Si Versailles m'était chanté...

Si Versailles m'était chanté... ©Festival de Froville - Le Capriccio Français - Marie Perbost - Arnaud Guillou
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Rompant avec le formalisme des concerts de musique baroque, l'ensemble Le Capriccio Français, fidèle parmi les fidèles du Festival de Froville (54), présente un concert commenté par leur chef. Cette narration permettra aux spectateurs de se plonger trois siècles auparavant dans les coulisses de ce somptueux château qu'est Versailles, et ceci à travers d'anecdotes de l'époque. Du célèbre «Pas encore, mon fils» - prononcé par Louis XIII (1601-1643) s'adressant au futur roi qui n'a pas encore 5 ans, le 21 avril 1643 -, le cérémonial du Gentilhomme échanson, et bien d'autres, chaque anecdote sert avec beaucoup d'intelligence et de finesse d'appui aux pièces instrumentales et vocales interprétées - toutes issues de l'opéra français -, en cette chaude fin d'après-midi d'été. Grâce aux œuvres de Rebel, Desmarest, de Lalande, Leclair, Charpentier, Lully et Rameau, les artistes feront, tel le phénix, renaître de ses cendres le faste royal de Versailles...
A l'image de son Roi et par la volonté de celui-ci, Versailles se veut grandiose: les jardins d'une rare beauté; les ors de l'opéra; l'architecture de ses bâtiments; la féerie de ces ballets, opéras, comédies. Le roi Soleil contemple son œuvre de protecteur des Arts.

La première pièce interprétée n'est autre que le prologue d'une «symphonie de danse» antérieure connue sous le nom Les Eléments de Jean-Féry Rebel (1666-1747), créés en 1737 à l'Académie royale de musique. Ce «désordre» peut surprendre l'auditeur par ses dissonances. Pourtant il constitue une nouvelle approche, celle de l'expression pure. Saisissez-vous de la force du premier violon, Patrick Bismuth lorsqu'il déchaîne son archet face aux furieux éléments dressés par le maestro Philippe Le Fèvre. Cette énergie volcanique est tempérée par la douceur des flûtes tenues par Patrick Blanc et Sébastien Marq incarnant l'Air et l'Eau. Le second violon et l'alto - Benjamin Fabre et Karine Watelet - se montrent tout aussi virtuoses. Le violoncelle d'Alice Coquart, et la contrebasse de Franck Ratajczyk accréditent la personnification du Feu et de la Terre. La Fantaisie de Rebel offrira une scène royale au talent de la claveciniste Hélène Dufour. Son jeu, son doigté soulignent la fraîcheur. Les mouvements de danse se font sentir. Il est aisé d'imaginer le roi danser, virevolter sur cette vivante musique. La précision d'exécution, d'interprétation du Capriccio Français aura un écho perpétuel avec l'andante du Concerto n°3 opus 10 de Jean-Marie Leclair (1697-1764), guidée par le premier violon au doigté agile et fin.
Lorsqu'on évoque l'opéra français, un nom apparaît rapidement, celui de Jean-Philippe Rameau (1683-1764), l'orfèvre du baroque «hexagonal». L'ariette d'Alphise «Un horizon serein», tirée des Boréades offre une sublime surprise, la soprano Marie Perbost dans une robe d'époque aux tons mordorés. Ferait-elle concurrence à la plus belle des favorites royales? Sa beauté va au-delà de son physique. Sa voix se veut claire et aérienne aux douces intonations. Son «Tout à coup» révèle une puissance insoupçonnée. Les trilles s'enchaînent à une vertigineuse cadence. Ses petits à-coups vocaux sur «Et soulève» produisent une gracile suspension. Lors de ses interventions, elle n'aura cesse de briller vocalement mais également en affirmant son talent de comédienne. Elle exprimera avec conviction l'amour, la joie, la souffrance. Elle se montre «divine» en incarnant la démence sur l'air de la folie «Formant les plus brillants concerts», Platée de Rameau. Sans aucune ambiguïté, Marie Perbost est une artiste complète promise au plus radieux avenir.
Autre comédien hors pair, fièrement habillé en costume de gentilhomme noir brodé d'argent, le baryton Arnaud Guillou sera tout aussi exquis que sa complice. Accompagné par le théorbe de Benjamin Narvey, il exécute un subtil «Je languis», extrait du Bourgeois Gentilhomme de Marc-Antoine Charpentier (1643-1704). Sa voix suave lui permet certaines extravagances. Il semble perdu à la lecture de sa ligne de chant, comique de la situation...il salue en souriant le théorbe et le public. Egarement, pure illusion! Il est en constante recherche de l'expression. Ainsi dans l'air de Thésée «Qu'ai-je appris?», d'Hyppolyte et Aricie de Rameau, il incarne à merveille le désespoir et la vengeance. Mais avec humilité, il lance «C'est aux Dieux à venger les Rois». Aussi bien dans l'air d'Huascar «Brillant soleil» - Les Indes Galantes-, que celui d'Anthénor «Monstre affreux» - Dardanus - , sa voix chaude et prenante brillera dans de chatoyantes couleurs dessinant les contours de ce doux visage viril.
Les duos formés par la soprano et le baryton gardent une constante délicatesse, précision dans leurs interprétations: Duo Emile-Valère «Qu'ai-je fait?, quelle horreur!», extrait des Eléments de Michel-Richard de Lalande (1657-1726); Duo Lybie-Epaphus «Quel malheur, Dieu quelle tristesse!» , Phaëton de Jean-Baptiste Lully (1632-1687); ou bien encore l'Ombre de Sichée «Après avoir trahi tes serments», Didon d'Henry Desmarest (1661-1741), œuvre composée à Lunéville. En final, le plus célèbre des duos de Rameau - celui de Zima et Adario, Les Indes Galantes, «Forêts paisibles» - déborde sans retenue de joie des artistes.

Tous ces interprètes peuvent être fiers de leur prestation en cette fin d'après-midi d'été. Ils ont offert une promenade rafraîchissante et instructive dans ce Versailles à l'ombre de la magnifique nef de l'église romane de Froville.



Publié le 11 juil. 2016 par Jean-Stéphane SOURD DURAND