Les Lois du cœur et de l'âme

Les Lois du cœur et de l'âme ©Festival de Froville - Artaserse - Philippe Jaroussky
Afficher les détails

Même si en ce jour d'échéance européenne la France sportive avait rendez-vous, un autre tout aussi important avait lieu avec la venue du «champion» incontesté des contre-ténors,Philippe Jaroussky accompagné de son ensemble Artaserse. Dans le cadre du Festival de musique baroque et sacrée de Froville, et ce depuis 2002 pour la huitième fois de sa carrière auréolée de prestigieuses distinctions, le contre-ténor ne cesse de prouver son attachement au public lorrain (460 spectateurs) réuni dans la magnifique église romane de Froville (Meurthe & Moselle). Pour information, ce petit village du Bayonnais ne compte que 125 âmes... ce qui démontre une grande ferveur du public!
Le programme proposé ce soir nous fait voyager dans l'Europe du Seicento autour de compositeurs italiens tels que Cesti, Cavalli, Rossi, Mealli, Uccellini, Legrenzi, Marini, Steffani sans oublier le maître absolu du Seicento Monteverdi.
Laissons-nous aller sans résistance! Abandonnons-nous sans hésitation à cette universelle promesse musicale ancrée dans les lois du Cœur et de l' Ame. Libérons-nous de cette coutumière retenue bien souvent inutile face aux sentiments humains. Ressentons avec notre cœur, source de vie, et écoutons avec notre âme...

Le concert s'ouvre sur la Sinfonia - extrait de Le disgrazie d'amore d'Antonio Cesti - aux riches couleurs expressives. L'air «Festeggia mio core» nous rassure sur l'état de santé du contre-ténor. Ce concert était initialement prévu le 19/06, annulé en raison d'une bronchite persistante. Appuyée par la musicalité colorée de la harpe baroque d'Angélique Mauillon, la douceur de sa voix caressante s'exprime pleinement dans le superbe récitatif déclamatoire et air, extraits de La Calisto de Francesco Cavalli. Le récitatif revêt son habit le plus noble sous la grâce jarousskyenne.
Le «Lasciate Averno» issu du lamento d'Orphée de Luigi Rossi incite au recueillement ne laissant place qu'à la sensualité vocale. La suavité des cornets, tenus par Adrien Mabire et Benoît Tainturier, renforce cette lamentation s'élevant vers les Cieux. Le registre clair et «cuivré» des cornets révèle l'excellence de ces deux musiciens. Le «A morire, a morire!» ne souffre d'aucune artificialité et serait même doux enveloppé du linceul précieusement tissé par le théorbe -Marc Wolff-, la viole de gambe -Christine Plubeau et le violone de Roberto Fernandez de Larrinoa.

Si le chant est important, la partie instrumentale l'est tout autant surtout lorsqu'elle est merveilleusement interprétée. La sonate pour violon «La Cesta» en est le parfait parangon. La musique prend vie sous les doigts du premier violon - Raul Orellana - dans une parfaite technique lui permettant les nuances les plus raffinées. Les autres pièces purement instrumentales seront interprétées avec précision. Saluons la percussionniste Michèle Claude,qui, grâce à ses vaillantes emportées, conduit d'une main de maître la Sinfonia quinta a cinque stromenti, op.7 de Marco Uccellini. Un autre moment «percutant» de bravoure se produit avec le solo dans la chacone finale «Gelosia» d'Agostino Steffani.
N'oublions pas Fiona-Emilie Poupard au violon et Marco Massera à l'alto, qui serviront avec raffinement la Musique, et les subtiles et dynamiques impulsions du continuo jouées au clavecin et orgue sous les doigts de Yoko Nakamura.

D'autres moments de grâce, de plénitude envahiront comme le souffle divin la nef de l'église à l'exceptionnelle acoustique. La berceuse d'Arnalta (vielle nourrice de Poppée), extrait de l'Incoronazione di Poppea de Claudio Monteverdi, effleure délicatement le sommeil de sa protégée. Du souffle, il en faut à Philippe Jaroussky pour soutenir ses fins de phrases interminables laissant le public suspendu à ce filet d'air si précieux. Ses notes tenues dans l'«Adagiati, Poppea» semblent atteindre l'impalpable infini...

Face aux longues ovations, Philippe Jaroussky et son ensemble nous gratifient de trois généreux rappels notamment le fameux «S'il dolce è'l tormento» de Monteverdi, un autre extrait de l'Orfeo monteverdien et la reprise de la chacone de Steffani.

Au delà du cœur, c'est bien l'âme qui a été touchée par la Grâce. La sincérité des regards, la beauté des sourires échangés entre eux ont inondé notre «métronome», notre cœur. Face à cette véritable symbiose entre le contre-ténor et l'ensemble, sans aucune rivalité, la noblesse d'âme s'est imposée...



Publié le 13 juil. 2016 par Jean-Stéphane SOURD DURAND