil, notamment grâce à un surprenant et beau jeu du clavecin a una corda. Le mouvement final Allegro est alerte, virtuose, plein de reliefs. On pourrait regretter que les graves de la viole ne puissent pas être davantage puissants afin d’aller encore plus loin dans les contrastes des dynamiques, néanmoins déjà très présents.

Pour le Trio n°6, Yoko Kawakubo prend une courte pause dans son marathon musical en laissant la place à son collègue Yuki Koike avec lequel la bassoniste Yukiko Murakami sera ici la complice. On est de suite frappé par l’admirable agilité de la musicienne, instrument grave pour lequel on n’a pas forcément l’habitude d’entendre en soliste, encore moins dans la musique baroque. Le premier mouvement Allegro est une musique à l’aspect un rien théâtral, dont la malice est explicitement visible dans le jeu et les regards de Myriam Rignol, qui s’amuse pleinement avec ses collègues. Dans le mouvement lent Soave, le timbre un peu nasal et granuleux du basson lui donne un air de plainte lyrique, surtout dans l’aigu, particulièrement beau. Enfin, le Presto dansant manifeste une fois de plus les talents de virtuoses des instrumentistes, qui ne font cependant jamais défaut de phrasés convaincants.

Le Trio n°3 retrouve la violoniste Yoko Kawakubo, désormais en compagnie de la flûtiste Stefanie Troffaes. Ensemble, elles proposent un premier mouvement bien justement nommé Affetuoso, dont l’affection est telle un amour maternel, doux, voire caressant, et naturel. Le premier Vivace est une joute amicale entre les deux instruments. On peut particulièrement apprécier la maîtrise d’archet de la violoniste, dont les traits virtuoses sont toujours très distincts et ont du sens. Le traverso a parfois du mal à se faire pleinement entendre, certainement particulièrement pour les places situées au fond de la collégiale. Mais quelques traits dans les aigus permettent d’en apprécier l’agilité.

L’ensemble se retrouve de nouveau en tutti pour l’autre partie de l’Ouverture en sol mineur. Sans doute cette musique sonne-t-elle moins intellectuelle que celle de Bach, mais elle ne souffre aucunement d’un manque de plaisir, visiblement lorsque l’on la joue et, indéniablement, lorsque l’on l’écoute. Le mouvement Passacaglia est une fois encore l’occasion d’apprécier l’influence française du compositeur, avec des rythmes pointés typiques du style. Les variations de cette passacaille permettent à chacun de s’exprimer en soliste ou tous ensemble, pour un résultat sans cesse plein de reliefs et de vie. C’est vraisemblablement un autre extrait de cette œuvre qui est offerte en bis, sans doute le Prelude, gai et toujours vivant, pour remercier le public conquis et déjà impatient de découvrir les prochains résultats des recherches musicales de l’ensemble en terrain allemand !



Publié le 16 août 2021 par Emmanuel Deroeux